vendredi 19 avril 2024
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Monte-Carlo Fashion Week : « La mode se tourne de plus en plus vers l’éco-durabilité »

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Le cuir durable va-t-il remplacer peu à peu le cuir animal classique dans les boutiques de luxe de Monaco ? Alors que la Monte-Carlo Fashion Week aura lieu du 14 au 18 mai 2021, nous avons interrogé la présidente de la Chambre monégasque de la mode (CMM), Federica Nardoni Spinetta. Interview.

En 2020, la marque Desserto a remporté le prix du développement durable de la Monte-Carlo Fashion Week, pour son cuir végétal : cela annonce-t-il de grands changements à venir dans l’industrie de la mode ?

Oui bien sûr, de grands changements se produisent déjà. La mode se tourne de plus en plus vers l’éco-durabilité. C’est très important pour nous et pour les générations futures. On comprend, enfin, que nous vivons tous ensemble sur la même planète et que les animaux doivent être préservés. Nous ne pouvons plus permettre l’abattage de masse. Certes, il y aura toujours des partisans du cuir animal d’un côté, mais la mode durable n’est plus représentée seulement par une minorité aujourd’hui. D’où le prix que nous avons remis à la marque Desserto l’an dernier, pour son cuir de cactus. Cela ressemble en tout point à du cuir animal, on ne voit pas la différence, mais ça change tout pour la planète.

Le cuir non-animal est donc en train de se populariser ?

Tout à fait. Stella McCartney a lancé une collection à base de fibre de champignon, pour remplacer le cuir animal. La marque Tommy Hilfiger a lancé des sneakers [des baskets – N.D.L.R.] fabriqués à partir de peau de pomme pour sa collection éco-durable. D’autres marques encore se lancent dans la peau d’ananas, de raisin, ou encore en plastique recyclé pour se poser en alternative au cuir. Ce n’est pas encore produit à grande échelle aujourd’hui, mais c’est très probable que ces produits végétaux issus de plantations deviennent la norme un jour.

Les initiatives éco-responsables de la Monte-Carlo Fashion Week influencent-elles les grandes marques du luxe, notamment à Monaco ?

L’éco-responsabilité fait son chemin depuis longtemps dans la mode. L’un des principaux objectifs de la semaine de la mode de Monte-Carlo est de mettre l’accent sur la mode durable et éthique et de contribuer à sensibiliser à l’importance de protéger notre planète. À Monaco, avec la chambre monégasque de la mode, nous remettons par exemple un « ethical and sustainable award » depuis 2016. Stella Jean a été notre première primée pour ses collections éco-durables. Elle avait d’ailleurs été reconnue comme la première styliste italienne noire, après avoir été repérée par Giorgio Armani. Ses créations, portées par des célébrités, comme Rihanna et Beyoncé, reflètent son héritage créole, en intégrant le travail des artisans haïtiens et africains. Elle confectionne des vêtements éthiques en aidant les femmes les moins favorisées du monde. Nous avons aussi primé Tatiana Santo Domingo Casiraghi pour sa marque équitable Muzungu Sisters. Ainsi que l’Indien Rahul Mishra et la créatrice Alberta Ferretti, qui avec la collection « Save the Earth » a été l’une des premières à lancer du cachemire durable en Italie.

Vous avez développé vous-même une marque éco-responsable, Beach & Cashmere Monaco : par expérience, est-ce plus cher de faire de la mode durable ?

Oui, c’est forcément plus cher. Le coton bio, par exemple, est plus onéreux, comme peuvent l’être les fruits et les légumes bio pour les consommateurs. C’est aussi plus compliqué à produire à grande échelle. C’est un problème pour les enseignes de masse, mais pas pour le haut de gamme. Les produits durables sont des produits qui durent plus longtemps, et qui sont de meilleure qualité. Dans le haut de gamme, on mise avant tout sur la qualité du produit. On achète moins, mais mieux. C’est plus agréable pour tout le monde.

© Desserto

« Certes, il y aura toujours des partisans du cuir animal d’un côté, mais la mode durable n’est plus représentée seulement par une minorité aujourd’hui »

Comment garantir la vraie marque durable du simple argument marketing ?

