vendredi 19 avril 2024
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L’euro?: la crise de la dizaine

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Banque centrale européenne
© Photo D.R.

Le 1er janvier 2012 marquera les dix ans de la mise en circulation de la monnaie unique dans la zone euro. Un anniversaire mouvementé alors que se tient, en fin de semaine, le sommet européen à Bruxelles.

Au 1er janvier 2012, une partie de l’Europe, dont Monaco, fêtera les dix ans de l’ère monétaire de l’euro. Cet anniversaire ravivera peut-être la nostalgie des premières pièces et coupures, quand la monnaie unique suscitait curiosité et optimisme. Car si, en 2001, Wim Duisenberg, qui fut le premier président de la Banque centrale européenne, avait présenté l’euro comme « un symbole de stabilité et d’unité du continent », la comparaison semble, aujourd’hui, remise en cause. Pour l’instant, l’euro est toujours là. Il a toujours cours en Principauté. Le 29 novembre dernier, le ministre d’Etat Michel Roger a même signé une nouvelle convention monétaire avec la France et l’Union européenne. Le quota fixe d’émission d’euros monégasques a été augmenté passant à 2?340?000 euros par an assortis d’une part variable pouvant atteindre 80?000 euros.
Alors que l’on entend, ici et là, la prophétie d’un retour aux monnaies nationales, l’euro défend un bilan qui n’est pas des plus négatifs après dix ans de présence dans les poches de millions d’européens. « Nous nous sommes aperçus dans les huit premières années de la monnaie unique, que l’euro n’était pas antinomique avec la croissance et l’emploi. La croissance s’est faite sans inflation, et l’euro a aussi favorisé l’intégration commerciale dans la zone euro », explique Xavier Denis, chef économiste à la Société Générale Private Banking. Ce dernier cible également les points noirs de l’euro?: « On a immunisé les pays de la zone euro contre la pression des marchés. Tout le monde a ainsi pu s’endetter à des taux très bas. Ce gain a été mal utilisé, que ce soit dans des politiques de dépenses publiques comme en Grèce ou dans le secteur immobilier en Espagne. Le pacte de stabilité de croissance aurait dû prévenir les dérapages actuels. Il y a aussi eu beaucoup de nationalisme patrimonial limitant l’intégration capitalistique en Europe ».

« L’euro fort pénalise nos exportations »

Quid du bilan de l’euro à Monaco?? Sollicitée, l’Association des activités financières monégasques n’a pas souhaité répondre à nos questions. Pour Michel Dotta, qui préside la Chambre de développement économique monégasque, l’euro a eu un rôle important dans les transactions. « Même si l’euro est aujourd’hui dans une situation critique, force est de constater que la monnaie unique a permis de favoriser les échanges intra-communautaires?: disparition des risques de changes et des coûts de leurs transactions, mais aussi transparence de prix, sans oublier une meilleure mobilité des personnes, des biens, des services et des capitaux au sein de la zone euro. Des avantages importants, lorsque l’on considère que 63 % du commerce extérieur de Monaco se fait en Europe », analyse-t-il. « L’euro a aussi accru la concurrence des entreprises sur le sol européen. Dans le même temps, cela les a obligées à renforcer leur compétitivité à l’international. S’agissant de la scène extra-européenne, les avantages et inconvénients de l’euro sont les mêmes que chez nos voisins de la zone euro. L’euro fort pénalise nos exportations, même si certains s’en sortent mieux que d’autres, notamment les marchés de niche ou haut de gamme, nombreux à Monaco. Les importations sont par ailleurs moins chères. »

« L’euro ne va pas disparaître »

Malgré le pessimisme ambiant quant à l’avenir de l’euro, personne ne pense réellement qu’une disparition de la monnaie unique puisse aujourd’hui avoir lieu. D’autant qu’un démantèlement poserait davantage de problèmes qu’elle n’en résoudrait. « L’euro ne va pas disparaître pour plusieurs raisons. Le processus de création d’une zone monétaire s’inscrit dans un vaste projet politique sous-jacent. C’est un processus long et il n’y a pas de substitut à ce projet. Ensuite, je pense que les pays de la zone euro sont attachés à trouver des parades à la crise. Les créances et les dettes des économies sont libellées en euros. Si on revenait à des monnaies nationales, il y aurait de fortes dépréciations et cela pourrait accélérer la mise en faillite des Etats et du secteur privé. Il apparaît en fin de compte moins coûteux de trouver une solution à la crise actuelle que de défaire la zone euro », décrypte Xavier Denis. Même son de cloche chez Sébastien Prat, consultant chez Deloitte. « Je n’y crois pas. Les enjeux sont tellement nombreux et importants que je vois plutôt un sauvetage de l’euro à moyen ou long terme. Non pas grâce à un regain de la croissance, mais surtout grâce à des positions politiques solides de la part de l’Allemagne et de la France. Je pense qu’une disparition serait assez désastreuse pour l’Europe et pour l’unité dont elle fait preuve depuis de nombreuses années. Mais il ne faut pas non plus faire de catastrophisme, l’effondrement de l’euro ne va pas ruiner les épargnants ni déclencher une guerre?! », dit-il.

