vendredi 29 mars 2024
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Ruchdi Hajjar Jr : « Singapour est le Monaco de l’Asie »

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Après la conférence organisée par le Monaco Economic Board le 23 septembre 2021 pour présenter les opportunités d’investissements à Singapour aux entrepreneurs monégasques, Monaco Hebdo donne la parole à Ruchdi Hajjar Jr, enfant du pays et cofondateur de l’entreprise SGMC Capital à Singapour, où il vit depuis 12 ans.

Quel est votre parcours à Singapour ?

Je me suis installé à Singapour il y a 12 ans et j’ai co-fondé SGMC Capital en 2017, dans l’objectif de créer des synergies, des passerelles, entre Monaco et Singapour. Il s’agit d’une société de “multi family office”, spécialisée dans la gestion de fortunes, de fonds et d’“asset management” [gestion d’actifs — NDLR].

Parmi les atouts de Singapour, peut-on évoquer son cadre juridique ?

Le cadre juridique de Singapour est clair, sûr et efficace. Le système est très droit, pour ne pas dire honnête. Le système est “business friendly” [favorable aux affaires — NDLR], car il est dynamique et attractif. Il permet d’envisager une installation d’entreprise, ou une prise de participation, dans un cadre juridique très précis. Grâce à ce cadre, les installations d’entreprises peuvent se faire rapidement, et en toute confiance selon moi. C’est très important quand on s’exporte dans un pays aussi lointain. C’est bien plus bénéfique pour les entrepreneurs. Ici, le rapport à la loi est transparent, le gouvernement a mis en place un tissu légal clair, où l’information juridique est disponible.

« Il y a un certain avantage pour les entrepreneurs à s’installer à Singapour, car les impôts sur le profit sont quasiment inexistants lors des trois premières années »

Politiquement, ce pays est stable ?

Oui, il existe une vraie stabilité politique à Singapour, qui s’est d’ailleurs inspiré de Monaco politiquement. Le parti principal au pouvoir, le Parti de l’action populaire (PAP) réunit entre 60 et 80 % des votes à chaque élection, depuis l’indépendance du pays [le 9 août 1965 — NDLR]. Cette stabilité et cet équilibre, c’est vraiment la force de Singapour.

Et fiscalement, le système est-il toujours avantageux ?

Il y a un certain avantage pour les entrepreneurs à s’installer à Singapour car les impôts sur le profit sont quasiment inexistants lors des trois premières années, pour une entreprise récemment immatriculée [il existe une franchise d’impôt sur les premiers 100 000 dollars de Singapour (1) de revenus imposables, et un abattement de 50 % sur les 200 000 dollars de Singapour de revenus imposables suivants — NDLR]. C’est important, car avec 630 milliards de dollars d’importations et près de 700 milliards d’exportations, le commerce y joue un rôle essentiel.

« Singapour est devenu la Suisse de l’Asie et les plus grandes banques s’y sont installées. Hong Kong était sa rivale, et c’est l’inverse aujourd’hui. » Ruchdi Hajjar Jr. Cofondateur de l’entreprise SGMC Capital à Singapour. © Photo Monaco Economic Board/Carte Blanche

Existe-t-il des opportunités à saisir dans le secteur de l’énergie ?

Le traitement de l’énergie est un des piliers de Singapour, notamment grâce au détroit de Malacca [un peu plus de deux tiers des flux de pétrole et de gaz y transitent, soit trois fois plus que par le canal de Suez — NDLR]. Singapour est d’ailleurs la plus grande raffinerie “off shore” du monde. On y trouve donc les plus grands noms du secteur à disposition. C’est une très grande manne qui dégage énormément de profit pour le pays. Tout cela en plus du secteur du transport, porté par le port de Singapour, qui est le second port de conteneurs du monde.

Et les secteurs de la biotechnologie et de la recherche et développement ?

Avec les membres du Monaco Economic Board (MEB) de l’étranger, nous observons des synergies avec l’economic board de Singapour sur ces domaines. Ils bénéficient de fortes subventions du gouvernement, ainsi que des initiatives mises en place. Les innovations sont mises en avant en effet, et les échanges sont fluides. Même chose pour les initiatives en “sustainability” [durabilité — NDLR] et en technologie, car le pays veut plus que jamais enclencher la digitalisation de ses produits, comme Monaco. Singapour est le Monaco de l’Asie. Ce que j’aime, c’est que ce pays veut pivoter dans le digital, mais de façon verticale, en donnant accès à ce pivot à toutes les entreprises, même les plus petites, qui ont accès à l’economic board. Les barres ne sont pas trop hautes pour s’y adapter. Pendant cette crise, cela a permis de rester agile pour faire face à l’approche très restrictive du gouvernement du point de vue sanitaire.

« L’aéronautique, c’est le talon d’Achille du pays aujourd’hui, à cause de la crise sanitaire. Singapour a dû puiser dans ses réserves pour garder à flot l’aéroport Changi et Singapore Airlines »

Comment se porte l’activité aéronautique ?

L’aéronautique, c’est le talon d’Achille du pays aujourd’hui, à cause de la crise sanitaire. Singapour a dû puiser dans ses réserves pour garder à flot l’aéroport Changi et Singapore Airlines. À titre d’exemple, seulement 7,5 % des effectifs sont en activité aujourd’hui [Monaco Hebdo a bouclé ce numéro le mardi 12 octobre 2021 — NDLR]. Cela a représenté plusieurs milliards de pertes. Le pays reste fermé au tourisme, et cela a beaucoup impacté l’économie. Il reste tout de même la demande domestique pour maintenir a minima l’activité.

Et le tourisme ?

En temps normal, hors Covid-19, le tourisme se développe bien. Je pense particulièrement au Marina Bay Sands, un complexe hôtelier et commercial inauguré en 2009. Il a été construit en deux ans pour 5,5 milliards de dollars, et la somme a été amortie en seulement un an. C’est incroyable. Le tourisme régional, d’Indonésie, de Malaisie, ou de Thaïlande, a explosé grâce aux casinos, aux jeux et aux complexes hôteliers. Les deux casinos de Singapour, du Marina Bay Sands et du Resort World Sentosa, génèrent à eux seuls près de 6 milliards de dollars chaque année. Las Vegas, par exemple, fait à peine plus [6,45 milliards de dollars — NDLR], avec l’ensemble de ses casinos réunis. Le pays voulait devenir une destination à part entière et ne voulait plus être simplement un “stop over”, c’est-à-dire un point d’étape avant de séjourner en Australie ou en Nouvelle-Zélande.

Que dire de sa place financière ?

Il y a un énorme district financier. À titre de comparaison, Singapour est devenu la Suisse de l’Asie, et les plus grandes banques s’y sont installées. Hong Kong était sa rivale, et c’est l’inverse aujourd’hui pour plusieurs raisons. Pour commencer, Singapour a adapté la digitalisation dans le système bancaire. Ensuite, le tissu légal est très réglementé, avec un système de déontologie important. On n’ouvre pas les bras à tout le monde. L’équivalent du Service d’information et de contrôle sur les circuits financiers (SICCFIN) permet aux investisseurs d’être exposés sur l’Asie dans un cadre sécurisé. Les flux dont donc fluides, et il n’y a pas non plus de contrôles des changes. C’est un point très important.