samedi 20 avril 2024
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Monaco face aux verrous européens

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Commission Europeenne
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Le gouvernement vient de dire « non » à l’espace économique européen. Mais cette position ne règle pas les problèmes de nombreuses entreprises monégasques, qui peinent à exercer pleinement leur activité dans le marché intérieur européen. D’autant que la piste des « accords sectoriels » négociés avec Bruxelles semble dans l’impasse. Monaco hebdo s’est penché sur les secteurs touchés. Et les conséquences à long terme pour l’économie monégasque.

Un « non » franc et sans ambiguïté. Monaco n’intégrera pas l’Espace économique européen (EEE). Le gouvernement n’aura finalement pas cédé aux sirènes européennes. C’est par la voix du ministre d’Etat que la Principauté a définitivement tranché le débat. « Il est hors de question que le gouvernement propose un jour l’adhésion à un système qui ferait disparaître l’économie nationale. Qu’on nous fiche la paix avec l’adhésion à l’EEE?! ». Ces déclarations quasi péremptoires de Michel Roger en novembre dernier en séance budgétaire ont donc mis un point final à cette alternative. Ce n’est pas réellement une surprise. Car depuis que le débat s’est invité au conseil national, en décembre 2010, le spectre d’une intégration n’a jamais vraiment suscité l’emballement. Ni au sommet de l’Etat. Ni même chez les parlementaires. Bien au contraire.
Les « anti » ou les sceptiques ont rapidement exprimé leurs craintes, assimilant cette intégration à une sorte de rouleau compresseur. Fin des particularismes monégasques, priorité des nationaux en danger, bouleversement économique et législatif… Pas question donc de foncer tête baissée. Les parlementaires avaient même demandé à ce que la fédération patronale et des experts internationaux se penchent sur le dossier. Histoire de jauger la balance bénéfices/risques pour Monaco.

« Perte de notre identité »

D’autant que la Principauté a été entraînée dans ce débat un peu malgré elle. « Monaco n’a jamais demandé à entrer dans l’EEE », a d’ailleurs rappelé le conseiller de gouvernement aux relations extérieures José Badia en novembre. C’est en effet la commission européenne, qui en décembre 2010, a voulu amorcer une réflexion en proposant aux petits Etats tiers — dont Andorre, Saint Marin et Monaco — une intégration progressive dans le marché unique. Et ce, via l’EEE, un espace qui implique non seulement la libre circulation des marchandises, mais aussi des personnes, des services et des capitaux. Si initialement, le conseiller José Badia avait trouvé « positive » l’approche de la commission européenne, le « non » l’a au final assez vite emporté. « Ces quatre libertés forment un noyau dur de la notion de marché intérieur. Appliquées dans toute leur rigueur, sans aménagement possible, elles entraîneraient rapidement la disparition des mesures de protection existant en principauté en faveur des nationaux, un bouleversement de notre économie et une réelle perte de notre identité nationale, explique José Badia, interrogé par Monaco Hebdo. C’est pourquoi, une telle adhésion a été écartée, même si dès les premiers échanges engagés, il n’a jamais été question d’une « absorption » des petits Etats dans l’UE, ni d’une disparition de ceux-ci et de leurs spécificités ».

José Badia
L'intégration de Monaco à l'EEE aurait entraîné « un bouleversement de notre économie et une réelle perte de notre identité nationale », explique José Badia. © Photo Charly Gallo / Centre de Presse.

« Règles protectionnistes »

