vendredi 26 avril 2024
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Une sirène, du génie et de l’absurde : pourquoi l’exposition de Michihiro Shimabuku vaut le coup d’œil

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C’est une exposition très singulière que présente le Nouveau musée national de Monaco (NMNM) à la Villa Paloma, jusqu’au 3 octobre 2021.

Une période suffisamment longue pour prendre le temps de découvrir les œuvres drôles et profondes de Michihiro Shimabuku, artiste japonais au style percutant et léger, que Monaco Hebdo a rencontré.

C’est l’histoire d’un grand enfant qui rêvait de devenir poète. Le propre de ces hommes-là, c’est d’en avoir que faire des convenances et des règles. N’attendez donc de lui aucune constante, si ce n’est celle de l’espièglerie, domaine dans lequel il excelle, sans retenue, ni mesure. Besoin d’une anecdote ? En arrivant à Monaco, Michihiro Shimabuku demande quelle est la plus grande femme de la principauté. Alors qu’on se questionne sur quelle princesse nommer en premier, pour éviter de froisser le sens de l’histoire, l’artiste vous arrête, puis rétorque que c’est la plus grande femme, en taille, qui l’intéresse. Ni une, ni deux, les équipes du Nouveau musée national de Monaco (NMNM) organisent alors un grand sondage en principauté pour trouver qui prêtera sa silhouette pour sa nouvelle œuvre d’art. Grande œuvre, évidemment. Il en ressort une toile aux teintes bleutées, réalisée sur un papier rare du Japon, sous forme d’empreinte photosensible, où la silhouette de la plus grande dame de Monaco — une secrète employée de mairie de 1,90 mètre, maintenant vous le savez — s’est révélée au contact de différentes sources de chaleur, comme on se réveille d’un rêve.

Des collaborations locales

Rien n’est trop beau pour Shimabuku, ni trop fou. Il faut dire que le NMNM s’y est pris à trois fois avant de pouvoir accueillir l’artiste japonais aux multiples distinctions. Jusqu’alors, l’occasion avait dû être reportée pour cause d’épidémie de Covid-19. Alors, quand on l’a enfin, Shimabuku, on le garde. Il sera donc exposé jusqu’au 3 octobre 2021 à la Villa Paloma. Au-delà de l’éternel débat confrontant la valeur véritable d’une création artistique au sérieux qu’on lui confère d’ordinaire, cet artiste ne s’est pas contenté d’exposer son travail d’hier. Il a, en plus, réalisé de nouvelles œuvres à Monaco, en collaborant avec des artisans locaux, plutôt que des artistes à proprement parler. Et, si ce n’était pas assez, il semble l’avoir fait en se moquant gentiment de lui-même, parfois. Il a, par exemple, réalisé une variante de sa Sirène de 165 mètres à partir de fougasse monégasque de 1, 60 mètre, concoctée par la Maison Costa. Vous avez bien lu. Sa fameuse Sirène, vantée dans des galeries du monde entier, le clou de son exposition, se retrouve grimée, placée sous verre, comme une parodie de momie réalisée par un enfant pour un cadeau de fête des pères. C’est inattendu, c’est drôle, c’est du Shimabuku. Mais on ne nage pas, non plus, en plein délire. Il y a, à travers ses œuvres, un sens de l’esthétique et de la surprise. Il y a aussi parfois quelque chose d’enfantin, à l’image de ce projet qu’il appelle Le Musée de la sirène, réalisé avec une classe de CM2 de l’école Saint-Charles. Des installations méticuleuses et audacieuses ont été élaborées en collaboration avec les écoliers à qui Shimabuku a dédié une pièce entière, avec beaucoup de sérieux. Il ne s’agit pas, en effet, d’un projet scolaire ou éducatif, mais d’une véritable scène d’exposition, où le regard brut et frais de l’enfant est mis en avant à pied d’égalité avec ses œuvres à lui. Il y a du respect aussi, lorsque Shimabuku invite la professeure de langue monégasque, Dominique Salvo, à faire graver la légende de la sirène en monégasque sur une pierre de travertin, cette pierre calcaire qui a servi à édifier le Colisée de Rome.

