Le groupe de rap marseillais IAM était à Monaco les 26 et 27  novembre 2019 pour deux concerts avec l’orchestre philharmonique de Monte-Carlo, à l’opéra Garnier. Monaco Hebdo les a rencontrés pour évoquer ce mélange des genres, leur nouvel album Yasuke et leur regard sur le rap actuel. Interview fleuve.

Propos recueillis par Nicolas Géhin et Edwin Malboeuf

Vous êtes à Monaco pour deux concerts avec l’orchestre philharmonique de Monte-Carlo [cette interview a été réalisée le 26 novembre, jour du premier concert — N.D.L.R.]. D’où vous est venue cette idée de réunir rap et opéra ?

Shurik’n : Opéra, c’est surtout musique classique. Le premier essai qu’on a fait, c’était en Égypte.

Akhenaton : Avant ce concert en Égypte, on l’avait aussi fait sur Revoir un printemps, où il y a l’orchestre de l’opéra de Sofia. Mais ce n’était pas en live.

Shurik’n : En live, le premier c’est vraiment en Égypte, à Gizeh, où on a joué avec d’un côté l’orchestre populaire, et de l’autre côté le classique. Et, à partir de là, on a approfondi un peu le concept en Égypte. On a vu que ça fonctionnait bien et on a gardé une formation, mais plus hybride, avec laquelle on est parti sur la route, à l’issue de ce concert. Puis, on a encore changé deux fois de formation. Et, ponctuellement, s’est représentée l’opportunité de le faire vraiment avec une formation classique. On l’a fait à Fourvière à Lyon, à la salle Pleyel [à Paris — N.D.L.R.] et aux Francofolies de La Rochelle.

Techniquement, qu’est-ce que cela change de rapper avec un orchestre philharmonique ?

Akhenaton : Sur les compositions où on garde l’ossature classique avec les rythmiques, avec quelques samples où l’orchestre revient jouer des mélodies par-dessus, ou remplacer des mélodies qui existaient déjà, pas grand-chose pour nous. C’est des questions de placement, de feeling… On a l’impression d’être un peu plus enveloppés dans la musique. La différence est sur des morceaux qui sont uniquement voix-orchestre. Là, c’est un autre type d’interprétation. Malheureusement, le temps ne nous permet pas d’en faire plus, parce que pour les développer, il faudrait travailler les composés et passer du temps à les réécrire et à les répéter. Mais c’est quelque chose qui peut être envisageable sur un travail de concert qui déboule après une résidence. S’il n’y a pas de résidence, si on ne travaille pas les morceaux ça n’a pas de sens de les proposer comme ça, et de monter au hasard sur scène, de jouer 10-15 morceaux qu’avec l’orchestre.

Vous étiez-vous déjà produits à Monaco dans le passé ?

Akhenaton : C’est la première fois qu’on joue à Monaco. On est déjà venu plusieurs fois, mais dans le cadre de la promotion ou d’événements. La dernière fois, on est venu pour le Monaco Anime Game International Conferences [MAGIC — N.D.L.R.]. Cela nous passionne aussi, mais ce n’est pas du tout de la musique. Pour les concerts, c’est vraiment la première fois.

Qu’est-ce que cela représente pour vous de jouer à Monaco ?

Akhenaton :
On vient défiscaliser (rires). Les chanteurs marseillais défiscalisent bien (rires) ! C’est bizarre, parce que tout le monde a voulu donner une image d’âge au rap, une image de milieu. Le rap est une musique qui appartient à tous les gens qui l’embrassent, et nous, nous ne voyons pas de profils prédéfinis, ni de lieux, ni d’âge, ni de personnes, ni de sexe…

Kheops : On a déjà joué au Luxembourg.

Akhenaton : On a déjà défiscalisé au Luxembourg (rires). ! IAM, la tournée douteuse (rires) ! Le Luxembourg, Monaco, Jersey, on joue devant les moutons, les Bahamas… et on rentre avec un voilier très lourd, très chargé dans le port de Marseille (rires) !

Votre dixième album, Yasuke, est sorti vendredi 22 novembre 2019 : pourquoi ce titre ?