Pas question pour autant pour le gouvernement de parler d’un « repli identitaire » ou d’une « réticence idéologique à l’Europe. » « Nous sommes déjà européens, notamment par le Conseil de l’Europe. Il n’est pas question de faire de Monaco un village gaulois. Mais c’est sur ses particularités que reposent les fondements de l’économie monégasque qui est d’ailleurs très différente de celle d’Andorre, de Saint-Marin et du Liechtenstein (1), avait expliqué Michel Roger en février 2011, en conférence de presse. Si nous devions rentrer dans le marché intérieur pour disparaître en tant qu’Etat ayant une économie propre, où est l’intérêt?? » Ce débat avait même soulevé l’inquiétude des professions libérales à Monaco. L’avocat et ex-bâtonnier Me Michel avait d’ailleurs commencé à consulter les professions libérales de la place sur ce sujet. Objectif?: alerter les autorités monégasques sur ce qui aurait pu être la fin de leur monopole à Monaco. Du côté des élus, ce refus a été accueilli plutôt favorablement. Notamment dans l’opposition. « Nous avons toujours été extrêmement réticents à l’idée d’intégrer l’Union européenne ou l’espace économique européen. Nous sommes donc très satisfaits de la position ferme et sans ambiguïté du ministre d’Etat, explique Laurent Nouvion, le leader de Rassemblement & enjeux. Par notre petite taille, nous sommes parfois obligés de défendre notre population par des règles protectionnistes et nationales. Sur ce point, nous n’en démordrons pas. » Reste toutefois à savoir si Monaco souffrira ou non de l’exclusion de cet espace. Car pour l’ancien cadre de la Banque mondiale Bernard Pasquier — auteur d’une tribune libre publiée par Monaco Hebdo dans son n° 728 -, l’avenir économique de Monaco passe inévitablement par l’Europe. Surtout dans le contexte actuel de crise économique. « C’est dommage de balayer d’un revers de main une alternative qui aurait pu rendre la place monégasque plus attractive pour de nombreuses sociétés à Monaco. Peut-être que l’EEE n’était pas la meilleure des alternatives. Mais ce que je regrette, c’est que l’on se soit privé de l’occasion de faire une analyse approfondie sur toutes ces questions. »

Entreprises pénalisées

Car ce débat a permis de mettre en lumière une problématique, demeurée jusqu’à présent en sourdine dans le débat public. Certaines entreprises monégasques qui sont, par définition, implantées dans un Etat non-membre de l’Union européenne, rencontrent selon leur type d’activités, des difficultés pour exporter leurs produits dans les Etats européens. Principales activités pénalisées?: les entreprises cosmétiques et pharmaceutiques. En cause notamment?: une législation communautaire de plus en plus exigeante sur les spécificités techniques de certains produits et sur leur contrôle. Par ailleurs, le fait que la Principauté ne soit pas membre de l’UE ne permet pas à ces entreprises d’enregistrer leur production pour le marché européen depuis Monaco. Elles doivent nécessairement passer par l’intermédiaire d’un importateur ou d’un représentant exclusif implanté dans l’UE (voir page 34). Des mesures qui, inexorablement, alourdissent et ralentissent toutes les procédures.
Autre secteur touché?: les transporteurs routiers. Avec des autorisations de circulation livrées parfois au compte-gouttes, essentiellement par l’Italie, les transporteurs monégasques se voient régulièrement contraints d’envoyer des camions de marchandises en toute illégalité. Sans autorisation. Les transporteurs prennent donc le risque de se faire contrôler sur le terrain. Et de voir non seulement leurs camions immobilisés, mais aussi sanctionnés par de lourdes pénalités (voir page 33). Pour ces entreprises, l’intégration à l’EEE aurait donc permis de lever des barrières réglementaires et de doper leur activité sur les marchés européens.

« Une douzaine de secteurs sont touchés »

Difficile de chiffrer au total combien d’entreprises sont aujourd’hui pénalisées. Mais à en croire le conseiller José Badia, « peu de secteurs sont touchés. Une douzaine aujourd’hui. Et, assez souvent, des dispositions transitoires ont pu être trouvées. Par exemple, les produits pharmaceutiques monégasques ne sont pas reconnus dans l’ensemble de l’UE », résume le conseiller. Autres exemples?: « Bien que fabriqués conformément aux standards européens, les produits alimentaires monégasques d’origine animale ne sont pas admis dans l’UE. Des produits d’Etats tiers à l’UE sont importés à Monaco sans droit de douane, alors que les exportations monégasques vers ces pays sont taxées ». Si les complications pour certaines entreprises sont réelles, « elles ne constituent pas pour autant un blocage global qui affecterait toute l’économie monégasque », estime de son côté le président de la commission des relations extérieures Jean-Charles Gardetto. Mais pour d’autres, la problématique doit être étudiée à plus long terme. « A l’avenir, le risque est de se retrouver totalement isolé. Le vrai danger est que les secteurs dans lesquels nous avons aujourd’hui des difficultés s’accroissent dans le futur. Car le monde évolue vite. La commission européenne avait fait un pas vers nous. Nous avons dit non. C’était pourtant une réelle opportunité pour discuter des choses de fond. Et maintenant que fait-on?? », alerte de son côté Bernard Pasquier qui rappelle d’ailleurs que bien que Monaco ait une union douanière avec son voisin français, « la France fait partie de l’UE et n’a donc plus la capacité de négocier des accords douaniers ou de commerce. Elle a cessé d’être le bon interlocuteur pour Monaco. » (1)

