vendredi 26 avril 2024
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Michel Dotta : « On sentira les
effets de cette crise sanitaire
en septembre ou octobre 2020 »

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Comment le marché immobilier monégasque affronte-t-il la crise sanitaire et le confinement imposé depuis le 17 mars 2020 à Monaco ?

Le président de la chambre immobilière monégasque, Michel Dotta, dresse un état des lieux pour Monaco Hebdo.

Que se passe-t-il sur le marché immobilier monégasque à la vente depuis le 17 mars 2020, date du début du confinement ?

A la vente, on a pu conclure des transactions déjà engagées, où les fonds avaient été déposés chez le notaire. Les notaires ont assoupli leur dispositif. Ils donnent une délégation au clerc de notaire qui rédige les actes. Les visites d’appartements sont bien sûr interdites, donc il ne se passe plus rien. Dans mon agence, en temps normal on reçoit entre 40 et 60 appels téléphoniques par jour. Aujourd’hui, on est entre 7 et 10 appels.

Et pour le marché immobilier à la location ?

Au niveau gestion immobilière, nous avons à Monaco environ 700 produits, du parking au 6 pièces. Il y a seulement deux locataires d’origine italienne qui nous ont dit qu’ils n’avaient plus les moyens de rester et qu’ils partaient, en laissant la clé chez le concierge. Ce genre de chose arrive aussi en temps normal, généralement une fois par an. Tous les autres locataires qui avaient demandé un congé ont demandé à rester dans leurs appartements un ou deux mois de plus, selon les nécessités. Les entrées et les sorties ont été décalées sans aucun problème. Bien sûr, on ne peut pas faire les états des lieux. On est donc en “stand-by” [« en attente » — N.D.L.R.] à peu près sur tout.

Et le paiement des loyers ?

Pour le paiement des loyers, Monaco travaille généralement selon la logique du trimestre civil. Donc, les loyers du premier trimestre 2020, ont été payés au 10 janvier 2020. Le confinement est très mal tombé, puisqu’il est intervenu presque au départ du début des envois des quittances de loyers pour le deuxième trimestre civil 2020. En ce qui concerne les retours, aujourd’hui, nous avons 12 % d’impayés, quel que soit le local, du parking au 6 pièces. C’est un chiffre qui est légèrement supérieur à d’habitude. Mais c’est normal, puisque nous sommes mi-avril 2020, donc à la moitié du mois. Généralement, nous faisons des relances pour le paiement des loyers au milieu du mois. Mais là, on va décaler ces relances.

Il y a malgré tout des contentieux ?

Globalement, ça se passe très bien. Mais on va peut-être entrer en contentieux avec des locataires avec qui on est presque perpétuellement en conflit. Depuis 2016, certaines personnes ont un peu agi comme des cigales, en prenant des dividendes importants sur leurs entreprises, plutôt que de garder de la trésorerie. Dans le même temps, d’autres se sont comportés comme des fourmis, en conservant de l’argent dans la trésorerie de leurs entreprises. Donc faisons attention aux cigales et aux fourmis. Ne nous laissons pas berner par des gens qui roulaient en Rolls-Royce, et qui nous disent aujourd’hui ne pas avoir 10 000 euros pour payer leur loyer. Dans ce cas, il faut vendre sa Rolls-Royce. Et comme ça, on a de quoi payer au moins un an de loyer, et on peut même s’acheter une petite voiture électrique !

Comment se comportent les acheteurs et les vendeurs ?

On a très peu de contacts avec eux. On n’a pas de demandes d’achats, on n’a pratiquement pas de demandes de locations. Quant aux vendeurs, les mandats sont prorogés. Est-ce que ces gens vont revenir en juillet-août 2020 pour dire « il faut s’activer pour vendre ou pour acheter » ? Je ne le sais pas. J’ignore ce que sera l’état d’esprit des gens, et dans quelle mesure ils auront été impactés par la crise financière.

