samedi 27 avril 2024
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Logement domanial : une fraude à la sous-location ravive les passions

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Fautive oui, mais pas coupable. La jeune Monégasque qui, à l’occasion du week-end du Grand-Prix de Formule 1 2018, avait proposé son appartement au tarif de 1 400 euros pour deux nuits sur le site Airbnb, a été relaxée par le tribunal correctionnel ce 22 janvier.

Les juges ont donc tranché : « Sous-louer son logement n’est pas constitutif du délit d’abus de confiance » pour lequel une jeune Monégasque était poursuivie… avant d’ajouter que « cela ne veut pas dire que cette pratique est tolérée ! ». A Monaco, le bail de tout logement domanial, et donc social, interdit en effet expressément la sous-location, « sous quelque forme, durée et modalités que ce soit ». Le gouvernement monégasque est très clair sur le sujet : « La finalité des appartements domaniaux est de loger les nationaux dans des conditions privilégiées, sans que les occupants n’en tirent un profit financier. » Profit substantiel, en l’occurrence : 1 400 euros pour deux jours de sous-location d’un appartement, dont le loyer mensuel, fixé par l’administration des domaines est de 615 euros par mois.

« Une faute uniquement civile »

Du côté des pouvoirs publics, le discours reste ferme : « Le gouvernement princier fait preuve en la matière de la plus grande fermeté : tout manquement constaté peut entraîner la restitution du logement. » La sanction “civile” est donc rapidement tombée, puisque l’administration des domaines a mis un terme au contrat de bail de la locataire fautive, qui a dû déménager. « Ma cliente a commis une faute, qu’elle ne conteste d’ailleurs pas, explique son avocat, Me Arnaud Cheynut. Mais il s’agit d’une faute uniquement civile [une violation du contrat de bail — N.D.L.R.], et non pénale ». L’affaire aurait donc pu s’arrêter là. Surtout que le code pénal monégasque ne prévoit aucun délit de « sous-location ». C’était compter sans la décision du parquet de poursuivre — « une initiative, et en aucun cas une instruction de la direction des services judiciaires » précise la procureure-générale, Sylvie Petit-Leclerc — sur le fondement de l’article 337 du code pénal, qui réprime l’abus de confiance. À l’audience, la représentante du ministère public avait requis une peine de 4 mois de prison, avec sursis.

Tensions autour du logement des Monégasques

« Choqué d’apprendre que l’on poursuive [sa] cliente sur le terrain pénal après une sanction civile déjà très lourde puisqu’elle a perdu son logement », Me Cheynut est d’autant plus soulagé, ce 22 janvier 2019, que le tribunal n’ait pas suivi le raisonnement juridique du parquet et n’ait pas appliqué à sa cliente ce qui aurait pu être considéré comme une « double peine ». Quoi qu’il en soit, cette affaire a provoqué un certain émoi à Monaco. Des messages d’insultes ont été adressés à la justice, lui reprochant de poursuivre pénalement cette Monégasque. Ces messages ont circulé sur les réseaux sociaux, remontant jusqu’aux oreilles de la procureure-générale. La question du logement des Monégasques est toujours sensible en principauté, et pour cause : d’après le dernier recensement, 8 378 Monégasques y résident, soit 90 % des nationaux, alors que le parc de logements domaniaux compte 3 334 appartements. C’est insuffisant. D’ailleurs, la commission d’attribution de logements domaniaux du 22 janvier 2019 s’est soldée par « près de 300 demandes de foyers monégasques non satisfaites », comme l’a souligné le Conseil national dans un communiqué (lire par ailleurs).

« Impossible d’évaluer l’ampleur de la sous-location »

Le logement des Monégasques est « une priorité constante et elle est au cœur de nos préoccupations », insiste le gouvernement princier. Près de 300 logements domaniaux sont en cours de réalisation, auxquels s’ajoutent « plusieurs nouvelles opérations immobilières, actées au cours des séances du budget primitif 2019 en vue de la livraison de plusieurs centaines d’appartements neufs supplémentaires. Suivant les orientations exprimées par le prince Albert II, un “plan logement” est actuellement en cours de préparation, avec comme objectif de développer une vision à moyen et long termes, et de ne plus être confrontés à une tension dans ce secteur », ajoute le gouvernement. Si la question est sensible, difficile pour autant d’évaluer la proportion de logements sous-loués en principauté. « Le phénomène serait récurrent selon le parquet, qui s’en est ému à l’audience », glisse Me Arnaud Cheynut. Ce que ne confirme pas la procureure-générale, soulignant que l’affaire est d’ailleurs inédite devant le tribunal. Du côté du gouvernement on se dit « attentif au développement de cette pratique […] sans qu’il ne soit possible d’en évaluer précisément l’ampleur ». Rien ne permet donc d’affirmer qu’il existe une véritable recrudescence des sous-locations de logements des domaines. Les cas avérés chaque année se compteraient sur les doigts de la main. Pour autant, l’administration des domaines veille : selon nos informations, elle scrute notamment les offres sur Airbnb. Et lorsqu’un doute apparaît sur une annonce, elle sollicite le tribunal pour obtenir l’autorisation d’envoyer un huissier sur place pour constater une éventuelle sous-location. Avec, à la clé, le risque de se voir expulser.