Michel Roger
Michel Roger?: « Il n'est pas question de faire de Monaco un village gaulois. Nous sommes déjà européens, notamment par le Conseil de l'Europe. » © Photo Monaco Hebdo.

Accords sectoriels, l’impasse??

Pour régler les problèmes qui touchent ces entreprises, le gouvernement a décidé de proposer une autre voie aux autorités européennes?: celle « des accords sectoriels ». Sauf que, de l’aveu même du gouvernement, la Commission européenne ne semble pas l’entendre de la même oreille. « On voit bien que les secteurs touchés sont très limités. Et que ces problématiques pourraient être traitées de manière sectorielle dans nos relations avec l’UE. C’est la voie qu’a toujours proposée la Principauté et c’est celle qu’elle continue à privilégier. Mais, pour des raisons d’administration interne, la Commission préfèrerait l’intégration de ces divers sujets dans un accord plus global. La démarche envers l’EEE s’inscrit dans ce cadre », explique José Badia. Avant d’ajouter?: « Nous persistons à penser, cependant, qu’un traitement sectoriel demeure préférable. Nos problèmes sont clairement identifiés. Souvent y porter une solution est simple. Ils sont aussi quantitativement peu nombreux. » Simple, certes. Encore faut-il que les autorités monégasques et européennes parviennent à accorder leurs violons. Un point de blocage logique pour l’ancien cadre de la Banque mondiale Bernard Pasquier. « La commission estime que l’approche dite des accords sectoriels n’est pas une voie d’avenir car son application soulève de nombreux problèmes. Elle l’a d’ailleurs fait savoir à la Suisse, qui a conclu près de 200 accords de ce type avec Bruxelles. » D’autant que sur certains accords passés entre Monaco et la communauté européenne, des « divergences d’interprétation des textes demeurent » avec certains Etats, explique le gouvernement (voir page 34). Les négociations entre autorités s’annoncent donc âpres. Difficile pour le gouvernement de trouver la juste équation?: préserver les particularismes de Monaco, tout en assurant l’avenir économique du pays avec des autorités européennes qui chapeautent et dirigent désormais de plus en plus de secteurs. Une problématique bien expliquée par le président du conseil national Jean-François Robillon?: « Le problème, c’est que depuis l’entrée en vigueur de l’acte unique européen en 1986, les pouvoirs de la Commission européenne se sont renforcés au détriment des Etats qui ne cessent de perdre leurs compétences. On appelle ça la subsidiarité. Ainsi, lorsque les lois européennes (règlements, directives, etc.) viennent structurer tel ou tel pan de l’économie (transports, médicaments, import-export de produits chimiques ou alimentaires, etc.), les pays membres doivent s’y plier. Et ce, même s’ils entretiennent des relations privilégiées avec la Principauté de Monaco. »

(1) La Convention douanière franco-monégasque du 18 mai 1963 prévoit une union douanière entre les territoires français et monégasque. La réglementation douanière française s’applique donc à Monaco. Par ailleurs, la Principauté étant un Etat tiers à l’Union Européenne, elle fait partie du territoire douanier européen, afin d’assurer l’application de l’accord bilatéral entre Monaco et la France.