Akhenaton : Le personnage historique, un esclave au XVIème siècle qui a été arraché au Mozambique, résume bien ce qu’on a voulu exprimer. Il a quitté le continent africain avec des chaînes aux pieds et il est mort au Japon en samouraï. Quand l’impossible devient possible. C’est quelqu’un qui s’est transcendé. À un niveau inférieur, dans notre histoire, il y a un peu de ça aussi. Dans les années 80, on nous disait que notre musique était bien, gentille, mais on nous disait de nous trouver un métier. Que le rap n’était pas un métier…

Kheops : On nous disait que le rap ne marcherait pas.

Shurik’n : Même nous, à la base, on n’est pas « designé » pour une carrière de trente ans, pour ce genre de vie. Même pour nous, ça a été une adaptation.

Yasuke, c’est donc un peu une analogie de votre parcours ?

Shurik’n : C’est une des possibles interprétations. Mais il y en a plein d’autres. Avec IAM, on aime bien les différents tiroirs. Il y a aussi le côté auquel on est confronté, le côté des migrants.

Akhenaton : C’est une analogie de nos parcours. C’est un fait d’actualité qui nous avait ému.

Shurik’n : Il nous avait heurté de plein fouet en tant que père, en tant qu’être humain tout simplement. Ce petit garçon qu’on avait retrouvé mort, avec son bulletin de notes. Ça aurait pu être un Yasuke, il aurait pu aller à l’école… Malheureusement, il n’a pas eu cette chance.

Akhenaton :
Il est d’ailleurs représenté sur la pochette. Il a un pantalon blanc, avec un tee-shirt noir, et il y a le bulletin de notes. Sur la jaquette de l’album, il y a plein de petits détails.

Sur la pochette de l’album, il y a une représentation du Radeau de la Méduse (1818-1819) de Théodore Géricault (1791-1824) : pourquoi ?

Akhenaton : Pas de cannibalisme sur notre pochette (rires) ! Les Instagrameurs [référence à la pochette de l’album sur laquelle apparaissent des personnes qui prennent un selfie — N.D.L.R.] ne sont pas comestibles (rires) ! Il s’agit plus d’une analogie de la société dans laquelle on vit. On est assis sur un même radeau, avec des gens qu’on n’aime pas forcément, ni avec lesquels on partage des passions ou des centres d’intérêt communs. Sauf que le radeau va dans la même direction. Et tout le monde est assis dessus. Il faut parler, collaborer…

Shurik’n : Sur la pochette, on part des eaux troubles, pour aller vers des eaux calmes. Mais en fait, on ne sait pas trop où on ira, mais ce qui est sûr, c’est qu’on ira tous ensemble. Il va falloir à un moment donné trouver un moyen de s’entendre sur ce petit radeau.

Akhenaton : L’autre détail sur la pochette, c’est que les eaux à gauche représentent le présent et le passé pour nous. Ce sont des eaux tumultueuses, avec plein de saletés, et de déchets à l’intérieur. Et le radeau va vers quelque chose de beaucoup plus calme et beaucoup plus pur. C’est une volonté d’avoir une vision positive sur le monde. Si on avait une vision négative, on n’aurait peut-être pas autant d’enfants dans le groupe. Il faut se battre pour arriver à ces eaux-là.

Vous faisiez référence à vos 30 ans de carrière : comment trouvez-vous encore des thèmes d’inspiration d’écriture ?

Akhenaton : La nature humaine est inépuisable en inspiration. On est surpris régulièrement.

Shurik’n : Tous les jours. Et à partir du moment où on vit et on regarde un peu autour de soi, il y a des choses à dire. La principale raison, c’est qu’on a des enfants. Qu’est-ce qu’on va leur laisser ? Avec qui on va les laisser ?

Akhenaton : Et en même temps, dans des morceaux beaucoup plus rap traditionnel, qui est souvent mal compris d’ailleurs depuis pas mal d’années par la grande presse française ou les grands médias français, c’est tout ce qui est “battle rap” [joutes verbales entre rappeurs — N.D.L.R.], c’est forcément de “l’ego trip” [acte ou démarche qui améliore ou satisfait l’égo de quelqu’un — N.D.L.R.], où on pense à soi, alors que ce n’est pas du tout ça. L’essence même du hip-hop, c’est la joute verbale, et c’est quelque chose que le rap n’a pas inventé. C’est quelque chose qui est vieux, qui existe depuis l’Antiquité sur des tas de continents. Même ça, on a envie de le léguer. Il faut continuer cet art-là, où on se mesure…

« Les médias ont une culture rock. Beaucoup de personnes ne sont pas issues de notre culture »

Pourquoi les médias traditionnels ont autant de mal avec une musique qui a plus de 40 ans d’existence ?

