samedi 20 avril 2024
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Me Frank Michel :
« Le temps peut être un facteur »

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En février 2019, la Cour des comptes a dénoncé dans un rapport les dérives du secteur funéraire en France. Monopoles frauduleux, manque de transparence sur les prestations, tarifs en hausse, fausses offres low-cost… Le secteur profiterait de clients « en situation de grande vulnérabilité » pour faire fructifier son business. Ces dérives peuvent-elles être assimilées à un abus de faiblesse (1) ? Comment démontrer cela devant un tribunal ? Monaco Hebdo a interrogé Me Frank Michel, avocat monégasque.

Qu’est-ce qu’un abus de faiblesse ?

L’abus de faiblesse consiste, comme son nom l’indique, à profiter de l’état d’affaiblissement d’une personne pour obtenir d’elle soit de l’argent, soit des faveurs qu’elle n’aurait pas accordées normalement.

Les dérives constatées en France dans le secteur funéraire peuvent-elles être considérées comme un abus de faiblesse ?

À mon sens, ces dérives pourraient rentrer dans le cadre d’un abus de faiblesse. Mais il faut démontrer que la personne qui a été victime de ces agissements était véritablement dans une situation psychologiquement extrêmement difficile et que cela a affecté sa capacité à prendre des décisions. On peut dans ce cas imaginer que cette qualification pénale s’applique. Ça reste quand même soumis à la preuve qui pourrait être faite par une expertise psychologique ou par tout autre moyen. On peut se poser la question de savoir si le simple chagrin pourrait être assimilé à la faiblesse, au sens de l’abus de faiblesse. Il faut vraiment que ce soit un état qui présente une certaine force.

Avez-vous déjà eu affaire à ce genre de cas à Monaco ?

Non. Je n’ai pas de précédent en tête. Je ne connais pas de jurisprudence sur cette question à Monaco.

Démontrer un état de faiblesse quelques semaines, voire quelques mois plus tard, c’est compliqué, non ?

Effectivement, plus le temps passe, plus la preuve d’un affaiblissement très important sera difficile à rapporter. Il faut que l’affaiblissement soit suffisamment important pour qu’on rentre dans la définition juridique de l’abus de faiblesse. Le temps peut être un facteur.

Comment prouver un abus de faiblesse ?

On peut le prouver par une situation objective. Il n’existe pas de nomenclature. Cela peut être n’importe quelle situation dans laquelle une personne est affectée. On peut considérer que son consentement n’est pas véritable et a été contraint en quelque sorte. On pourrait, par exemple, citer l’exemple d’une personne âgée qui serait dépendante d’une personne qui utiliserait cette dépendance pour obtenir d’elle des faveurs. Ou un médecin qui utiliserait l’emprise qui est la sienne sur son patient pour la même chose. Donc, d’une façon générale, il s’agit de tous les cas dans lesquels une personne est soit dépendante, soit affaiblie et où, par conséquent, son consentement peut apparaître visé.

Avez-vous déjà eu à plaider un abus de faiblesse à Monaco ?

Oui, j’ai déjà eu à plaider l’abus de faiblesse à plusieurs reprises. Cela est arrivé dans le cadre d’une relation salariale. Il m’est aussi arrivé de le plaider pour une personne âgée.

Qui peut porter plainte pour un abus de faiblesse ?

La victime, ou éventuellement son représentant légal, peuvent déposer plainte. Si on prend l’exemple d’une personne âgée, qui n’a plus toutes ses facultés mentales, une protection judiciaire peut par la suite être mise en place. À ce moment-là, le procureur général requiert le placement sous protection judiciaire. Un mandataire de justice va être nommé. Il peut s’agir d’une représentation judiciaire, d’une tutelle… Son représentant judiciaire aura alors la faculté de déposer plainte pour le compte de la personne si ses facultés ne lui permettent pas. Sinon, il faut que ce soit la victime elle-même qui le fasse lorsque ses facultés le lui permettent.

Une tierce personne peut-elle porter plainte pour un proche qu’elle estime victime d’un abus de faiblesse ?

En théorie, un tiers ne peut pas déposer plainte, mais il peut faire ce que le code de procédure pénale appelle une dénonciation. C’est-à-dire porter des faits à la connaissance du procureur général qui, lui, après s’il le désire peut faire une enquête et poursuivre. Mais, à partir du moment où il s’agit d’un tiers, qui n’est pas lui-même victime de l’abus de faiblesse, normalement le droit de porter plainte ne lui appartient pas.

1) Le code pénal monégasque punit l’abus de faiblesse d’une peine de 6 mois à 3 ans de prison et d’une amende de 9 000 à 18 000 euros.