« Réalités monégasques méconnues »
Après avoir été le « monsieur circulation » de Monaco, l’ex-conseiller de gouvernement pour l’équipement Gilles Tonelli a rejoint Bruxelles où il occupe le poste d’ambassadeur de Monaco auprès de l’Union européenne. En avril 2011, c’est en partie lui qui a défendu la position monégasque sur l’épineux dossier de l’intégration à l’EEE. Sur invitation du groupe de travail de l’Association européenne de libre échange (AELE) du Conseil de l’UE, les petits Etats non membres de l’UE ont ainsi présenté leurs caractéristiques et leur spécificités. Tout en faisant un état des lieux de leurs relations avec l’UE devant les représentants des 27 Etats de l’Union. Dans son allocution, Gilles Tonelli a rappelé que l’avenir des relations entre l’UE et Monaco ne peut se concevoir qu’en préservant les particularités monégasques. Notamment en termes de priorité de logement, d’emploi et d’autorisation pour l’exercice d’une activité économique ou professionnelle. « La présentation a suscité une certaine surprise au regard des réalités monégasques qui étaient manifestement méconnues. D’autres Etats ont sollicité des informations complémentaires sur l’aspect économique des liens entre Monaco et l’UE », explique Gilles Tonelli. Sans plus de détails sur le contenu des débats.
L’exemple réussi du Liechtenstein??
Lorsque que José Badia a pris ses fonctions de conseiller de gouvernement aux relations extérieures en janvier 2011, le dossier sur l’intégration de Monaco à l’EEE venait d’arriver sur son bureau. « N’ayons pas peur d’y réfléchir », avait-il alors déclaré à la presse en citant notamment l’exemple « réussi » du Liechtenstein qui a adhéré à l’Espace Economique Européen en 1995. Sauf que le Liechtenstein a une « économie essentiellement basée sur l’activité industrielle », explique Jean-Charles Gardetto, président de la commission des relations extérieures. Sa non-appartenance à l’Union européenne constituait donc un énorme frein. « Ce sont donc essentiellement les industriels qui ont fait pression sur les politiques pour intégrer l’EEE ». « Le Liechtenstein est un cas à part, il est membre de l’AELE depuis 1991, et de l’EEE depuis 1995. Il a donc déjà un vécu et des liens très forts avec ces organisations. Ce qui n’est ni le cas de San Marin, ni d’Andorre. Et encore moins de Monaco », explique de son côté l’élu d’opposition Christophe Steiner.

Monaco logistique
© Photo Monaco logistique

Transport?: l’Italie fait barrage

Après la France, l’Italie est le pays avec lequel les transporteurs routiers de marchandises travaillent le plus. Un marché frontalier plombé en raison de l’absence d’un accord bilatéral passé avec Monaco.

Pour les transporteurs routiers monégasques, l’acheminement de marchandises chez nos voisins européens relève parfois du chemin de croix. Et pour cause. Du fait de sa non-adhésion à l’Union européenne, Monaco ne bénéficie pas de la libre prestation de services sur le territoire communautaire. Seuls les Etats membres sont ainsi habilités à délivrer des autorisations de circulation aux transporteurs monégasques. Si Monaco est parvenu à passer des accords bilatéraux avec deux pays, à savoir l’Allemagne et l’Espagne?(1), c’est avec l’Italie qu’un projet d’accord — pourtant négocié depuis plusieurs années — n’a toujours pas abouti. Résultat, Monaco est sans cesse obligé de négocier durement avec les autorités transalpines pour obtenir des autorisations. Soit annuelles, soit « au voyage ». Sauf que ces « droits de passage » demeurent largement insuffisants pour satisfaire les besoins des transporteurs monégasques (2). Conséquence directe?: les professionnels du secteur sont parfois contraints d’envoyer leurs camions en toute illégalité. Sans autorisation. En prenant le risque d’être contrôlés, et donc sanctionnés sur le terrain. « Si je subis un contrôle, je connais le prix à payer. Je sais que je prends un risque. Mais je n’ai pas trop le choix. Car économiquement je dépends beaucoup du marché italien, c’est notre marché numéro un. Je ne peux pas dire à mes clients que je suis dans l’incapacité de les fournir parce que je n’ai pas les autorisations », explique ce transporteur. Avant de préciser que « depuis 2 ou 3 ans, les contrôles en Italie sont de plus en plus agressifs. »