Akhenaton : Parce qu’ils ont une culture rock. Beaucoup de personnes des médias ne sont pas issues de notre culture. Ça commence à changer, mais beaucoup ne sont pas issus de notre culture. Donc ils ont une grille de lecture très différente de la nôtre. Tout en étant gentils, cela ne veut pas dire qu’ils sont méchants. Mais en étant gentils, tu peux penser que Pete Doherty est un rockeur maudit, et qu’un rappeur qui casse un hôtel comme lui, c’est un délinquant. Ce sont des questions culturelles. Tu ne perçois pas les deux personnes de la même manière. Tu peux aimer le “bad boy” [mauvais garçon — N.D.L.R.] sur le papier quand tu regardes Mafiosa ou Pigalle sur Canal+. Et quand quelqu’un vient à ta porte avec un pied-de-biche et une cagoule, tu le trouves beaucoup moins sympa…

Comment s’est passé l’enregistrement de Yasuke ?

Kheops : Pour l’écriture, on est allé à Marrakech. On a bien avancé dessus. Moi spécialement, je n’ai rien fait, mais eux ont écrit (rires). Moi, je suis obligé d’attendre (rires). On a retravaillé un peu à Marseille, après. Puis, on est allé faire les finitions en Thaïlande, pendant un mois, où on a enregistré les morceaux. Enfin, on est parti en finition pour le mix [réglages finaux de l’album — N.D.L.R.] à New York.

Pourquoi êtes-vous partis à l’étranger pour travailler sur l’album ?

Akhenaton : En fait, le point commun de tous ces lieux, ce sont des studios résidentiels, des lieux où on dort… À New York aussi, on ne prend pas d’hôtel, on loue un appartement.

Shurik’n :
On est tout le temps ensemble.

Akhenaton : On a des vies de mecs de 50 ans aujourd’hui. C’est-à-dire que si on est à Marseille, on a des obligations, on doit faire des choses. On fait des courses même si cela étonne les gens quand ils nous voient dans un supermarché. Les gens pensent qu’on a du personnel qui fait nos courses (rires). Il y a des obligations quand on est à Marseille.

Shurik’n : qui font que tu ne peux pas être à 200 %.

Akhenaton : Alors que quand on est à Marrakech 24 heures sur 24 sur l’album, renfermés dans un même lieu, ça travaille très vite. Quand on est en Thaïlande et à New York, c’est pareil. C’est plus le fait de s’isoler de Marseille, de ne pas avoir de perturbations externes, de passages, de studio… Nous sommes nous seuls en studio et on pense à notre album. C’est pour ça qu’on est parti à l’étranger.

Shurik’n : On est arrivé au Maroc, on avait déjà commencé à travailler les « instrus » sur Marseille. On en avait déjà noté quelques-uns, mis de côté quelques-uns… Et au Maroc, tout s’est déclenché en dix jours. On est sorti avec une douzaine de textes écrits finis.

Akhenaton : Une douzaine de textes en dix jours, c’est énorme.

Shurik’n : Le fait d’être en immersion a été déterminant. Et à partir de là, la machine a été lancée.

Kheops : En plus, on connaît. En Thaïlande, on a déjà fait Rêvolution [neuvième album du groupe — N.D.L.R.]. À New York, on a mixé quatre albums. Donc on n’arrive pas en territoire inconnu. On a nos bases, on sait le temps qu’il faut pour faire les choses.

Shurik’n : Et surtout, on connaît quelles conditions on va trouver là-bas pour le travail.

Akhenaton :
Ce sont des conditions idéales. Par exemple, pour parler d’Imhotep [architecte musical du groupe — N.D.L.R.], sur cet album on a plus ouvert à des productions extérieures. Mais si on regarde les titres d’Imhotep dans l’album, Remember et Yasuke ont été faits au Maroc et Rap Warrior a été fait en Thaïlande. Les morceaux que l’on a gardés pour l’album ont été faits à un moment où on était ensemble, au même endroit. Même si on est ensemble tous les jours, et qu’on est au studio, on répète… c’est bien à un moment donné de partir et de se fixer des objectifs.

Comment avez-vous choisi vos “featurings” [participation d’un ou plusieurs artistes sur un titre ou un album — N.D.L.R.] ?

