vendredi 26 avril 2024
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« C’est marqué au fer rouge »

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Relaxé par le tribunal correctionnel de Marseille dans l’affaire de la tour Odéon, le maire de Beausoleil, Gérard Spinelli, se confie à Monaco Hebdo sur les sept années de procédure et ses 80 jours de détention à la prison des Baumettes, à Marseille.

Après sept ans d’instruction, qu’avez-vous ressenti quand le tribunal a prononcé votre relaxe ?

C’est assez compliqué de le définir. L’émotion m’a étreint. Les larmes sont montées assez vite. Il me faudra tout de même plusieurs jours, ou semaines, pour être heureux de cette décision et pour retrouver ma sérénité. Vivre pendant sept ans avec cette accusation de corruption et avec cette image de maire qui a fait de la prison, est très éprouvant. Cette image, je l’aurai sans doute à vie. C’est marqué au fer rouge. Mais je n’en veux à personne. Je n’ai pas de haine.

Votre relaxe ne va pas aider à gommer cette étiquette ?

En partie. Mais la couverture médiatique est moins forte que lorsque j’ai été mis en examen et incarcéré. Beaucoup ne sauront pas que j’ai bénéficié d’une relaxe.

Votre principale ligne de défense a été d’affirmer que vous n’aviez pas le pouvoir d’empêcher la construction de la tour Odéon ?

Je ne pouvais en effet jouer aucun rôle et n’avoir aucune influence dans ce dossier. La Principauté de Monaco est un Etat souverain. En droit international, Monaco n’a qu’un interlocuteur possible : l’Etat Français. Dans cette épreuve, je n’ai donc jamais douté que justice me soit rendue. En revanche, je constate que pendant 7 ans et demi, je n’ai jamais été entendu par la justice. Pas une seule fois. Il n’y a jamais eu de confrontation. J’ai été uniquement entendu durant ma garde à vue en 2009 et au moment de mon procès, en 2016.

Comment l’expliquez-vous ?

Je ne l’explique pas. Je le constate.

Quelles ont été les conséquences de ces sept années de procédure dans votre travail de maire ?

Cela n’a pas vraiment eu d’impact sur mon travail de maire. J’ai gardé la confiance totale des élus du conseil municipal. Aussi bien dans la majorité que dans l’opposition. Personne n’a réclamé ma démission. Les Beausoleillois m’ont également fait confiance. Ils ont toujours su qu’il s’agissait d’une manipulation. J’ai d’ailleurs été réélu en 2014 avec plus de 70 % des voix. C’est le meilleur score que j’ai réalisé sur l’ensemble de mes mandats.

La ville de Beausoleil a été pénalisée par cette affaire ?

Sans doute en termes d’image. Je ne suis pas certain de pouvoir bien le mesurer, mais j’ai le sentiment que nous avons pu mener tous nos projets pour la ville. J’étais conseiller départemental depuis 2008, mais je ne me suis pas senti autorisé à me représenter à ma propre succession en 2015.

Pourquoi ?

Parce qu’après six ans de procédure, cette affaire n’était pas encore jugée. Et cela aurait forcément déclenché une campagne très violente contre moi et la ville de Beausoleil.

Comment a réagi la population à votre relaxe ?

J’ai senti un très fort soutien. On me serre la main plus intensément. C’est sans doute un signe de compassion par rapport aux trois mois de prison que j’ai fait pour rien et à toutes ces années de procédure.

Pendant ces années, avez-vous envisagé d’arrêter la politique ?

Arrêter, tous les hommes politiques y songent. Mais arrêter à cause de cette affaire, non, jamais. J’étais étranger à ce qui m’était reproché. La question ne pouvait donc pas se poser pour moi.

Vous n’avez pas hésité en revanche à vous présenter aux élections municipales de 2014…

En effet, je n’ai pas hésité. C’était une démarche fondamentale pour moi de me représenter. J’avais besoin de savoir ce que pensaient réellement les Beausoleillois.