Immobilisation et pénalités

Une situation particulièrement délicate à gérer pour les professionnels du secteur qui risquent, non seulement de payer de lourdes pénalités, mais aussi de voir leurs camions immobilisés. « Un de mes camions a été arrêté pendant trois mois en Italie, à Milan, car nous n’avions pas d’autorisation de circulation. Nous avons écopé d’une amende de 3?000 euros. Un camion qui ne circule pas pendant trois mois, c’est une perte sèche considérable. Environ 80?000 euros de recettes perdues. Heureusement, nous avons pu récupérer la marchandise », explique encore ce transporteur. Un témoignage loin d’être isolé.
Du côté du département des relations extérieures, on explique « que l’augmentation du nombre d’autorisations est à l’ordre du jour de nos échanges diplomatiques. Mais, la sécurité juridique attendue ne sera effective qu’au jour de la passation d’un accord sectoriel, dans ces domaines, avec l’Union », indique le conseiller de gouvernement José Badia. Pas étonnant donc que les transporteurs de la place auraient vu d’un bon œil l’intégration de Monaco à l’Espace économique européen. Une voie qui leur aurait permis de développer d’autres marchés en Europe et de doper leur activité. « Le fait d’intégrer l’EEE aurait ouvert considérablement le marché. Si dans le futur je veux travailler avec la Pologne ou l’Autriche, je ne me pose pas la question, je fonce. Actuellement, toutes ces contraintes me découragent à ouvrir d’autres marchés. Car à partir du moment où l’on n’est pas dans l’Union européenne, tout fonctionne par accord bilatéral. L’EEE nous aurait donc permis d’ouvrir notre horizon de travail », indique Ameur Chiha, administrateur délégué de la société Monaco logistique.

(1) Pour l’Allemagne, chaque autorisation est affectée à une entreprise avec une durée de validité de 5 ans. Pour l’Espagne, l’entreprise peut l’affecter à toute sa flotte de camion, pour 4 ans.
(2) L’Italie a deux types d’autorisations : les premières sont annuelles et attribuées par entreprise pour un seul camion. Les secondes, dites « au voyage », sont attribuées par entreprise et par camion et ne sont valables qu’une seule fois.

François Mas, directeur-export du groupe Asepta
François Mas, directeur-export du groupe Asepta © Photo Asepta

« Impératif de trouver une solution »

Fondés en 1946 à Monaco, les laboratoires Asepta se sont imposés comme un des leaders de l’industrie dermo-cosmétique. Le directeur-export du groupe, François Mas, détaille les difficultés techniques et réglementaires auxquelles sont confrontées les entreprises monégasques du secteur avec le marché intérieur.

Monaco Hebdo?: Combien d’unités sont fabriquées par les laboratoires Asepta et exportées en Europe??
François Mas?: Six millions d’unités sont fabriquées chaque année dont trois millions exportées en France. Les autres gros pays d’exportation en Europe sont le Portugal, la Belgique, la Hollande ou encore l’Italie. L’entreprise Asepta regroupe environ 150 employés. Avec un chiffre d’affaires consolidé de 30 millions d’euros.

M.H.?: Quels types de difficultés rencontrez-vous avec vos clients européens??
F.M.?: Certains de nos partenaires commerciaux n’ont pas connaissance de l’existence d’un accord entre la Communauté européenne et Monaco (voir encadré). C’est surtout le cas des pays qui ont intégré récemment l’Union européenne. A titre d’exemple, nous avons eu récemment des difficultés avec des clients slovènes. Généralement, lorsque nous leur présentons cet accord, le problème est résolu. Mais certains partenaires demeurent malgré tout encore réticents. Certes, ce n’est pas un frein insurmontable puisque l’on parvient tout de même à vendre dans chacun des pays de l’Union européenne. Les laboratoires Asepta ont même développé leurs propres filiales en Europe, comme en Allemagne ou en Belgique. Mais cela reste un handicap et une perte de temps.

M.H.?: Quelles sont les difficultés d’ordre plus technique pour les entreprises monégasques du secteur??
F.M.?: Des actes communautaires impactant l’industrie cosmétique ne sont pas couverts par l’accord CE/Monaco. La conséquence est que les entreprises monégasques sont contraintes d’utiliser un représentant exclusif installé dans un Etat membre de l’UE pour effectuer leurs démarches de mise en conformité par rapport à ces actes. On peut compter parmi ceux-ci?: le Règlement REACH concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques. La directive Biocide concernant la mise sur le marché européen des produits biocides. Et le règlement CLP concernant la classification, l’étiquetage et l’emballage des substances et des mélanges.

