samedi 27 avril 2024
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Haïm Korsia — Grand rabbin de France : « On ne peut pas faire autrement que de vivre ensemble »

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À l’occasion de sa conférence intitulée « Bible et écologie », organisée par l’Institut Monaco Méditerranée Foundation (MMF) le 13 mars 2024 au One Monte-Carlo (1), le grand rabbin de France, Haïm Korsia, a répondu aux questions de Monaco Hebdo, dans un contexte marqué par la montée des violences intra-religieuses. Interview.

Depuis les attaques du Hamas en Israël, le 7 octobre 2023, 1 518 actes ou propos antisémites ont été recensés en France, 164 actes anti chrétiens et 131 anti-musulmans depuis le début de l’année : tout cela révèle un conflit de religion ?

Non, c’est plutôt la preuve que la foi est le seul moteur qui donne le sentiment qu’on ne veut pas débattre avec les autres. L’un des efforts majeurs que nous avons à faire, tous, c’est d’expliquer que, puisque je crois en quelque chose, je dois défendre d’autres personnes qui ne croient pas comme moi, mais qui croient. Et c’est un effort à faire. L’an passé, par exemple, on l’a trop mis sous silence, il y a eu 537 actes anti-chrétiens en France. C’est quelque chose d’incroyable. Je pourrais tout aussi bien vous parler des actes anti-juifs, qui ont augmenté de 1 000 % après le 7 octobre 2023, juste en trois mois. Globalement, on s’est rendus compte de ce nombre inconcevable d’agressions en France.

Comment protéger la liberté religieuse face à ces attaques ?

Pensez qu’aujourd’hui, au moment du Ramadan, en France, on doit protéger les mosquées contre d’éventuelles attaques. Au moment de Noël et de Pâques, on protège les églises et les temples. Au moment de Kippour et des fêtes juives, on protège les synagogues. En fait, le gouvernement français s’est rendu compte que se posait réellement la question du respect de la liberté des pratiques religieuses. Aujourd’hui, c’est prévu par l’article 31 de la loi de 1905, consacré à l’entrave à la liberté religieuse : si quelqu’un empêche à quiconque de pratiquer sa foi, sa religion, cela devient délictuel. Mais au-delà de la loi, on a ce souci de refaire front ensemble. Et il n’y a que le dialogue entre les régions qui le permette. Comme on le dit dans l’armée de l’air, on doit « faire face ».

Haïm Korsia Grand rabbin France
« La confiance, ça ne se décrète pas, ça se construit dans le quotidien, dans les combats quotidiens partagés. Dans les relations inter-religieuses, ce sont aussi des hommes et des femmes, des personnes, dont il est question. » Haim Korsia. Grand rabbin de France. © Photo MMF

À Monaco, le catholicisme est religion d’État : est-ce l’une des solutions pour favoriser le « vivre-ensemble » inter-religieux ?

Chaque système trouve son équilibre. Je suis Français et j’aime beaucoup mon système. Il me plaît bien. Je ne peux pas vous dire que c’est le meilleur du monde, même si je le pense. À Monaco, vous vivez très bien avec votre système car, comme ailleurs, dans la mesure où ça se passe avec des gens de bonne composition, ça ne peut qu’aller bien. En Angleterre aussi, l’anglicanisme est aussi la religion d’État, mais il se vit sous une autre perception.

Dans notre société, teintée de violences, comment obtient-on à nouveau la confiance et la sérénité, les uns envers les autres ?

La confiance, ça ne se décrète pas, ça se construit dans le quotidien, dans les combats quotidiens partagés. Dans les relations inter-religieuses, ce sont aussi des hommes, des femmes, et des personnes, dont il est question. C’est comme quand vous bagarrez avec votre beau-frère. Vous-vous bagarrez avec lui, mais vous devez tout de même vivre ensemble. On ne peut pas faire autrement que vivre ensemble.

À propos du « vivre-ensemble », il y avait environ 700 000 juifs au Maroc, en Algérie et en Tunisie, dans les années 1950, aujourd’hui, il n’en reste que 7 000 : juifs et musulmans ne peuvent plus cohabiter ?

