vendredi 29 mars 2024
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AMADE – Jérôme Froissart : « Devenir un acteur incontournable de la philanthropie en Europe »

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Alors que l’Association mondiale des amis de l’enfance (Amade) fête son soixantième anniversaire cette année, son secrétaire général, Jérôme Froissart, revient sur l’histoire de cette association et évoque ses perspectives. Pour lui, l’Amade a vocation à prendre une nouvelle dimension, au niveau européen.

L’Amade a 60 ans en 2023 : comment cette association a-t-elle été créée ?

L’Association mondiale des amis de l’enfance (Amade) a été fondée en 1963, à l’initiative de la princesse Grace de Monaco. Elle a été l’une des premières à vouloir s’appuyer sur un réseau de structures locales, puisqu’à l’origine il y avait l’Amade de Monaco, qui centralisait les actions, et des Amade dans différents pays. L’Amade repose sur une vision idéale, dont on cherche à s’approcher : celle d’un monde où tout enfant – quelles que soient ses origines sociales, religieuses ou culturelles – peut vivre dignement, en sécurité, et dans le respect de ses droits fondamentaux, tout en ayant la possibilité d’exprimer pleinement son potentiel.

Et aujourd’hui ?

Aujourd’hui, notre fonctionnement est proche de celui d’une fondation, avec un conseil d’administration composé de 14 personnes nommées par le prince Albert II, des salariés, et des membres actifs. Notre modèle a évolué depuis une dizaine d’années, puisque nous avons fait le choix de ne pas être un opérateur direct. Selon nous, les acteurs locaux sont plus à même d’apporter des réponses adaptées et durables aux problématiques auxquelles font face les enfants dans différents pays. Nous nous concentrons donc sur trois missions.

AMADE Jérôme Froissart
« Nous avons créé le fonds Amade pour l’enfance, hébergé au sein de la fondation roi Baudouin. Si vous êtes redevable en France de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), en faisant un don à ce fonds, 75 % de son montant est déductible de l’IFI. Nous souhaitons amplifier le mouvement, afin de trouver plus d’argent pour développer de nouvelles actions. » Jérôme Froissart. Secrétaire général de l’Amade Monaco. © Photo Valeria Maselli / Amade

Lesquelles ?

D’abord, l’identification de ces associations locales, pour co-construire avec elles des projets innovants et efficaces, après une analyse rigoureuse et détaillée de leur gouvernance, de leur stratégie, de leurs “process” opérationnels et financiers, de leur capital humain. Ensuite, la mobilisation des fonds, avec la recherche de donateurs privés ou d’entreprise, pour financer des projets partout dans le monde. Enfin, la sensibilisation des esprits, grâce à un effort de documentation de nos actions et expériences sur le terrain.

« L’Association mondiale des amis de l’enfance (Amade) a été fondée en 1963, à l’initiative de la princesse Grace de Monaco. Elle a été l’une des premières à vouloir s’appuyer sur un réseau de structures locales, puisqu’à l’origine il y avait l’Amade de Monaco, qui centralisait les actions, et des Amade dans différents pays »

Quelles sont les actions rendues possibles par l’Amade ?

Il y en a eu tellement, en soixante ans d’existence… Nous menons, en moyenne, une vingtaine d’actions par année. Récemment, suite au premier confinement pendant la pandémie de Covid-19, nous avons, par exemple, lancé un programme d’urgence, pour aider les jeunes vulnérables. Il a commencé dans les Alpes-Maritimes, puis il a été étendu à la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur (Paca). Nous l’avons documenté, et il a fini par aboutir à une loi, finançant la même action sur le territoire national. Autre exemple qui me vient à l’esprit : la reconstruction d’une école primaire aux Philippines. Le 8 novembre 2013, un typhon s’est abattu sur l’archipel. Ça a été l’un des plus forts de l’histoire, puisqu’il était de force 5. Il a provoqué la mort de plusieurs milliers de personnes, dont une majorité d’enfants, et affecté directement près de 14 millions d’habitants. Une mission de l’Amade, menée conjointement avec la fondation Virlanie, s’est rendue à Tacloban, sur l’île de Negros, qui faisait partie des régions les plus touchées par cet événement tragique. Et l’association s’est engagée en faveur de la réhabilitation de l’école élémentaire de Tiglawigan, d’une capacité de 800 élèves. Aujourd’hui, elle accueille toujours des enfants, et c’est une bonne démonstration de notre façon de fonctionner : face à l’urgence, nous mettons en place des choses pour aider concrètement, et de façon pérenne. Avec, dans l’idée, de faire en sorte que notre appui devienne « inutile » aux partenaires, qui peuvent ensuite faire fonctionner le projet sans nous. C’est le cas de cette école.