Vous aviez besoin d’un soutien des urnes ?

Oui. Car même si l’on me manifestait beaucoup de soutien dans la rue, on n’y croit pas toujours… Le bulletin de vote est secret. C’était une preuve tangible.

Considérez-vous avoir été malmené par les médias pendant cette affaire ?

J’ai très mal vécu le fait que mon nom soit associé à l’affaire « mains propres ». L’affaire “mani pulite” en 1992 en Italie touchait la mafia, le trafic de cocaïne, le racket, la prostitution, les meurtres… C’était donc totalement inapproprié. D’autant que les personnes présumées mafieuses qui ont été arrêtées en même temps que moi ont été relâchées moins de 24 heures après, sans qu’aucune charge ne soit retenue contre eux… Je trouve dommage que l’affaire ait continué à être nommée de la sorte pendant 7 ans.

En prison, lisiez-vous les articles qui évoquaient ce dossier ?

Non. Lorsque j’étais en prison, je n’ai jamais voulu lire un quelconque article de presse sur tout cela. Car on ne peut pas se défendre derrière les barreaux. Je me souviens une fois avoir lu dans Le Nouvel Observateur un article sur la mafia en Suisse où mon nom était cité. J’ai vécu deux jours d’enfer à ruminer en boucle cet article et à ne pas dormir.

Vous considérez toujours avoir été victime d’une manipulation politique ?

Je considère toujours en effet que c’est une manipulation politique. Rien ne me permet de changer d’opinion aujourd’hui.

Qui est à la manœuvre ?

Je ne vais pas répondre. J’ai envie de passer à autre chose, désormais. Je veux consacrer toute mon énergie à mon action politique, de façon libre et indépendante.

Allez-vous réclamer des dédommagements par rapport aux 80 jours passés en prison ?

Je n’ai pas encore pris de décision. J’ai encore besoin de prendre du recul et du temps pour réfléchir.

Quelles ont été vos relations avec Monaco pendant toutes ces années ?

Très bonnes. Que ce soit à Monaco ou dans les Alpes-Maritimes, mes interlocuteurs ont toujours travaillé avec moi, comme si de rien n’était. Je n’ai jamais senti une quelconque suspicion avec les autorités françaises. Que ce soit avec la gendarmerie, la préfecture ou la police. Nous avons toujours travaillé de manière efficace et en pleine confiance.

La prison vous a changé ?

Cette expérience m’a endurci. J’ai perdu une partie de ma sensibilité. Mais la perte de sensibilité n’est pas un handicap dans mon travail de maire. Je reste très efficace et réactif quand les Beausoleillois me parlent de leurs problèmes. Je suis sans doute moins dans la compassion, mais je reste dans l’action. En revanche, c’est un problème dans ma vie privée.

Qu’est-ce qui a été le plus éprouvant en prison ?

Lorsque j’ai été incarcéré fin novembre 2009, je ne savais pas combien de temps je resterai en prison. C’est très dur de ne pas connaître le moment de sa libération. Ma détention pouvait durer jusqu’à 2 ans. Mentalement, je m’étais préparé à cette durée. Paradoxalement, le moment le plus dur a été celui qui a précédé ma libération… Pendant trois jours, je n’ai presque plus dormi. Je ne suis plus sorti en promenade. Je n’ai plus respecté mes habitudes. Chaque minute paraissait être une éternité.

Quelle sera votre réaction si le parquet fait appel (1) ?

Sept ans, c’est déjà très long… Je le répète, je n’ai jamais été entendu par le juge d’instruction et aucune confrontation n’a eu lieu. Mais si un appel devait avoir lieu, je le vivrais avec la même sérénité que durant ces sept dernières années.

(1) Le tribunal correctionnel de Marseille a rendu son délibéré le 25 janvier. Le parquet a 10 jours pour faire appel.