La mode éco-responsable inclut des démarches et des valeurs bien particulières comme la transparence, le commerce équitable, l’économie sociale et solidaire, l’économie collaborative, les fibres naturelles, le fait-main, le commerce local, le « zéro déchet » ou encore le vegan. De la même façon, certains aspects de la mode traditionnelle sont rédhibitoires pour une marque de mode éco-responsable. On rejette la production intensive des cultures, l’utilisation de produits toxiques, la surproduction, mais aussi l’inégalité sociale, le travail des enfants, le gaspillage, le “greenwashing” [procédé marketing qui consiste à se donner une image de responsabilité écologique trompeuse — N.D.L.R.].

Existe-il des labels ou des organes permettant de contrôler la durabilité dans la production ?

Aujourd’hui, il n’existe aucun label qui garantisse à la fois la durabilité sociale et environnementale dans la production de vêtements. Toutefois existent différents labels attribués selon des critères vérifiés par des organes indépendants : GOTS, pour le coton biologique, Max Havelaar pour le coton issu du commerce équitable, Oeko-Tex 100, pour les articles exempts de produits toxiques, ou encore Grüner Knopf, pour les critères sociaux et écologiques pour la production, etc.

Mais alors, comment garantir la durabilité des produits dans l’industrie de la mode ?

Ce qui est réellement important, c’est que les entreprises adaptent leur politique commerciale à long terme et à tous les niveaux. Mais aussi qu’elles travaillent en étroite collaboration avec des syndicats, des ONG et des entreprises sur place, pour progresser sur la voie de la durabilité. En 2018, à la COP24, 48 marques et grands groupes ont signé la charte de l’industrie de la mode pour l’action climatique. Sous l’égide des Nations unies, ces acteurs se sont dits prêts à unir leurs forces pour réduire de 30 % l’émission de gaz à effet de serre de l’industrie d’ici à 2030.

« Aujourd’hui, il n’existe aucun label qui garantisse à la fois la durabilité sociale et environnementale dans la production de vêtements »

Quelles entreprises du luxe s’y mettent réellement ?

LVMH s’est engagé pour la planète avec LIFE (LVMH Initiative for the Environment), c’est un engagement avec l’Unesco en faveur du programme de biodiversité Man and Biosphere (MAB), qui vise à sauvegarder la biodiversité à travers la planète et à atteindre les objectifs de développement durable des Nations unies. En avance sur l’exigeante feuille de route établie par le programme LIFE, le groupe a pris de nouveaux engagements à l’automne 2020, en particulier en faveur de la biodiversité et du bien-être animal. Alors qu’un million d’espèces sont menacées d’extinction et que nos ressources en eau se raréfient, LVMH souhaite renforcer son engagement pour la préservation de la biodiversité, la nature étant à la fois ce qui inspire et compose ses produits. Le développement durable est donc une priorité. S’y consacrer est une urgence.

Comment mesurez-vous l’engagement durable de vos créateurs pour décerner votre Sustainable Award ?

Concernant l’attribution du Sustainable Fashion Award, nous analysons attentivement les vidéos des collections proposés par les designers participants. Nous sommes très attentifs au processus de fabrication, comme le choix des matériaux et matières premières qui doivent être renouvelables, recyclés et/ou recyclables. Les technologies mises en œuvre lors de la fabrication également, la durée de vie du produit, et la possibilité de valoriser les matières en fin de vie, avec le recyclage, etc. Nous analysons les procédés de fabrication choisissant ceux qui consomment peu de ressources (énergie, eau, matières premières, transport respectueux de l’environnement), et qui ne causent pas de rejets polluants. Nous sommes très sensibles aussi au comportement éco-social et éthique des marques.

© Photo Chambre de la mode monégasque

Fashion Week monégasque : du 14 au 18 mai 2021

La Fashion Week monégasque (MCFW) devrait bien avoir lieu, du mercredi 14 au dimanche 18 mai 2021 au chapiteau de Monaco, à Fontvieille, en petit comité, crise sanitaire oblige. Ce sera toutefois la neuvième édition de la Fashion Week en principauté, qui se veut désormais plus axée sur la mode responsable que les autres événements du même acabit, dédiés à la haute couture. Les designers qui participeront à la deuxième édition du concours MCFW Sustainable, ont envoyé leur candidature sous la forme d’une brève vidéo pour y exposer leur vision d’une mode éthique et innovante. En 2020, pour la première édition, c’est la marque mexicaine Desserto qui avait remporté le concours pour son cuir vegan, élaboré à partir de cactus.