Des surcoûts qui se chiffrent en centaines de millions d’euros, des retards qui se comptent en années…

La gestion du chantier du nouveau centre hospitalier princesse Grace

a souvent été pointée du doigt par le Conseil national. A l’occasion de la visite de chantier organisée mercredi 30 octobre 2019 par le CHPG, Jean-Luc Nguyen, directeur des travaux publics, a tenu à justifier ces dépassements et retards.

«Les élus sont très inquiets de la situation du chantier du nouvel hôpital, qui accuse déjà, dans sa phase 1, un retard de 5 années […]. Parallèlement à ces retards préjudiciables pour cet établissement de santé, les patients et l’ensemble du personnel, le Conseil national ne peut que déplorer l’envolée des coûts des travaux », avait déclaré en octobre 2019, l’élu de la majorité Priorité Monaco (Primo !), Balthazar Seydoux, lors de la première séance publique dédiée à l’étude du budget rectificatif 2019 de l’État.

Plus de 130  millions d’euros de dépassement

Un constat partagé par le président du Conseil national, Stéphane Valeri, qui avait alors pointé les insuffisances du gouvernement en matière de gestion des chantiers publics : « Le compte n’y est pas : les retards s’ajoutent aux surcoûts, qui se cumulent parfois avec des problèmes de qualité […]. Nous parlerons donc malheureusement des chantiers du nouveau centre hospitalier princesse Grace (CHPG), avec déjà 5 ans de retard en 5 ans de travaux, et plus de 130 millions d’euros de dépassement ». Initialement estimé à 668 millions d’euros en 2013, le budget du nouvel hôpital a été réévalué à 795,7 millions d’euros, soit « une hausse de 19 % du coût total », a indiqué dans son rapport Balthazar Seydoux. Si le gouvernement, par la voix de son ministre d’État, Serge Telle, avait reconnu « un retard significatif de 35 mois », le surcoût du nouveau CHPG avait été justifié par les « diverses adaptations du programme : création d’une quatrième aile, fusion des phases 2 et 3, agrandissement du hall ». En raison du retard pris par le chantier, le gouvernement avait toutefois décidé de retirer l’inscription de 45 millions d’euros prévue au budget rectificatif 2019.

Une reconstruction sur site complexe

A l’occasion de la visite de chantier organisée par le CHPG, mercredi 30 octobre 2019, il a bien évidemment été question de budget et des surcoûts engagés depuis le début des travaux. Devant une cinquantaine d’architectes, ingénieurs et managers hospitaliers internationaux, réunis dans la région pour le congrès francophone des Journées de l’architecture en santé, le directeur des travaux publics, Jean-Luc Nguyen, a confirmé que le projet du nouvel hôpital était « l’un des plus complexes de notre portefeuille d’activités. Nous ne manquons pas de projets importants mais l’hôpital est un très gros projet ». Il faut dire qu’avec un budget aujourd’hui estimé à 800 millions d’euros, le nouveau CHPG représente le deuxième plus gros chantier de la principauté après l’extension en mer, dont le budget est évalué à 2 milliards d’euros. Réalisée sur site faute d’emprise foncière à Monaco, la reconstruction de cet hôpital est particulièrement complexe, comme le confie Benoîte de Sevelinges, directrice du CHPG : « La reconstruction sur site est la plus difficile. Les conséquences de ce choix étaient connues dès le départ, avant même qu’on lance le concours. Le phasage était inévitable, ce qui allonge la durée du projet et engendre des difficultés ». Manque de place, environnement ultra-urbanisé, problèmes d’accessibilité… Jean-Luc Nguyen reconnaît les difficultés rencontrées : « Les travaux ont débuté en 2015. Quatre ans après le début des travaux, nous avons connu quelques difficultés géotechniques, de configuration du terrain… Sur plan on avait tout prévu, mais à l’exécution, c’est toujours un peu plus complexe ». Même son de cloche chez Jérôme Bataille, un des architectes du projet : « Le chantier a pris un peu de retard en raison de difficultés géotechniques et complexités générales de l’opération, qui n’a peut-être pas été appréhendée à sa juste mesure ». Pour faire face à ces difficultés, des mesures ont donc dû être prises entraînant de facto des surcoûts.

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« L’actualisation. Chaque année, si vous mettez 1,5 à 2 % d’actualisation, même 1 % cela représente environ huit millions d’euros par an.