Akhenaton : Ça s’est fait au choix des morceaux. Le titre a déterminé l’invitation. Tout le monde a enregistré avec nous, dans un studio [au Studio K — N.D.L.R.], à côté de Marseille, à Port-de-Bouc. Pas mal d’invités ont enregistré là-bas. Le seul que l’on n’a pas fait, c’est Femi Kuti, parce que pour Femi, on avait les bandes avec ses voix. On lui a demandé s’il voulait rechanter, mais les voix étaient parfaites.

Kheops : Et Skyzoo, ça a été fait à New York.

Akhenaton : En général, culturellement, ça peut se faire avec IAM, mais c’est extrêmement rare qu’on envoie des bandes et qu’on recueille le couplet.

Shurik’n :
Et que l’on fasse ça par Internet interposé.

Côté production, travaillez-vous toujours à base de sampling (1) ou avec des compositions plus modernes et électroniques ?

Akhenaton : Je suis le seul à pouvoir parler de ça puisque Jo (Shurik’n) et Eric (Kheops), malheureusement, ne font plus de productions. Même si je les tanne, il faudrait qu’ils remettent les mains dans les nouvelles machines. Pascal (Imhotep) et moi, sommes les deux seuls du groupe à continuer à composer. Par exemple, sur Rêvolution, il n’y avait que nous deux. Là, on a fait un choix d’avoir Hal de Chiens de Paille, qui est votre voisin de Cannes. Il y a une formule par compositeur. En ce qui me concerne, cela fait longtemps que j’ai abandonné le truc de faire des boucles et des samples. Il y a plusieurs solutions.

Lesquelles ?

Akhenaton : Soit, je prends mes plugs [module d’extension sur les logiciels audio – N.D.L.R.], je rejoue les trucs et j’essaie de me rapprocher le plus possible des sons de l’époque. Et dieu sait qu’il y a des bons hardwares [machines — N.D.L.R.], avec des bons micros, des bons « reverb’ » [pour le mixage de la voix — N.D.L.R.]. Si j’ai un peu plus de budget, je compose, je le fais rejouer par des musiciens et je resample. C’est arrivé sur des morceaux dans cet album, mais qui ne sont pas restés [IAM a composé 34 titres pour n’en garder finalement que 16 sur Yasuke — N.D.L.R.]. Ou alors, je choisis de faire du tout électronique comme j’ai fait sur Monnaie de singe [du précédent album, Rêvolution (2017) — N.D.L.R.]. Dernier truc.

Oui ?

Akhenaton :
Quand on sample aujourd’hui, la technologie permet un truc assez fantastique qui s’appelle le “sample chop”, c’est-à-dire qu’on coupe une partie d’un sample. En général, on utilise une note, seule, isolée, et après on la répartit en chromatique sur le clavier, et on la décline. On joue du clavier, une mélodie avec la note d’un disque enregistré dans les seventies par exemple. Le son est beaucoup plus “vintage”. Ça donne un son original, qui s’éloigne des claviers…

Shurik’n : au son métallique et froid…

Akhenaton : Voilà, et numérique.

Dans un certain imaginaire français, la figure du rappeur doit être jeune, ce qui est un peu moins le cas aux États-Unis : pourquoi en France, le rappeur doit-il être jeune ?

Kheops : (Rires) Ils ont une avance sur nous, donc il y a un décalage.

Akhenaton : Il y a encore ça aux États-Unis. On en parlait avec François (Kephren) récemment. Il y a encore ce truc de jeunisme.

Shurik’n : Là, tu fais le vieux !

Akhenaton : Il y a ce côté sport compét’ qui est assez dur envers les anciennes générations. Et vu que c’est une culture qui a quarante ans, notre génération défriche. Récemment, j’ai discuté avec un producteur américain assez connu. Il me disait : « Mais l’air de rien, vous êtes les premiers aujourd’hui à rassembler encore. Même aux États-Unis, il n’y a plus de grand groupe de votre époque qui rassemble autant de monde… ». Donc, on est dans l’inconnu, on avance. Tout ce que j’espère, c’est que cette musique soit comme le jazz. Les premiers jazzmen, on leur a dit : « C’est une musique de jeunes, arrêtez ». Et pourtant, j’ai vu des jazzmen sur scène qui s’en sortaient très bien. Ils ne sautaient plus, n’étaient plus debout, ne jouaient plus comme des fous. Mais la musique est restée bonne. Dans le rap, je pense qu’il faut adapter aussi chaque performance à ce qu’on peut faire à son âge.

