samedi 27 avril 2024
AccueilActualitésJudiciaireRobert Gelli : « La prison n’est que le reflet de la société »

Robert Gelli : « La prison n’est que le reflet de la société »

Publié le

Le secrétaire d’État à la justice, Robert Gelli, explique à Monaco Hebdo comment la maison d’arrêt monégasque s’adapte aux nouvelles réalités de détention. Interview.

Comment a évolué le milieu carcéral ?

La prison n’est que le reflet de la société. On voit bien que la société évolue, qu’il y a des phénomènes de violence, des problèmes psychiatriques aussi. En prison, énormément de détenus ont des troubles psychiatriques. Dans la société aussi. Et on retrouve ces phénomènes de violence, qui n’est pas seulement physique, mais aussi verbale. Il y a beaucoup d’agressivité, de la difficulté à respecter des horaires, à respecter des contraintes… L’individualisme forcené, que certains peuvent avoir à l’extérieur, se retrouve aussi en prison.

Comment luttez-vous contre le suicide en prison ?

Nous avons eu un suicide fin 2019 [un détenu de 28 ans, incarcéré pour vols et usages frauduleux de moyens de paiement, s’est pendu dans sa cellule en novembre 2019 – NDLR]. Nous en avons tiré les leçons, puisque nous avons renforcé le dispositif, notamment pour les entrants en prison, en faisant une évaluation du risque suicidaire plus poussée. Nous avons aussi mis en place des signalements possibles sur les risques suicidaires de la part de la famille, ainsi que des évaluations régulières faites avec le service santé et les personnels de détention. Nous avons donc renforcé le dispositif de détection du risque suicidaire.

Et contre la radicalisation ?

Concernant la radicalisation, il faut surtout qu’il y ait une sensibilisation à la détection des signes de façon à pouvoir être en alerte et à pouvoir prendre en charge de façon plus précise certains détenus. Nous n’avons pas aujourd’hui, fort heureusement, de problématique majeure en termes de radicalisation à Monaco. Pour autant, il faut être vigilant. Et à cet égard, l’expérience française nous est très précieuse. Cela fait partie des éléments de la formation et de la sensibilisation.

Comment prenez-vous en charge les troubles psychiatriques ?

Nous les prenons en charge en lien avec le service psychiatrique de l’hôpital. Dès lors que nous avons des problématiques de cette nature, nous avons un médecin rattaché à la prison qui va faire le lien avec le psychiatre de l’hôpital. Et nous avons régulièrement des admissions à l’hôpital pour des raisons psychiatriques.

« Il y a beaucoup de violence, d’agressivité, de la difficulté à respecter des horaires, à respecter des contraintes… L’individualisme forcené, que certains peuvent avoir à l’extérieur, se retrouve aussi en prison »

Robert Gelli, secrétaire d’État à la justice

Où en est-on avec le régime de semi-liberté à Monaco ?

La loi a désormais prévu cette possibilité. Nous sommes un peu en « difficulté immobilière » pour développer la semi-liberté. Et c’est tout le sens des travaux qui sont actuellement lancés et qui vont permettre de créer des nouveaux espaces de détention en utilisant les appartements du directeur et du directeur adjoint. Nous pourrons ainsi créer un espace, un quartier un peu nouveau, quelques cellules déconnectées de la détention afin que le semi-libre puisse sortir le matin pour travailler et rentrer le soir. Ces mouvements ne doivent pas être les mêmes que la détention ordinaire. Il faut donc disposer d’un espace complètement distinct, avec deux entrées séparées. Les travaux, qui débuteront après l’été 2021, permettront de répondre à cette possibilité. Cela étant, si des mesures de semi-liberté étaient d’ores et déjà prononcées, on essayerait de le faire avec les moyens du bord pour l’instant.

Combien de temps vont durer les travaux ?

Il est difficile de répondre à cette question. Moi, je table sur premier semestre 2022.

D’autres aménagements sont-ils prévus à la prison de Monaco ?

Nous voulons aussi répondre aux préoccupations du comité européen pour la prévention de la torture (CPT), en augmentant les salles d’activité et en améliorant les conditions de travail des surveillants, en faisant des salles de repos un peu plus dignes que celles que nous avons aujourd’hui. Cela nous permet aussi de fermer un quartier considéré, à juste titre, par le CPT comme un quartier qui n’est pas du tout adapté. Nous voulons donc ouvrir un certain nombre d’espaces, et mettre également une nouvelle cour de promenade, parce que l’actuelle est limitée.

Combien de personnes sont aujourd’hui détenues à Monaco ?

Aujourd’hui, 12 personnes sont détenues à Monaco. Ce qui est peu par rapport à ce que nous avons connu. La moyenne des détenus se situe en effet plutôt aux alentours d’une trentaine. Avec le Covid-19, nous sommes tombés à une dizaine de détenus, et, pour l’instant, nous ne remontons pas. Je pense que cela est principalement lié au fait qu’il y a moins de passages. Car l’essentiel de notre population pénale vient de l’extérieur.

« Avec le Covid-19, nous sommes tombés à une dizaine de détenus, et, pour l’instant, nous ne remontons pas. Je pense que cela est principalement lié au fait qu’il y a moins de passages. Car l’essentiel de notre population pénale vient de l’extérieur »

Robert Gelli, secrétaire d’État à la justice

Quel bilan dressez-vous de la gestion de la crise sanitaire ?

Nous avions une crainte majeure qui était que le virus entre en détention. Nous avons donc pris énormément de mesures, et, jusqu’à présent, le virus n’est jamais rentré dans la détention, et aucun détenu n’a été infecté. Nous avons eu des surveillants positifs. Et à chaque fois, nous avons pris des mesures d’isolement. Toute une série de mesures barrières a été prise de façon stricte, et ça s’est bien passé.

Quelle est la situation aujourd’hui ?

Les personnels ont tous été vaccinés, sauf ceux qui ne le voulaient pas. Mais une très grosse majorité l’a été. Et les détenus aussi, en tout cas ceux qui restent à Monaco.

Monaco a-t-il des choses à apprendre de la France dans le domaine de la réinsertion ?

Oui, bien sûr. Et c’est un sujet sur lequel il faut que nous travaillions. Mais c’est quand même compliqué, parce que la plupart des détenus ne sont pas monégasques. Ils n’ont pas d’ancrage ici, ou dans les communes voisines. Pour autant, nous essayons quand même de travailler cette question, ne serait-ce que pour les Monégasques et pour les personnes qui habitent dans les communes voisines. Tout un travail doit être mené sur ces questions. Et l’expérience française, en la matière, nous est utile.

Pour lire notre article « La prison de Monaco veut tendre vers plus de professionnalisation » cliquez ici.