Cette augmentation est inévitable pour un tel chantier  »

Jean-Luc Nguyen. Directeur des travaux publics

Des surcoûts importants

Mais les aléas techniques ne justifient pas à eux seuls un dépassement de plus de 130 millions d’euros. Le directeur des travaux publics a tenu à expliquer ce dépassement budgétaire. « Dans une opération au long cours, l’actualisation des coûts est quelque chose d’inévitable. Le coût des travaux est revu à la hausse même si vous ne faites aucun changement », a déclaré Jean-Luc Nguyen avant d’ajouter que l’ajout d’une quatrième aile, décidé en 2016, représente aussi « une source de coût ». Mais ce n’est pas tout : « Il y a aussi eu des aléas techniques et des évolutions de programme pour améliorer la flexibilité des locaux. Les métiers de la médecine vont évoluer et des décisions ont été prises pour favoriser la flexibilité dans le temps. On a aussi affiné la séquence des opérations tiroirs car le projet a une séquence de déménagements, de réinstallations dans les nouveaux locaux qui est relativement complexe. Cette organisation a donc été affinée en 2018. Nous avons identifié des travaux à faire, y compris sur l’existant pour permettre ces déménagements successifs ». Pour Jean-Luc Nguyen, ces dépassements se chiffrent à « une vingtaine de millions d’euros », mais ils entraînent surtout « beaucoup d’années de retard ». Et ces retards ne sont pas sans impact économique, comme l’explique le directeur des travaux publics : « Financièrement, les années de retard ont aussi un impact, puisque pendant ce temps-là, il faut maintenir l’actuel hôpital au sommet de la performance. Et donc, il y a aussi de l’investissement sur l’actuel hôpital pendant que les travaux du chantier prennent du retard ».

Des retards aujourd’hui « stabilisés »

Les retards sont d’ailleurs l’autre sujet de préoccupation du Conseil national concernant ce chantier faramineux. Son président, Stéphane Valeri, avait souligné lors des séances publiques du mois d’octobre que le nouveau CHPG accusait « déjà cinq ans de retard en cinq ans de travaux ». Un retard conséquent que regrette le directeur des travaux publics : « Je déplore ce retard. Nous avons pris beaucoup de retard sur la partie non hospitalière. C’était du génie civil, un ouvrage d’art… ». Selon Jean-Luc Nguyen, ces retards, qui s’expliquent en partie par les difficultés géotechniques et la configuration du terrain, ne sont plus qu’un mauvais souvenir. « Aujourd’hui, le retard est stabilisé. On a arrêté de perdre du temps », assure-t-il. Pour ne pas accuser plus de retard, une dérogation pour travailler de nuit aurait été accordée par le gouvernement. Le directeur des travaux publics a d’ailleurs profité de ce tour du propriétaire pour évoquer le calendrier à venir. S’il a confirmé l’annonce de Serge Telle lors de la séance publique du 8 octobre dernier, à savoir une entrée des premiers patients prévue pour « fin 2025 », Jean-Luc Nguyen a aussi dévoilé les prochaines étapes des travaux : « Nous attaquons en 2021 la construction des deux premières ailes qui seront achevées en travaux à la fin 2024. Il y a ensuite la phase de réception. Et on compte avoir les premiers patients fin 2025. Ensuite, l’opération de tiroirs va commencer. On attaquera la deuxième phase en 2026 pour un achèvement des bâtiments en 2030. Les opérations de tiroirs vont encore se dérouler entre 2030, et probablement 2032. C’est vraiment une opération au long cours. » Du côté des élus du Conseil national, on sera assurément très attentifs au respect de ce calendrier.

Un chantier à 1 milliard d’euros ?

Quant à savoir si de nouveaux aléas pourraient encore perturber les travaux et retarder les délais de livraison du chantier, Jean-Luc Nguyen se veut rassurant : « Je pense que l’on est sorti des grosses zones d’aléas techniques ». Ses objectifs pour la suite des travaux sont d’ailleurs clairement exprimés : « Je veux limiter au maximum les aléas et minimiser les zones d’incertitude. Il peut aussi y avoir des modifications de programme. Mais aujourd’hui sur les deux premières ailes, le sujet semble relativement stable ». Si les retards semblent donc aujourd’hui plus ou moins maîtrisés, Jean-Luc Nguyen se montre en revanche moins catégorique concernant les dépassements et les surcoûts. Le spectre d’un chantier à un milliard d’euros n’est en effet pas écarté. « Le budget va subir l’actualisation. Chaque année, si vous mettez 1,5 à 2 % d’actualisation, même 1 % cela représente environ huit millions d’euros par an. Cette augmentation est inévitable pour un tel chantier », précise Jean-Luc Nguyen. « Dire que le budget n’évoluera pas est impossible hélas. Ne serait-ce qu’avec l’actualisation, ça va bouger », prévient-il. Reste désormais à savoir jusqu’à quel point la facture va s’alourdir…