« Tout ce que j’espère, c’est que le hip-hop devienne comme le jazz »

Dans l’introduction de votre album, vous dites « A tous les jeunes MC’s (2) mettez le plaisir d’abord » : c’est un conseil aux autres rappeurs ?

Shurik’n : C’est ce qu’on a toujours fait.

Kheops : C’est un jeu qu’on a fait. C’est un scratch de l’album précédent. Elle est dans un contexte spécial, avec d’autres phrases. Je ne la trouve pas dure. C’est plus un conseil.

Akhenaton : Pour moi, c’est une phrase bienveillante. Le conseil surtout de dire que, quand on sort des clous, et qu’on commence à calculer des tas de choses, c’est là où ça ne passe pas terriblement. Nous concernant, je pense qu’on a toujours fait les trucs par passion. Avec le plaisir au centre des choses. Sinon, on ne fait pas.

Du coup, quel regard portez-vous sur le rap actuel, en général ?

Akhenaton : Une partie du rap d’aujourd’hui est issue d’une autre culture, de variété et de pop, et qui est tout à fait normal, puisqu’ils ne sont pas connectés à la culture hip-hop. Mais il y a aussi une partie de cette jeune génération qui continue à faire du rap dans la culture hip-hop. Donc, on ne peut plus apporter un regard, mais des regards. Car le rap est dans toutes les directions. Même au niveau des contenus, des paroles, on peut arriver à trouver des morceaux qui disent tout et son contraire.

Shurik’n : C’est très très large.

Akhenaton : Je le dis souvent en interview, mais je pense que le rap aujourd’hui, il y a à la fois la contre-culture et la culture mainstream [de masse — N.D.L.R.] en même temps. Ce qui est assez rare dans l’histoire de la musique. Et la contre-culture du rap, c’est du rap.

Quel regard portez-vous sur un autre rappeur marseillais, multi-disques de platines : Jul ?

Akhenaton : C’est une question de goût, ou une question de carrière ? Si c’est une question de goût, quand on parle de rap, on parle de couplet rappé, on ne parle pas de morceaux chantés. Donc, forcément, ça ne va pas être dans nos goûts. Maintenant, si on parle de sa carrière, j’ai une certaine forme de respect.

Kheops :
Il gère bien.

Shurik’n : Il a installé son truc. Il a sa patte.

Akhenaton : Après, je préfère quand il rappe, comme dans certains “freestyles”, que quand il chante sur du “uptempo” [rythme rapide – N.D.L.R.]. C’est une question de goûts musicaux. Je pense qu’on peut apprécier les hommes et les femmes, sans apprécier leur musique. Il y a des gens dans la variété que j’apprécie beaucoup, mais je n’aime pas du tout leur musique.

Shurik’n : On ne dit pas qu’elle est pourrie, on dit qu’on n’aime pas. Ça fait toute une différence.

Et PNL, vous en pensez quoi ?

Akhenaton :
C’est le même cas. Ça chante beaucoup. Pour moi, « to rap », la base du verbe, c’est la percussion. Frapper. Du moment où ça chante, ça devient de la chanson. Si on me demande ce que j’aime dans la chanson, je vais aller écouter des gens qui, à mon goût, chantent. Je vais te parler de Donny Hathaway, de Roberta Flack, de Curtis Mayfield, ou même d’Alicia Keys. Chanter à travers un “plug-in”, ça ne me parle pas. Mais maintenant, oui, je préfère que ce soit eux, que la variété qu’il y avait en France il y a 30 ans de ça.

Shurik’n : On préfère la variété d’aujourd’hui, que la variété de nos parents. C’est une question de génération.

NTM a fait un concert d’adieux le jour de la sortie de votre album : drôle de coïncidence pour vos meilleurs ennemis ?

Shurik’n : Ils n’ont pas fait un adieu. Ça fait une bonne dizaine d’années qu’ils ont arrêté. Ils se sont reformés pour les concerts.

Kheops : Ça n’engage qu’eux. Nous, on avance. On a déjà du mal à se gérer tous les cinq ensemble (rires). On nous disait ça quand on partait à New York. On avait un ami qui était numéro 1 au Billboard U.S. [classement américain des ventes de disques – N.D.L.R.]. On lui disait : « Oh, tu écoutes ça, et tu écoutes ça ? ». Il nous disait : « C’est pas que je veux pas écouter, c’est que j’ai tellement de boulot, j’écoute ce que je fais, et je suis à fond là-dedans. » A un moment donné, tu avances pour ton groupe, ta famille. S’ils font des concerts, pas des concerts… ça ne change pas notre vie.