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© Photo Amade / William Dupuy

Vous avez d’autres exemples ?

Toujours aux Philippines, nous menons, avec l’Acay Missions Philippines, le projet « école de vie », en faveur de l’accompagnement à la reconstruction et à la réinsertion de jeunes filles victimes d’abus, d’exploitation, et de violence. Il s’est concrétisé de différentes manières : prise en charge des jeunes filles en résidentiel, prise en charge médicale, activités ludiques et culturelles, travail de reprise ou de reconstruction du lien avec les familles, entretiens cliniques et psychologiques, mise en place de formations intensives, soutien scolaire… Le tout, avec de beaux résultats : les bénéficiaires sont en sécurité, elles sont logées, nourries et prises en charge dans leurs besoins quotidiens. Elles peuvent se réconcilier avec les événements traumatiques de leur passé, elles sont formées à la prise d’initiatives et de responsabilités, et elles sont scolarisées. Elles reçoivent un accompagnement qui favorise leur réintégration sociale et professionnelle, ainsi que leur autonomisation progressive.

« Notre modèle a évolué depuis une dizaine d’années, puisque nous avons fait le choix de ne pas être un opérateur direct. Selon nous, les acteurs locaux sont plus à même d’apporter des réponses adaptées et durables aux problématiques auxquelles font face les enfants dans différents pays »

De nombreuses actions ont, par ailleurs, été menées sur le continent africain ?

Absolument. En 2017, par exemple, la princesse de Hanovre, qui préside l’Amade, s’est rendue à Gbadolite, pour l’inauguration de la première usine de fabrication de protections intimes en République démocratique du Congo, construite dans le cadre du projet, « dignité pour les femmes ». Ce site emploie une centaine de femmes. Elles participent à toutes les étapes de la production, depuis la récolte du papyrus, jusqu’à la ligne de montage, l’emballage et la stérilisation de serviettes hygiéniques qui n’utilisent pas d’éléments chimiques et sont biodégradables à 95 %.

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© Photo Heal Africa

Quoi d’autre ?

En République démocratique du Congo toujours, nous avons appuyé une action de prise en charge et de réinsertion de jeunes filles des rues accusées de sorcellerie, pour un financement de l’ordre de 140 000 euros. Cet appui permet chaque année à 30 jeunes filles, âgées de 8 à 17 ans de bénéficier d’une aide intégrale avec hébergement, alimentation, accès à l’école et aux soins, dans un centre dédié qui a fait l’objet de travaux de rénovation. Là encore, nous voulons aller au-delà de l’urgence : celles qui peuvent réintégrer leur famille sont soutenues dans leur scolarité, afin d’éviter un nouveau décrochage scolaire. Et lorsque la réintégration familiale n’est pas possible, elles bénéficient d’une formation professionnelle pour qu’elles puissent devenir autonomes.

« En ce moment, nous travaillons sur les problématiques liées à l’état civil. Il y a notamment 230 000 enfants à régulariser en République démocratique du Congo, et 10 000 au Burkina Faso. En Europe, on n’imagine pas tout ce qu’implique le fait de ne pas avoir de papiers. […] Ces enfants se retrouvent vite en situation de grande précarité »

Vous menez d’autres actions en Afrique ?

Nous menons aussi des actions sur le territoire africain concernant l’accès à l’énergie, à la santé… Et, en ce moment, nous travaillons sur les problématiques liées à l’état civil. Il y a notamment 230 000 enfants à régulariser en République démocratique du Congo, et 10 000 au Burkina Faso. En Europe, on n’imagine pas tout ce qu’implique le fait de ne pas avoir de papiers. À la fin de l’école, ces enfants ne sont pas en mesure de fournir les documents d’identité qui peuvent leur être demandés. Résultat, ils se retrouvent vite en situation de grande précarité.

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© Photo Amade / Laeila Adjovi

Quels sont les défis qui attendent l’Amade dans les prochains mois, et même les prochaines années ?

En premier lieu, nous menons de nombreuses actions, intégrées à cinq programmes qui doivent favoriser la protection et l’épanouissement de l’enfance [à ce sujet, lire notre encadré — NDLR]. Ensuite, nous avons l’ambition de nous positionner comme un acteur incontournable de la philanthropie en Europe. Nous sommes d’ores et déjà suivis par des banques importantes, des fondations d’entreprises, et des donateurs privés, qui savent qu’avec nous, ils peuvent faire avancer la cause importante qu’est l’enfance, tout en défiscalisant une partie de leurs dons.

« Face à l’urgence, nous mettons en place des choses pour aider concrètement, et de façon pérenne. Avec, dans l’idée, de faire en sorte que notre appui devienne “inutile” aux partenaires, qui peuvent ensuite faire fonctionner le projet sans nous »

Un exemple ?