Quel est l’impact pour les marchands de biens ?

Bien évidemment, les marchands de biens seront les plus touchés. Cependant, les marchands de biens les plus solides ont résisté aux crises précédentes, que ce soit en 1982 ou en 2008-2009. Dans les mois qui ont suivi ces deux crises, il faut se souvenir qu’il ne s’est rien passé, tout simplement parce qu’on était en train de finir des affaires déjà enclenchées. Mais en rentrant de vacances, début janvier 1982, il ne se passait tellement rien qu’on croyait que le téléphone était cassé… Donc j’espère qu’on évitera ça. L’immobilier monégasque est toujours décalé dans le temps d’environ 6 mois, que ce soit pour les baisses ou pour les rebonds.

Les apporteurs d’affaires sont eux aussi impactés par cette crise sanitaire ?

Je ne travaille pas avec des apporteurs d’affaires. Quand on va au café, et que le barman vous donne le nom de l’action qu’il faut acheter en bourse, c’est qu’il y a un vrai problème. On en est arrivé à ce niveau-là, pour le marché de l’immobilier. Donc c’est bien, on va revenir au travail réalisé par de vrais professionnels de l’immobilier. Personnellement, je serai très satisfait si cette crise permet de stabiliser les choses, et de remettre au centre de ce marché les professionnels, même si on va beaucoup souffrir. A nous d’avancer les provisions, à nous d’avoir de la trésorerie pour faire face.

Désormais, comment les employés travaillent dans les immeubles de la principauté ?

Les seuls qui continuent à travailler dans les immeubles sont les gardiens, les équipes de nettoyage, les agents de sécurité… Je remercie d’ailleurs, le conseiller-ministre pour les affaires sociales et la santé, Didier Gamerdinger, qui nous a fourni en urgence des masques afin que la sécurité sanitaire soit maintenue dans les immeubles. Parce que, au départ, et à juste titre, les collaborateurs qui n’avaient pas le matériel nécessaire, avaient le droit de demander leur retrait. Au début de cette crise, on aurait alors pu se retrouver avec un personnel de sécurité en nombre insuffisant pour assurer la sécurité dans les immeubles de grande hauteur (IGH). Mais on a pu éviter cette situation. Aujourd’hui, tous les immeubles ont le personnel nécessaire à leur fonctionnement et à leur sécurité. Devant les concierges, qui sont équipés de masques, des protections ont été installées, un peu comme dans les pharmacies.

Il y a encore des difficultés pour s’approvisionner en masques ?

Ça reste compliqué. Ce matin (1), j’ai encore passé une heure au téléphone pour trouver des masques.

Comment votre profession s’est-elle organisée pour faire face ?

Tous ceux qui font beaucoup de gestion immobilière et gèrent des syndics d’immeubles, continuent de travailler, avec des salariés sur place et d’autres qui sont en télétravail. En revanche, les agences qui font essentiellement de la transaction immobilière ont dû fermer.

En France, depuis le 3 avril 2020, un décret assouplit les procédures et permet, par exemple, de réaliser certains actes authentiques par comparution à distance (2) : est-ce aussi le cas à Monaco ?

La signature électronique était dans le programme du développement électronique de la principauté. Malheureusement, ce texte n’est toujours pas validé. Cela fait très longtemps que je le demande. Je dispose aussi d’une carte professionnelle française, et j’ai été amené à faire des actes à Beausoleil de façon électronique : c’est moderne, et c’est surtout extrêmement pratique. En ce qui concerne la santé, le traçage va bien sûr être prioritaire. Mais ensuite, tout ce qui est signature électronique et documents électroniques doit être lancé dans les plus brefs délais à Monaco. Ce qui permettra de faire face à la problématique des gens qui ont du mal à se déplacer dans certaines circonstances.

Plus globalement, qu’attendez-vous de l’Etat pendant cette crise ?

