samedi 27 avril 2024
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Vincent Cocquebert :
« Nous sommes dans l’ère des communautés émotionnelles »

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Vincent Cocquebert, journaliste et auteur du livre Millennial burn-out (1) estime que les expressions « millennials », « Génération Y », ou « digital natives », relèvent de la « contruction marketing ». Souvent ciblés par les influenceurs, ces jeunes nés entre  1980 et  2000 seraient victimes d’un mythe générationnel. Interview.

D’où vient l’idée de « millennial » ?

Ce profil est né il y a un peu plus de 20 ans dans le magazine de marketing Advertising Age. Il décrit une personne assez sensible à la publicité, développant un véritable goût pour la consommation, de préférence éthique. Soit à peu près l’inverse de la génération précédente, la génération X. Au fil du temps, ce profil s’est affiné. Le « millennial » a été envisagé comme éco-friendly, connecté, centré sur lui-même, assez volage que ce soit vis-à-vis des marques ou de ses employeurs… Ensuite, la montée en puissance s’est réalisée à travers le marketing générationnel.

Cette représentation générationnelle n’existe pas ?

On est dans un moment où les marchés se morcellent, et où les consommateurs sont de plus en plus mouvants, et donc difficiles à toucher. Du coup, la segmentation générationnelle ne fonctionne plus vraiment.

Vraiment ?

Aujourd’hui, on se rend compte qu’une personne de 60 ans peut manger du quinoa, passer ses soirées sur Netflix, ses week-ends dans des Airbnb et rouler à trottinette. Or, tout cela correspond à la caricature du « millennial ».

La jeunesse est donc très différente de l’image que l’on en a ?

On est dans une image complètement fantasmée d’une sorte de jeunesse homogène, avec des goûts superficiels, qui serait un peu une jeunesse calquée sur les Anges de la téléréalité. Alors qu’il y a un besoin d’authenticité, et un retour aux valeurs authentiques et à la famille. Aujourd’hui, des études montrent que la famille apporte plus de points de satisfaction chez les jeunes que les amis. Les plus jeunes font à 69 % plus confiance à leur père qu’à n’importe quel YouTubeur.

Comment a réagit le marché ?

On a donc cherché de nouveaux vecteurs, de nouveaux leaders d’opinion que sont les influenceurs pour parvenir à toucher ces cibles jeunes. Mais le marketing générationnel ne fonctionne plus, car la jeunesse n’a jamais été aussi diverse et n’a jamais eu un pouvoir d’achat si faible.

Mais de grandes marques continuent de faire appel à des influenceurs !

Pour l’instant, les marques avec qui je discute et qui me font part de leurs interrogations sur ce modèle, n’ont pas de retour sur investissement. Pour beaucoup, suivre et regarder un influenceur sur Instagram ou ailleurs, c’est un loisir. Ce n’est pas quelqu’un qui va influer sur leurs comportements. Il y a donc un regard très distancié.

Certains affirment que les retombées générées par les influenceurs sont réelles et mesurables ?

Comment mesurer l’engagement réel ? Cela reste très flou. Car on se rend compte que les “likes” ne sont pas forcément des vrais “likes”. Et il est difficile ensuite de mesurer avec précision si cela va déboucher sur un acte d’achat. Il n’y a là rien de scientifique, ni de mathématique dans la façon de mesurer cela.

Quelle est la réalité aujourd’hui ?

En fait, on est moins dans des communautés d’âges et davantage dans l’ère des communautés émotionnelles. On ne se définit plus par son âge, mais par ses goûts et ses pratiques. Et les influenceurs ne sont pas de bons vecteurs pour toucher ces cibles-là.

Les marques prennent leurs distances avec les influenceurs depuis quand ?

Depuis 2016, les marques s’interrogent. Quand Dolce&Gabbana a refusé d’accueillir des influenceurs à la Fashion Week de Milan qu’ils avaient reçus un an auparavant un peu comme des stars, cela a sonné comme un symbole très fort. Du coup, désormais, cela infuse chez les autres grandes marques.

Du coup, est-ce qu’il y a encore un avenir pour les influenceurs ?

Il y a un avenir pour les micro-influenceurs. Quelqu’un qui a une vraie expertise sur la mode ou la beauté, par exemple, parviendra à toucher de petits groupes. Mais ceux qui cherchent à toucher des groupes de jeunes de façon massive sont condamnés : ce “business model” ne fonctionnera plus.

Comment voyez-vous l’avenir ?

La chute devrait être assez rapide pour les plus gros, car ils ne peuvent pas proposer une expertise sur tout, alors que certains acceptent pourtant de faire la promotion de n’importe quel produit. Du coup, il n’y a pas de confiance qui peut se créer. Les internautes et les “followers” ont besoin d’authenticité et de sentir qu’ils ne sont pas victimes d’une personne qui s’est transformée en vitrine. Les vitrines géantes sur internet, c’est comme les supermarchés ou les hypermarchés : ça n’a plus d’avenir.

Pourtant, des agences ont monté des écuries d’influenceurs ?

Oui, et ils prennent environ 30 % sur les revenus de leurs “poulains”. Ils gèrent un peu leur vie de A à Z. Ils peuvent parfois aller voir le petit copain ou la petite copine de l’influenceur pour lui demander de se comporter d’une certaine façon. Ce business model là, surtout chez les plus jeunes, et notamment les mineurs, est parfois un peu malsain.

1) Millenial Burn-Out, Vincent Cocquebert (Arkhé), 216 pages, 17,99  euros.