« Cite-moi un autre métier où, quelqu’un qui a volé la banque est le directeur de la banque dix ans plus tard »

Yasuke est votre dixième album : à titre individuel, quel est votre album d’IAM préféré ?

Shurik’n : Le prochain !

Kheops : Le prochain, oui.

Akhenaton : Ou alors, quel est notre album « passé » préféré d’IAM ?

Vous envisagez donc déjà un autre album ?

Kheops : On l’a fini !

Vous l’avez fini ?

Kheops : Non, je rigole (rires).

On a l’impression que vous revenez sur votre passé dans Yasuke notamment sur le titre Once upon a time : ce n’est pas le dernier album d’IAM ?

Shurik’n : Ce n’est pas la première fois qu’on fait ça. Qu’on raconte notre histoire. Ou l’histoire du hip-hop. Notamment dans Dernier coup d’éclat [sur l’album Arts martiens, en 2013 – N.D.L.R.].

Kheops : C’est un morceau hip-hop qui rappelle notre histoire, notre culture.

Shurik’n : Notre rencontre avec le hip-hop surtout. On a lié les deux aspects historiques.

Akhenaton :
On a appris avec le temps à vivre ce qu’on est en train de faire. La mire, c’est la tournée des 25 dates au printemps. La recette, c’est de ne plus trop réfléchir à long ou à moyen terme.

Kheops : Pour qu’il y ait un futur, il faut bien réussir le présent.

Quel regard portez-vous sur l’industrie musicale aujourd’hui ?

Akhenaton :
Aujourd’hui, la musique, c’est quand même devenu compliqué… Je suis étonné qu’il n’y ait pas plus de gens qui parlent de comment fonctionne réellement l’industrie musicale. C’est devenu très complexe. Les fausses vues, les faux “likes”… 

Shurik’n : Tout a changé. La façon dont se diffuse la musique, dont elle se perçoit, dont elle se conçoit.

Kheops : Nos gros tubes, on rigole, parce qu’on voit combien de vues ils font. Il y a des nouveaux morceaux qui sortent, en deux-trois jours, ils ont atteint ce que nous on a mis 20 ans à faire. En étant un classique du hip-hop, et que tout le monde connaît ! A un moment donné, il y a un souci.

Shurik’n :
Ambiance ! (rires)

Akhenaton : Le souci, c’est qu’il y a un mode de fonctionnement que personne ne commente. Au contraire, on voit des cérémonies de remise où tout le monde s’extasie devant 40 millions de vues. Quand Napster [site de musique en libre partage – N.D.L.R.] conclut un accord avec des marques de bagnoles pour distribuer de la musique dans les voitures… Cite-moi un autre métier où, quelqu’un qui a volé la banque, est le directeur de la banque dix ans plus tard. Aucun. La musique, c’est la fiesta. Parce qu’on est des méchants saltimbanques milliardaires (rires) !

Du coup, comment vous vous positionnez par rapport à cela, car vos albums sont tout de même sur ces types de plateformes ?

Akhenaton : Quand on est en maison de disques, on ne se positionne pas. Après, la prise de position, elle se fera si un jour on fait le choix de faire un disque en indépendant. Tant qu’on est dans une grande maison de disques, on a fait le choix d’y être, on suit les règles. On n’a pas l’indépendance et la puissance de Taylor Swift pour intervenir sur ça. En même temps, je pense qu’il n’y a rien à faire, car c’est une question culturelle. Les gens pour qui la musique était en 3ème ou 4ème budget en termes d’investissement culturel, ont intégré dans leur ADN, qu’aujourd’hui c’est en 25ème. Cela passe après la paire à la virgule, les cigarettes, les verres dans les soirées. Quand tu es allé trop loin dans une direction, comment tu veux revenir en arrière ? Les gens sont habitués à payer 9,99 euros par mois, et à avoir accès à 50 millions de titres.

1) Le sampling est une technique à l’origine de la musique rap, qui consiste à prendre un échantillon de son pour en faire une boucle.

2) MC pour « master of ceremony », nom usuel de celui qui tient le micro, le rappeur en l’occurrence

IAM symphonique à Monaco. L’entretien en vidéo