M.H.?: D’autres difficultés??
F.M.?: Les difficultés règlementaires les plus sérieuses auxquelles nous risquons d’être confrontés sont liées au nouveau règlement. En effet, la directive européenne est désormais abrogée et remplacée par un règlement en vigueur depuis janvier 2010 et totalement applicable à compter de juillet 2013. Pour l’heure, ce règlement n’est pas inscrit à l’annexe de l’accord passé entre Monaco et la communauté européenne.

M.H.?: Si cette situation demeure en l’état, quelles en sont les conséquences??
F. M?: La conséquence est que ce règlement ne pourra pas être appliqué à Monaco. Nos laboratoires, ainsi que l’ensemble des entreprises cosmétiques de Monaco, ont alerté les autorités monégasques à ce sujet. Il est impératif que les démarches soient entreprises en vue de trouver une solution pour que les produits cosmétiques fabriqués à Monaco puissent continuer à circuler librement sur le marché de l’Union européenne. Car à défaut, les entreprises seront contraintes, soit de trouver un importateur dans un pays membre de l’Union européenne, soit de s’y installer pour pouvoir y commercialiser leurs produits.

M.H.?: Que prévoit ce règlement??
F.M.?: Le règlement cosmétique européen aura un impact considérable sur la commercialisation des produits. Actuellement, seules les formules sont déclarées au niveau national auprès des centres antipoison (CAP) des différents Etats. Nous déclarons nos formules auprès des CAP français et de la DASS de Monaco. Le passage au nouveau règlement impose de notifier à la commission un certain nombre d’informations sur les produits cosmétiques avant leur commercialisation. Cette notification unique, centralisée et exclusivement informatique, se fera par le biais d’un portail électronique réservé aux seuls Etats membres. Il est donc impératif que ce règlement soit applicable à Monaco afin que les fabricants monégasques puissent notifier leurs produits directement en ligne depuis leur site de la Principauté. Car, à défaut, ils seront considérés comme des fabricants hors UE et devront passer par des représentants installés dans un Etat membre pour remplir cette formalité, engendrant une logistique administrative très lourde et d’importants coûts.

M.H.?: Rencontrez-vous aussi des difficultés avec les pays hors CEE??
F. M?: Pour exporter nos produits dans des pays hors CEE, nous devons fournir un document qui s’appelle le certificat de vente libre (CVL) qui certifie notamment l’origine des produits. Il est émis par la DASS à Monaco. Cependant, sur ce document, les références européennes ne sont pas mentionnées. Depuis un long moment, je me bats donc pour essayer de faire en sorte qu’elles soient mentionnées in extenso. Car aujourd’hui, je suis régulièrement obligé d’expliquer que la directive européenne est bel et bien applicable à Monaco au même titre que dans les Etats membres de la Communauté, et que nous sommes donc en règle.

M.H.?: Pourquoi ces références ne sont-elles pas mentionnées??
F.M.?: Monaco ne semble pas très favorable à l’idée de mentionner des références européennes dans les documents officiels monégasques. On peut comprendre qu’il s’agit de questions liées à la souveraineté de l’Etat.

L’Allemagne ne reconnaît pas les produits made in Monaco
Pour les produits pharmaceutiques et cosmétiques, un accord, entré en vigueur le 1er février 2004, a été conclu entre la Commission européenne et Monaco. Un texte qui assure la libre commercialisation des produits fabriqués à Monaco sur le territoire des Etats membres. « La négociation de cet accord a été motivée, d’une part, par la demande des industriels monégasques afin que leurs produits pharmaceutiques et cosmétiques puissent circuler librement dans l’ensemble des Etats membres de l’Union européenne. D’autre part, par la prise en considération de la Commission européenne que les accords franco-monégasques sur les produits pharmaceutiques étaient insuffisants pour permettre l’entrée de ces produits dans l’Union européenne, y compris la France », indique le gouvernement. Sauf que, une « divergence d’interprétation » a été constatée lors de la première réunion du comité d’application de l’accord, indique encore le gouvernement. « La Commission et certains Etats membres ont considéré que l’accord n’avait pas la portée que Monaco lui attribue. Ainsi, selon eux, pour circuler librement dans l’Union européenne, les produits doivent provenir d’un fabricant établi en France ou ayant un représentant titulaire de l’autorisation de mise sur le marché, précise le conseiller aux affaires extérieures José Badia. Une des conséquences majeures en est la non reconnaissance par la République Fédérale Allemande des produits fabriqués à Monaco. En nous plaçant sous l’angle du pragmatisme, une simple réunion d’éclaircissement entre les autorités concernées paraît suffisante. Il n’en est pas ainsi, malheureusement. Nos actions menées tant en Allemagne qu’auprès de la CE par nos ambassades n’ont pas permis de résoudre cette difficulté – qui demeure donc entière à ce jour – malgré la compréhension de diverses instances et, je le crois sincèrement, une réelle volonté d’aboutir. »

