vendredi 26 avril 2024
AccueilDossierJean-Louis Grinda : « On ne remplacera pas des spectacles par des écrans »

Jean-Louis Grinda : « On ne remplacera pas des spectacles par des écrans »

Publié le

Jean-Louis Grinda, metteur en scène et directeur de l’opéra de Monte-Carlo, explique comment ses équipes peuvent encore produire des spectacles pendant la pandémie de Covid-19, mais aussi pourquoi.

Selon lui, il en va de la lutte contre l’isolement.

Quelle est votre stratégie pour tenir en temps de crise ?

Il faut faire preuve d’intégrité artistique. La culture ne doit pas s’amenuiser, malgré la crise. Un bon spectacle doit rester un bon spectacle. On se tient à la programmation, on avance et on remplit les missions, dont celle qui consiste à donner du plaisir aux gens, tant aux spectateurs qu’à ceux qui font le spectacle. Il faut donner du bonheur et donner du travail, notamment à tous ces gens qui ne sont pas permanents. Sans le soutien de la principauté, ils n’auraient pas de travail aujourd’hui. Globalement, 70 % de nos collaborateurs viennent de l’extérieur.

Vous n’avez donc pas eu besoin de vous séparer d’une partie de vos effectifs ?

Non, tout le monde continue de travailler et personne n’est au chômage total temporaire renforcé (CTTR). Et, lorsqu’il a fallu tout annuler au 15 mars 2020, nous avons indemnisé tout le monde, les artistes ont reçu une aide à hauteur de 30 % de leur cachet. Avec l’aide de l’association des Amis de l’opéra et de la fondation Cécilia Bartoli, et en accord avec le ministre d’État, nous avons pris l’initiative de soutenir tout le monde, y compris les petits rôles à hauteur de 100 %, car ce sont eux qui gagnent le moins.

Que représentent les aides du gouvernement pour l’opéra ?

Ce sont des aides fondamentales, car nous sommes subventionnés à hauteur de 70 %. C’est vrai aussi en France, et dans tous les pays où les gouvernements assurent une véritable politique culturelle pour préserver les métiers artistiques. C’est moins vrai dans les pays à tendance anglo-saxonne où la culture est financée autrement que par l’impôt. En Angleterre, par exemple, 30 % des musiciens professionnels ont été forcés de changer de métier, compte tenu de la crise. Aux États-Unis, plus personne n’est payé depuis 15 mois au Metropolitan Opera de New York, engendrant les problèmes de couverture maladie qu’on imagine… En principauté, même si tout n’est pas parfait, l’aide apportée est inconditionnelle.

Qu’en est-il de la programmation de 2021 ?

Rien n’a été modifié. Nous donnerons également une vingtaine de représentations en Europe. On joue ce qu’on doit jouer, car les subventions sont maintenues, en assurant des tests réguliers et l’accueil du public, avec un siège sur deux. Nous n’adapterons pas, non plus, nos horaires au couvre-feu français. Nous les gardons tel quel, et nous attendons de voir comment les choses évolueront.

À quoi ressembleront les œuvres jouées ?

J’ai pris le pari de présenter nos œuvres dans des conditions normales. Les acteurs ne porteront donc pas de masques sur scène. Il n’y aura pas, non plus, de distanciation sur le plateau, et on ne verra pas des artistes se dire « je t’aime » à trois mètres l’un de l’autre. Il faut respecter l’intégrité artistique, et fournir la meilleure qualité scénique. On veut une vraie Carmen du début à la fin, avec des chœurs. C’est philosophiquement très important. On doit défendre les œuvres. La vraie contrainte, c’est de convaincre le public qu’il s’agit là de la bonne manière de faire. Cela requiert de faire des tests Covid régulièrement. C’est grâce à la protection du personnel que nous avons pu continuer de donner des représentations.

Peut-on imaginer que de plus en plus de spectacles seront donnés à distance, par voie numérique ?

C’est délicat. Les moyens technologiques permettent de garder contact avec le public à distance, mais ils ne le remplaceront jamais.  « Ceci n’est pas un théâtre », pourrait-on dire, en référence à la toile de René Magritte (1898-1967), Ceci n’est pas une pipe. Je suis très inquiet de cette façon qu’on a de se précipiter sur ces outils, certes magnifiques. Mais le contact humain est fondamental, l’isolement n’est pas une solution humaine pour demain. On ne remplacera pas des spectacles par des écrans.

Pour lire la suite de notre dossier sur la culture face au covid-19 cliquez ici