Un concombre et des pieuvres

Artiste voyageur, Michihiro Shimabuku invite son public sur les routes, dans une série de captations photo et vidéo qu’il accompagne de morceaux littéraires. On l’accompagne de la mer de Seto jusqu’à la mer du Japon, avec une pieuvre Akashi. Pieuvre d’abord vivante, puis morte, la pauvre bête n’ayant pas survécu aux changements de température. On le retrouve ensuite avec une autre pieuvre, vivante cette-fois, le long des trottoirs pavés de Zurich. Puis avec un concombre entre Londres et Birmingham, en bateau, le long d’un vieux canal. Une ode à la lenteur et à l’errance. Son exposition en elle-même est une série d’aventures qui s’apparente à un recueil de nouvelles. Ce sont des « actions poétiques », comme il dit, pour ne pas dire des « performances », car ses œuvres ne sont pas adressées à un public en soi, mais plutôt à ses objets. À cela s’ajoute une réflexion sur les rapports existant entre les êtres humains et les choses. La démarche de Shimabuku entend rendre à l’individu sa singularité, dans un monde où la personnalité de chacun se dissout dans des tâches et des fonctions à n’en plus finir. D’où son envie d’impertinence, son air moqueur qui résonne comme un grand « j’existe comme je suis » adressé au public pour qu’il en fasse de même. Car, ne pas le faire, c’est peut-être se risquer à finir comme cette pauvre pieuvre Akashi, qui n’a pas tenu bon dans des eaux trop contraires à elle-même.

La villa Ida reprend vie

Dans une pièce dédiée, l’artiste redonne vie en quelque sorte à la Villa Ida, la célèbre demeure bourgeoise construite entre 1880 et 1900 au 5, boulevard Rainier III, et démolie en 2019 après avoir été préemptée par l’État, pour laisser place à un nouveau projet immobilier d’envergure, le Grand Ida. Shimabuku a prélevé des fragments de cette Villa, qui ont été collectés en janvier 2020 par la chargée de production du NMNM, qui y avait vécu jusqu’à ses 30 ans. L’artiste a ensuite redressé ces fragments architecturaux et végétaux dans une pièce de l’exposition, en les transformant en sculpture. Un geste qui renvoie au kintsugi, cette technique japonaise traditionnelle de restauration des céramiques et porcelaines, avec de l’or ou de l’argent. Preuve, s’il en fallait une, qu’une fêlure peut aussi se conclure en renouveau.

Tarif 6 euros, gratuit pour les moins de 26 ans, groupes scolaires et groupes d’enfants, les Monégasques, les demandeurs d’emploi sur justificatifs et les personnes en situation de handicap. Entrée gratuite également le mardi de 12h30 à 14h pour « Midi au Musée » et tous les dimanches. Tarif 10 euros pour le billet couplé NMNM/Jardin Exotique/Musée anthropologique de Monaco.

Michihiro Shimabuku « Le plus important, c’est de pouvoir prendre le temps »

En marge de son exposition à Monaco, le Japonais Michihiro Shimabuku a répondu aux questions de Monaco Hebdo.

Enfant, vous vouliez devenir poète : mais qu’est-ce qu’un poète ?

Je pense qu’un poète est une personne qui s’exprime de la manière la plus authentique qui soit.

Vous aimez, à travers vos œuvres, créer et construire, mais aussi réparer ce qui semble abîmé ou brisé : comment réparer ce qui semble altéré, en cette période de crise sanitaire si complexe ?

En faisant de belles créations. C’est la meilleure chose que je puisse faire. Comme un pêcheur tente de pêcher le meilleur poisson, ou un footballeur tente de réaliser les meilleures prouesses. En tant qu’artiste, je m’efforce de faire les plus belles œuvres possibles. C’est ma manière de rendre ce monde meilleur.

Pour créer, vous collaborez très souvent aussi avec des gens de divers horizons : c’est une condition nécessaire pour réaliser une œuvre ?

Oui, tant que le temps me le permet, car le plus important, c’est de pouvoir prendre le temps. Je tire mes idées de mes escapades et des rencontres que je peux y faire. J’ai besoin d’être hors des routes. J’ai besoin d’être dehors, de regarder le ciel, d’observer ce qu’il se passe autour de moi, et de parler aux inconnus.