Chantiers
© Photo Monaco Hebdo.

« Deux sociétés du BTP en faillite »

Alors que crise oblige, les entreprises du bâtiment doivent démarcher des chantiers hors Monaco pour survivre, elles sont bloquées par une absence d’accords sectoriels avec l’Union européenne.

Par Milena Radoman.

Quand le bâtiment va, tout va. Ce vieil adage lancé par un député français maçon à la fin du 19ème siècle en pleine Assemblée nationale, est toujours d’actualité. Pourtant, ce secteur d’activité capital pour l’économie monégasque, avec 250 entreprises et 4?800 salariés, traverse une mauvaise passe. Faute d’accord sectoriel avec l’Union européenne, les entreprises monégasques ne peuvent participer aux marchés publics français et européens. « Il n’existe pas de principe de réciprocité. Nous n’avons pas la possibilité d’obtenir les qualifications nécessaires pour participer aux marchés publics alors que l’inverse n’est pas vraie?: par exemple, les entreprises françaises, elles, décrochent des marchés monégasques », explique ainsi Patrice Pastor, patron de JB Pastor et président de la Chambre patronale du bâtiment. Une discrimination qui existe depuis des années?: « Ça fait longtemps que nous demandons au gouvernement monégasque de négocier avec Bruxelles pour que cette situation pénalisante change. » Une demande qui reste lettre morte. « On nous fait comprendre que ce sujet amènerait des négociations importantes et que l’enjeu n’est pas majeur. Visiblement, au vu de l’avancement du dossier, il ne semble pas motiver le gouvernement… », soupire Patrice Pastor. Les entreprises monégasques doivent donc se contenter des chantiers monégasques ou à l’extérieur, de chantiers privés de faible importance – inférieurs à un an et ne devant excéder 25 % du chiffre d’affaires de la boîte de BTP.

« Cadavres en 2012 »

Or en période de crise et de restrictions budgétaires, c’est là que le bât blesse. « Le gouvernement a décidé une baisse du budget équipement et investissement, ce qui représente une erreur colossale ». En l’absence de programmation de chantiers locaux, y compris d’entretien, les entreprises monégasques — même celles qui ont les reins solides — doivent donc démarcher les acteurs publics et privés de plus en plus loin, jusqu’à Marseille, pour s’en sortir. Une situation problématique pour un secteur morose?: « Deux entreprises ont déjà fait faillite, une troisième est en mauvaise posture et des confrères licencient à tours de bras. Le dernier trimestre 2011 a ainsi vu plus de 70 licenciements ». Patrice Pastor, dont pour une fois le carnet de commande 2012 n’est pas plein, l’annonce?: « En 2012, on va compter les cadavres?! » Alors que le gouvernement avait annoncé 1?000 créations d’emploi pour l’opération Odéon, le président de la chambre du bâtiment ne voit rien venir?: « Nous n’avons perçu aucun « impact Odéon ». Les effectifs des trois sociétés impliquées dans ce chantier sont stables. Elles doivent faire appel à des intérimaires et des personnels extérieurs. » La Chambre du bâtiment peut en effet voir en temps réel les évolutions de masse salariale grâce aux cotisations payées à la caisse des congés payés. Seul espoir pour le président de la chambre?: le changement d’hommes à la direction des travaux publics. Olivier Lavagna vient en effet de remplacer Jean-Marie Véran – parti à l’inspection générale de l’administration — à la tête de ce service. « Cette nomination met un terme à plusieurs mois de transition. Nous comptons sur le dynamisme de notre nouvel interlocuteur. » A suivre.