Par exemple, nous avons créé le fonds Amade pour l’enfance, hébergé au sein de la fondation roi Baudouin. Si vous êtes redevable en France de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), en faisant un don à ce fonds, 75 % de son montant est déductible de l’IFI. Nous souhaitons amplifier le mouvement, afin de trouver plus d’argent pour développer de nouvelles actions. Je le rappelle, tout ce que nous faisons n’est possible que grâce à nos donateurs et à nos mécènes. C’est avec eux que nous pouvons mener notre mission de protection de l’enfance, partout dans le monde.

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© Photo Amade / William Dupuy

Et à très court terme ?

A très court terme, nous allons lancer une campagne importante en direction de nos grands donateurs. Nous organiserons, aussi, un événement surprise en octobre 2023, pour marquer les 60 ans de l’Amade.

1963-2023 – 60 ans d’Amade

L’Association mondiale des amis de l’enfance (Amade) est une organisation non gouvernementale (ONG) monégasque. Elle a été créée en 1963 par la princesse Grace de Monaco. L’Amade est actuellement présidée par la princesse de Hanovre, Caroline de Monaco. Elle fait partie des organisations de référence s’agissant de la protection de l’enfance, puisqu’elle est dotée du statut consultatif auprès de l’Unicef, de l’Unesco et du Conseil économique et social des Nations unies. Dotée d’un statut participatif, elle intervient aussi auprès du Conseil de l’Europe. Dans son approche, l’Amade privilégie l’aide internationale, la mise en place de partenariats avec des acteurs locaux, le renforcement de capacités locales, et l’autonomisation des enfants. Enfin, elle accorde une importance particulière au respect de l’égalité des chances, en luttant notamment contre les discriminations liées au genre.

Amade : cinq programmes en cours

Afin de répondre aux enjeux de protection et d’épanouissement de l’enfance, l’Amade a créé cinq programmes complémentaires. Début avril 2023, la conférence annuelle de cette association a permis de faire le point sur les actions menées dans le cadre de celles-ci :
« Dignité pour les femmes » : trois projets sont en cours, concernant l’accès à l’hygiène menstruelle, la prise en charge médicale et psychosociale des jeunes filles victimes d’abus sexuels, et la promotion de l’accès des jeunes filles à l’éducation secondaire. L’Amade est d’ailleurs à l’origine de la construction et de l’équipement de différents collèges, afin de favoriser l’accès à une éducation de qualité.
« L’énergie de l’espoir » : l’objectif est de « promouvoir l’accès des enfants à une énergie abordable, durable et de qualité ». Quatre projets sont en cours, concernant la diffusion de lampes solaires pour les écoliers du Sahel, l’éducation digitale dans les collèges, l’accès à des contenus digitaux et à des applications mobiles en faveur de l’éducation des enfants, dans le cadre de l’initiative Tech for Child, et la création d’un réseau de distribution du dernier kilomètre pour l’accès à l’énergie et au numérique.
« Capoeira pour la paix » : cette pratique est vue comme un « vecteur d’accompagnement à la démobilisation et à la réinsertion d’enfants associés aux forces et groupes armés ». Ce programme est actif dans plusieurs pays d’Afrique, comme la République démocratique du Congo, la République Centrafricaine, et le Mali.
« Mineurs non-accompagnés » (MNA) : pour apporter à ces derniers « un appui légal, social et psychosocial » dès leur arrivée, pour « favoriser l’insertion professionnelle et sociale des jeunes migrants en capacité de s’établir », grâce à une formation professionnelle et à une aide culturelle (apprentissage de la langue, de la culture du pays d’accueil…), et pour « promouvoir la prévention des migrations dans les pays d’origine » en sensibilisant les jeunes sur la réalité endurée par les mineurs non-accompagnés en Europe, tout en appuyant la création d’emplois localement.
« Un état-civil pour tous » : selon les données de l’Unicef, dans le monde, 166 millions d’enfants de moins de 5 ans dans le monde n’étaient pas, en 2019, enregistrés à la naissance. Et 237 millions, soit un tiers des enfants dans cette catégorie d’âge, ne disposaient pas d’acte de naissance. L’Amade aide ces « enfants fantômes » à retrouver ou prouver leur identité et à s’inscrire à l’état-civil. « Sans état-civil, ces enfants n’existent pas pour les administrations de leur pays, rappelle Jérôme Froissart, S’ils n’ont pas de certificat de naissance, ils ne peuvent pas justifier de leur filiation, du lieu de leur naissance, de leur âge, ou de leur nationalité. Ils sont donc privés d’identité, et donc de tout accès à la santé, à l’éducation, et aux services sociaux de base. »