D’abord, il faut voir les choses sur le long terme : on a toujours tous vécu ensemble. Mes parents venaient d’Algérie, tout le monde vivait ensemble, à l’époque. Mais, à un moment donné, oui, c’est vrai, il y a eu un exode massif, parce qu’il y a eu des choses inadmissibles. Il y a eu des ruptures de fraternité. Ça ne sert à rien de le nier, ni de fermer les yeux. C’est même grave de ne pas vouloir admettre ces choses. Mes parents, par exemple, ont quitté l’Algérie, qui était un département français, à l’époque. Ce n’est pas comme la Tunisie, le Maroc, la Libye, ou l’Égypte en 1956. Ou l’Irak, l’Iran, ou même le Yemen. Dans tous ces pays arabes, il y avait d’énormes communautés juives. Et puis, ces communautés ont disparu depuis, c’est vrai.

Le 12 mars 2024, une centaine d’étudiants de Sciences Po Paris a bloqué un amphithéâtre au nom du soutien à Gaza : pourquoi n’a-t-on pas assisté à de telles mobilisations pour les pertes civiles de Syrie, du Yémen, ou du Soudan, par le passé ?

Je suis heureux que vous me disiez ça, car c’est très juste. Quand on dit qu’il ne faut pas deux poids, deux mesures, je suis d’accord. Je n’ai jamais vu cette mobilisation pour les 200 000 morts de la guerre en Syrie, alors que des enfants ont perdu la vie aussi. Pour le Soudan, je n’ai vu personne non plus. Pourquoi ? Quand un juif est dans l’affaire, il serait forcément coupable et responsable ? C’est très juste de le rappeler, et c’est trop rare, malheureusement. Parce que, lorsqu’on appelle à la paix, il ne faut pas appeler à une paix qui fait en sorte que les méchants gagnent. Il faut appeler à une paix qui permette à tout le monde de gagner, et a tout le monde de se tendre à nouveau la main. C’est ce que les Américains appellent le « day after » [le « jour d’après » — NDLR] : comment on reconstruit le possible, après ? L’effort majeur, il est là. Il consiste à reconstruire une potentialité après la guerre.

Haïm Korsia Grand rabbin France Prince Albert II
© Photo MMF

Créer un État palestinien, c’est une solution ?

De facto, l’État palestinien existe. Il y a un Premier ministre. Ce ne serait pas le cas si ce n’était pas un État. La question, c’est que cet État est pris en otage, je pèse mes mots, par le Hamas. Ce qui fait que même les Palestiniens qui voudraient vivre libres, notamment à Gaza, sans ce poids terrible sur eux, ne le peuvent pas. Donc, c’est Israël qui fait le boulot de sauver tous les otages, les siens, et les otages palestiniens, qui sont victimes, eux aussi, du Hamas.

Un État palestinien dirigé par le Hamas, c’est un État terroriste ?

On a déjà assez de zones couvertes par des mouvements terroristes dans le monde pour en rajouter une au Hamas. Je crois, en revanche, qu’il y a la possibilité de faire émerger une génération de Palestiniens qui veulent vraiment tendre la main aux Israéliens. Tout comme en Israël, il y a des Israéliens qui ont la force de tendre une main aux Palestiniens, comme un pont au-dessus de cette violence et de cette haine. Il ne faut jamais l’oublier.

Votre conférence, organisée à Monaco en partenariat avec le MMF Institute, s’intitule « Bible et écologie » : pourquoi mêler théologie et écologie ?

Il y a des invariants dans l’histoire de l’homme. L’écologie n’est pas un nouveau « truc » à la mode qu’on aurait lancé, parce qu’on se serait rendu compte qu’il y a moins de petits oiseaux ou moins de papillons dans le ciel. Parce qu’humains, nous sommes, au contraire, responsables de la planète. Et je montre, à travers cette conférence, toute une série de mesures dans la Bible qui sont des incitations à respecter la nature, à protéger la nature.

Haïm Korsia Grand rabbin France
© Photo MMF

On retrouve ces incitations dès l’Ancien Testament ?

Exactement. On voit que ça a transformé la relation à la nature. Par exemple, il y a la jachère. Tous les sept ans, on doit arrêter de travailler la terre. Comme si on disait : « Nous, on travaille six jours de la semaine et, toi aussi, la terre, tu dois te reposer. » Et on sait qu’elle donne mieux après. C’est comme si elle pouvait reconstituer ses réserves. De la même manière, peu le savent, mais il y a aussi un nouvel an des arbres dans notre calendrier. C’est un exemple, parmi tant d’autres.

1) Créée en 2004 par Enrico Braggiotti, la Monaco Méditerranée Foundation (MMF) organise de nombreuses conférences en principauté tout au long de l’année, avec des intervenants du monde entier, sur de grands thèmes d’actualité. Son programme est à retrouver sur son site Internet : https://monaco-mediterranee-foundation.org/programme-des-conferences.