samedi 27 avril 2024
AccueilCultureMarc Monnet : « Le risque est permanent »

Marc Monnet : « Le risque est permanent »

Publié le

Du 15 mars au 14 avril 2013 se tiendra la 29ème édition du Printemps des Arts. Son directeur artistique depuis 2003, Marc Monnet, revient sur les temps forts du festival et sur les difficultés financières qui touchent encore les entités culturelles.

PROGRAMMATION

Monaco Hebdo : Le Printemps des arts attire chaque année environ 10 000 spectateurs. Quelle est la marque de fabrique, la singularité, de ce festival ?
Marc Monnet : Le Printemps des arts propose une traversée musicale qui s’étend du 10ème siècle — à peu près de la naissance de l’écriture de la musique — au 21ème siècle. Avec la volonté permanente d’être inventif, de surprendre, de faire découvrir tout ce qui peut se produire dans le monde, de différent, et parfois d’un peu décalé, mais aussi de très classique !

M.H. : Pour cette édition 2013, deux compositeurs seront plus particulièrement à l’honneur : Beethoven et Béla Bartók…
M.M. : Notre particularité est de proposer des monographies. Il n’y a donc pas de mélange de compositeurs dans un même concert. C’est une manière d’inviter les spectateurs à rentrer pleinement dans leurs univers respectifs. Il y aura ainsi 5 concerts au total pour découvrir l’univers de Béla Bartók et neuf concerts répartis en deux week-ends consacrés à Ludwig Van Beethoven. Avec des sonates pour violon, des sonates pour violoncelle et des trios avec piano. Nous avons également programmé du Stravinsky, le voyage surprise, et les journées Congo et Cambodge…

M.H. : Pourquoi justement avoir choisi cette année de mettre à l’honneur le Congo ?
M.M. : Nous avons depuis des années invité des cultures extra-européenes (Inde, Turquie, Iran…). Je trouvais important d’aborder l’Afrique car c’est une culture que l’on a tendance, à tort, à ignorer, qui est pourtant très vaste d’un point de vue artistique et très riche. J’ai donc souhaité faire un portrait du Congo (RDC), un des plus grands pays du continent. Les spectateurs pourront découvrir des groupes de musiciens traditionnels et de danseurs, pour la plupart originaires de la province de Bandundu, et l’Orchestre symphonique Kimbanguiste de Kinshasa. Un orchestre tout à fait atypique puisqu’il s’agit de personnes issues d’un pays où le niveau de vie est un des plus bas, qui ne savaient ni lire la musique, ni la jouer, et qui, n’ayant pas les moyens, ont fabriqué eux-mêmes leurs instruments. Une entreprise humaine invraisemblable. C’est assez fascinant d’observer la capacité de ces personnes à monter des projets, alors qui n’ont pas un centime en poche, et de voir comment elles absorbent notre culture puisque l’orchestre symphonique est un pur produit occidental.

M.H. : Autre originalité de cette nouvelle édition : la découverte des musiques et des danses traditionnelles khmères…
M.M. : Nous avons en effet convié le Ballet Royal du Cambodge, composé de 23 danseurs et de 10 musiciens. Ce ballet a une histoire très particulière, puisqu’au moment de la folie meurtrière des Khmers Rouges, les intellectuels et les danseurs ont été en grande partie exterminés. Lors de ces événements tragiques qui ont secoué le Cambodge à partir de 1970, l’action de la princesse Norodom Buppha Dev — qui est elle-même une ancienne danseuse — a été déterminante pour faire renaître cet art. Après avoir suivi son père en Chine, elle s’installe quelque temps à Paris puis décide de rejoindre la résistance à la frontière khmero-thaïlandaise. Elle créée alors des écoles de danse dans les camps de réfugiés. En 1991, après les élections nationales, elle rentre au Cambodge et s’efforce là encore de regrouper autour d’elle les anciens artistes qui ont survécu au régime de terreur des Khmers Rouges. Aujourd’hui, elle consacre la majeure partie de son temps à refaire vivre les anciennes chorégraphies oubliées du Ballet Royal.

M.H. : Comment repérez-vous tous ces artistes lointains ?
M.M. : Au cours de mes voyages, je sillonne longuement les villes, je fais beaucoup de rencontres. Grâce à mes relations sur place, j’ai aussi la chance de découvrir des artistes authentiques et des lieux que peu de personnes connaissent. Il ne faut évidemment pas passer par les canaux touristiques ou par des tourneurs, car le risque est de tomber sur des caricatures de ballets ou de musiciens, souvent très éloignées de la réalité et de l’authenticité artistique de ce qui se passe sur place.