Nous avons dû traiter les sujets des loyers commerciaux, des loyers de bureaux et des loyers d’habitations. Or, tout le monde ne fait pas très bien la différence sur ces trois sujets, qui sont pourtant très différents. Pour les loyers commerciaux, on vient de proposer d’attendre la fin du mois. S’il reste des cas non résolus, je suggère de monter une commission ad hoc avec des gens qualifiés, notamment le Conseil économique social et environnemental (CESE), l’Etat et des experts comptables, afin d’étudier les cas litigieux et de donner une impulsion. A ce jour, tout est en train de rentrer dans l’ordre. Le gouvernement propose des aides pour les très petites entreprises, donc certains cabinets immobiliers pourront en bénéficier. Mais je pense qu’on va sentir les effets de cette crise sanitaire à la reprise, en septembre ou octobre 2020. Et cela concernera aussi bien les grosses entreprises que les petites.

Les investisseurs déçus de la Bourse où les cours se sont effondrés, pourraient-ils se tourner vers la pierre ?

Il est surtout nécessaire que les banques remplissent leur vrai rôle de banques de prêts hypothécaires purs et non pas de prêts lombards (3). Il faut que les banques prêtent sur un bien immobilier qu’elles ont fait expertiser par experts monégasques. Et là, ça change tout. Parce qu’aujourd’hui, la plupart des prêts qui ont été faits ont été bouclés avec des contreparties basées sur des produits financiers.

Quels sont les principaux atouts du marché immobilier monégasque pour résister de cette crise sanitaire ?

Jusqu’à 2010, les gens achetaient avec des liquidités. Il faudrait connaître le niveau d’emprunts fait par rapport à des achats immobiliers. La vraie clé de la résilience de Monaco est là. Cette résilience dont la principauté a fait preuve lors des crises précédentes, que ce soit en 1982 ou en 2008-2009. En 2009, pour la première fois depuis le début des statistiques, le marché immobilier monégasque avait baissé, mais de façon peu significative. Le marché était alors atone, et ce sont les agences immobilières qui ont été impactées, puisqu’on ne faisait pas de transactions. Mais cette fois-ci, je ne suis pas sûr que ça se déroule de la même manière. Je suis curieux de voir comment ça va se passer.

Des experts estiment que certaines crises permettent aussi d’assainir les marchés, comme le marché immobilier assaini par la crise des “subprimes” en juillet 2007 : cette crise sanitaire peut-elle avoir des effets positifs pour le marché immobilier monégasque ?

Le marché monégasque s’est développé en apportant davantage de diversification dans les produits qu’il propose. Avec aussi bien d’un côté des deux pièces, au Stella, ou de grands appartements, au Testimonio II. Ce marché attire une clientèle qui a rajeuni. Normalement, quand on est jeune on rebondit plus vite, donc, s’il y avait une baisse, peut-être que le marché monégasque rebondira plus vite. Si Monaco conserve ses spécificités, lorsque la clientèle aura tourné un peu partout dans le monde, les gens reviendront. Les Anglais appellent Monaco un investissement “no brain”, c’est-à-dire un investissement qui ne vous prend pas la tête. Et ça ne vous prend pas la tête, parce que Monaco c’est simple, c’est facile, c’est clair, il y a une autorité, et il n’y a pas de changements de législation en permanence. C’est l’exception Monaco.

1) Cette interview a été réalisée le 17 avril 2020.

2) En France, la comparution à distance a été rendue possible depuis le 3 avril 2020 pour les actes authentiques dit « solennels », comme un contrat de mariage, une succession, une donation ou la vente de logements neufs en l’état futur d’achèvement.

3) Un prêt ou crédit Lombard autorise un particulier ou une entreprise à bénéficier d’une avance de trésorerie en mettant en gage certains actifs, souvent des valeurs mobilières : actions, Sicav, obligations, fonds communs de placement…


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