Xavier Denis
Xavier Denis, chef économiste à la Société Générale Private Banking. © Photo Michel Labelle.

A Monaco, les acteurs politiques et économiques restent confiants quant au futur de la monnaie unique, tout en évoquant l’hypothèse d’une fin de l’euro. « Un éventuel éclatement de la zone euro aurait évidemment des effets négatifs pour toutes les entreprises de la zone. Dans ce scénario possible, mais pas encore probable, tout est question de savoir si les entreprises ont pu l’anticiper financièrement et légalement. Quoiqu’il en soit, je pense que la majorité des entreprises de la Principauté, qui sont avant tout des acteurs du commerce international, ont d’importantes capacités à anticiper et à rebondir. Leur traversée de la crise économique actuelle m’incite à rester optimiste », affirme Michel Dotta, président de la CDE. De son côté, le ministre d’Etat Michel Roger indique que « Monaco croit en l’euro ». Interrogé sur un scénario catastrophe, le ministre rappelle le contexte monégasque?: « Evidemment, le pire est toujours possible. La situation de Monaco est particulière. Nous sommes en union douanière avec la France. Notre politique monétaire dépend de ce que fait la France ».

« 4 A pour Monaco »

Un retour au franc monégasque serait-il alors possible?? « Ce serait difficile de passer à une autre monnaie. Entre l’euro financier et l’euro que vous avez dans la poche, trois années se sont écoulées. Ce temps est difficilement compressible. On peut penser qu’une loi pourrait ré-autoriser une monnaie dans un pays, mais pas à l’échelle de la zone euro. On se retrouverait dans la même situation que l’Argentine. Les entreprises privées auront gardé leurs dettes en euros et les recettes se feront dans une monnaie plus faible », constate Xavier Denis à la Société Générale Private Banking. Le tableau pourrait donc être assez sombre. « Sur les marchés financiers, ça créerait des divergences de taux d’intérêt et limiterait les échanges internationaux. Il y aurait des pertes de valeur des actifs, des hausses des taux dans les pays pauvres, une augmentation du risque de change, de l’inflation. Le consommateur moyen pour ses achats en produits étrangers peut y perdre en fonction des cours des différentes monnaies », commente Sébastien Prat. « Si le système monétaire de Monaco reste rattaché à celui de la France, notre nouvelle devise sera avec celle de l’Allemagne relativement forte par rapport aux autres pays européens. Néanmoins, les coûts seraient colossaux pour l’Europe et tous ses pays », ajoute-t-il. A l’écriture de ces lignes, l’agence de notation Standard & Poor’s plaçait les 15 pays de l’Eurozone sous surveillance négative. Aucune crainte de répercussion sur la Principauté selon Michel Roger. « Monaco est le seul pays qui pourrait être noté 4 A en Europe », plaisante le ministre.

L’euro monégasque reste « le plus rare »

Les pièces de la Principauté continuent d’être les plus recherchées par les collectionneurs. « L’euro monégasque reste le plus rare car Monaco ne frappe jamais une série égale à l’autre. Le « malheur » du gouvernement et la chance du collectionneur, c’est que la frappe d’euros monégasques a toujours représenté 1/500ème de la frappe de la valeur de la France. Certaines années, il y a ainsi eu peu d’euros monégasques pour une valeur totale de 150?000 ou 200?000 euros », estime Francesco Pastrone, numismate et patron de Gadoury Editions, qui édite des ouvrages consacrés à la numismatie. La nouvelle convention monétaire va cependant changer la donne. « Au minimum 80 % de la valeur des pièces émises pour Monaco doit être mis en circulation. Il y aura des pièces en nombre suffisant pour les faire circuler hors de la Principauté. Il y a en Europe, des dizaines de millions d’habitants qui ne savent pas qu’il existe un euro monégasque. Naturellement, une pièce monégasque tirée à plusieurs millions d’exemplaires va entraîner une très faible plus value sur sa valeur », explique Francesco Pastrone.
Aussi la valeur de l’euro monégasque, a-t-elle fortement chuté en dix ans d’existence. « En 2001 et 2002, les différentes séries d’euros monégasques tournaient entre 500 et 600 euros car il y avait de l’engouement sur le moment ainsi qu’une grande spéculation. Aujourd’hui, cette dernière n’existe plus. Les séries s’élèvent à 200 euros environ », précise le membre de la commission consultative des collections philatélique et numismatique du prince. Pour les pièces de 1, 2 et 5 centimes, la cote s’élève « à quelques centaines de fois leur valeur faciale, si leur état est neuf ». Une plus-value est toujours réalisable sur les pièces de 10, 20 et 50 centimes mais « plus légère » sur les 1 et 2 euros. A l’inverse, les kits originaux de 2001, qui avaient une valeur faciale de 15,24 euros, se maintiennent. « Ils valent environ 400 euros. Le prix s’est maintenu à travers les années. Il y a une forte plus value soit parce qu’il y a des collectionneurs qui prennent le sachet dans son ensemble soit parce qu’il y a des marchands qui coupent et font des séries de huit pièces », indique Francesco Pastrone. Le top de l’euro monégasque reste la pièce de 2 euros, à l’effigie de la princesse Grace. Tirée à 20?001 exemplaires, son prix est estimé à 1?000 euros.