RESTRICTIONS BUDGÉTAIRES

M.H. : En 2012, les restrictions budgétaires imposées par le gouvernement ont considérablement échaudé les institutions culturelles. Qu’en est-il pour l’année 2013 ?
M.M. : Globalement, notre budget s’élève à 1,5 million d’euros. Pour la quatrième année consécutive, nous n’avons bénéficié d’aucune hausse budgétaire. Ce qui représente une sérieuse diminution, puisque les coûts, eux, ne diminuent pas. L’inflation court toujours. En 4 ans, on a donc perdu environ 8 % de budget. Nous nous retrouvons au même niveau financier qu’en 2008 ! Le Printemps des Arts a fait tous les efforts nécessaires en termes de restrictions budgétaires, à tel point qu’aujourd’hui, on est en flux tendu. On n’a pas un centime de marge. Le risque est permanent. Il ne faudrait pas qu’il y ait une annulation pendant le festival, ou un problème technique car on serait en grave difficulté budgétaire. On finit l’année à 100 euros près…

M.H. : Quels sacrifices avez-vous fait en raison de ces restrictions budgétaires ?
M.M. : Nous avons évidemment cherché des économies sur tous les plans, essentiellement dans la communication et la publicité. Les affiches à l’aéroport de Nice ont par exemple été supprimées, ainsi que toutes les affichettes sur les vitrines des magasins. Nos publicités dans Nice-Matin ont également été revues à la baisse (-25 %). Plus grave, notre équipe est passée de 6 à 5 permanents. Mais nous avons aussi supprimé ce qui n’était pas essentiel, et maintenu notre journal sur papier ordinaire (500 000 exemplaires), ne pouvant pas améliorer sa présentation. Tout a été passé au crible de l’économie.

M.H. : Et au niveau des choix artistiques ?
M.M. : Qui dit restrictions budgétaires, dit forcément renoncement et donc diminution d’activités. Par conséquent, moins de spectacles, suppression de certains concerts et programmation d’évènements moins chers. Donc parfois moins prestigieux.

M.H. : Pour les éditions 2012 et 2013 du Printemps des arts, vous bénéficiez du financement privé de la Banque Martin Maurel Sella ? Qu’en est-il pour 2014 ?
M.M. : Pour l’heure, nous n’avons aucune garantie que le partenariat sera renouvelé en 2014. Or, toute la problématique réside dans le fait que nous travaillons déjà aujourd’hui, sur les programmations de 2015 et 2016. Les financements privés se renouvellent généralement année après année. Il n’y a pas d’engagement à long terme. Nous n’avons donc aucune visibilité.

M.H. : Le gouvernement a-t-il conscience de ces difficultés ?
M.M. : Concernant le sponsoring privé, le gouvernement nous a donné une nouvelle rassurante. Très récemment, le ministre d’Etat Michel Roger a confirmé aux représentants des institutions culturelles qu’en cas de défection d’un sponsor privé, le gouvernement compensera la perte financière éventuelle. C’est une garantie indispensable pour nous. Car sans cette mesure, le risque était véritablement de mettre la clé sous la porte. Il suffit de voir aux Etats-Unis les gros problèmes créés en raison de la chute des sponsors. Des orchestres sont en voie de disparition… Le gouvernement a donc aujourd’hui une position plus nuancée. L’an passé, ce qui avait été surtout problématique, c’était l’absence de concertation. L’annonce a été brutale. Le dialogue semble aujourd’hui renoué. En revanche, nous n’avons toujours aucune direction budgétaire à moyen terme qui nous permettrait de travailler sans risque, vu que notre secteur est contraint de se projeter deux à trois années en avance pour obtenir les artistes.

M.H. : L’année dernière, le gouvernement a économisé sur la culture un peu plus de 4 millions d’euros. La culture reste donc, cette année encore, une cible des restrictions budgétaires.
M.M. : Le problème, au fond, n’est pas véritablement budgétaire. C’est surtout une question de choix politique que fait ou non un pays, en prenant conscience ou pas de la nécessité de la culture. Or, Monaco a une histoire extraordinaire en la matière. La principauté a connu les plus grands créateurs. Les Ballets Russes, les créations de Puccini, Ravel et bien d’autres. Nos institutions culturelles contribuent largement à l’image et à la notoriété internationale de Monaco. C’est cette image de modernité qu’il faut défendre, bien plus que son image de place financière. Je défends ainsi une idée politique de la culture. Je ne suis pas dans la défense corporatiste car j’ai une idée de la culture qui n’est pas la simple défense d’un petit pouvoir. Au contraire, je crois que la culture est un grand pouvoir, aussi bien pour les politiques — qui n’en ont pas toujours conscience — et un atout formidable pour l’image de la principauté. La culture représente à peine 5 % du budget de la principauté. Il reste donc 95 % de dépenses dont on peut aussi réviser la politique…

M.H. : L’introduction du sponsoring privé dans les programmations culturelles avait suscité quelques craintes. Notamment sur la question de l’indépendance. Y avez-vous été confronté ?
M.M. : Le risque évidemment existe. Des sponsors privés pourraient tout à fait revendiquer un droit de regard sur la programmation, et vouloir ainsi la modifier si certains spectacles ne correspondant pas à leur image. C’est un vrai danger. En ce qui concerne le Printemps des Arts, ce n’est pas le cas. Au contraire, des synergies positives se sont créées. Par exemple, nous n’avions pas obtenu de financement concernant le portrait sur le Congo. La Banque Martin Maurel Sella nous a aidés sur ce point grâce à son implantation en Afrique. Mais je reste persuadé que l’indépendance et la liberté de décider sont fondamentales dans l’univers artistique. Et c’est ce que permet l’argent public.

M.H. : Mais est-ce le rôle d’une banque de financer des entités culturelles ?
M.M. : Dans le passé, ce n’était pas la force publique qui finançait les artistes. C’étaient les seigneurs locaux, les prélats ou encore de riches familles comme les Médicis. Sauf qu’à cette époque, il s’agissait d’une société beaucoup plus aristocratique qui avait une véritable culture artistique. Chez les Médicis, on savait par exemple distinguer un bon peintre d’un mauvais peintre… Or, aujourd’hui, un privé n’aura pas forcément cette culture. En ce qui concerne les banques, le problème réside dans le fait qu’un gestionnaire financier a davantage un oeil normatif qu’un oeil inventif… Or, la culture n’est pas une histoire de normalisation.

M.H. : En quoi est-ce important que l’art reste indépendant ?
M.M. : Il est indispensable que l’art reste indépendant de façon à ne pas être à la merci des pouvoirs. Car il faut aussi laisser la possibilité aux artistes souvent subversifs, d’être là et de pouvoir s’exprimer. L’art n’est pas, par essence, confortable. Il y a souvent une confusion entre l’art comme représentation sociale, et l’art qui se fait. Les politiques ne voient pas toujours que l’art n’est pas toujours une réponse à leur attente. C’est aussi valable pour le public qui souvent a une attente « préformée » de ce qu’il souhaite recevoir. Or l’art reste toujours une surprise. C’est pour toutes ces raisons qu’aujourd’hui, l’argent public est à mon avis en grande partie plus favorable qu’une politique culturelle entièrement financée par le privé. Par contre, un équilibre entre puissance publique et privée peut être plutôt favorable si la puissance publique reste majoritaire.

M.H. : Une affaire agite actuellement la banque Martin Maurel Sella (voir article p. 13). Une ancienne chargée de clientèle est soupçonnée d’avoir commis un abus de confiance. Cette affaire judiciaire peut-elle, d’une certaine manière, entacher l’image de votre festival, voir mettre en péril le financement ?
M.M. : Pas du tout. C’est une affaire strictement privée. Il s’agit d’un acte isolé. Cela ne remet aucunement en cause ni le sérieux, ni la gestion globale de cette banque, ni notre partenariat.

POLITIQUE

M.H. : Le directeur de l’Opéra de Monte-Carlo, Jean-Louis Grinda, vient de se lancer en politique en s’engageant sur la liste menée par Jean-François Robillon, Union Monégasque. Sa démarche vous a étonné ?
M.M. : Je ne connaissais pas sa volonté de s’engager politiquement. Je l’ai découvert comme vous. Là encore, il s’agit d’une initiative privée, que je n’ai pas à commenter.

M.H. : Mais s’il est élu au conseil national, est-ce qu’il ne sera pas un porte-parole idéal des problématiques qui touchent les entités culturelles monégasques ?
M.M. : Ce n’est pas forcément simple d’être à la fois juge et partie… Nous avons déjà, de surcroît, de bons soutiens au conseil national. Je pense notamment à la présidente de la commission culturelle, Michèle Dittlot. Nous avons aussi un conseil d’administration qui fonctionne bien, avec une présidente, la princesse de Caroline de Hanovre, très active, et très présente. C’est un soutien moral important face aux attaques que le budget culturel vient de subir.

M. H : Une carrière politique, cela aurait pu vous intéresser ?
M.M. : Non. J’ai fait ce choix depuis longtemps. La politique ne m’intéresse pas en termes d’action publique. Je préfère travailler sur le long terme et non sur le court terme. Agir sur les consciences et non pas sur la gestion pure. Les formes d’expressions artistiques ont un pouvoir que peu soupçonnent… Sauf les régimes autoritaires, d’où notre concert sur les « musiques dégénérées »…