samedi 20 avril 2024
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Anthéa Sogno,
une vie sur les planches

Publié le

Depuis plus de deux ans, elle est la directrice artistique du Théâtre des Muses aux Moneghetti. Rencontre avec la comédienne et metteur en scène, Anthéa Sogno.

 

Sur les planches ou dans la vie, Anthéa Sogno est de ces personnages sans cesse habités. Bouillonnante d’émotions. Pouvant passer du rire aux larmes en un quart de seconde lorsqu’elle rembobine et évoque des moments de vie… Impossible de ne pas se laisser embarquer par son éloquence… Si les actrices ne dévoilent jamais leur âge… Anthéa Sogno, elle, resplendit d’une fraîcheur adolescente quand elle sourit.

 

Ses muses

Fauteuils de velours rouge, pierres apparentes sur les murs, mobilier de style Belle Epoque… Anthéa Sogno nous reçoit dans son théâtre des Muses, ouvert en septembre 2012. Sa deuxième maison désormais. Ce vieux four à pain des Moneghetti transformé en salle de spectacles d’une centaine de places était l’un des rêves de sa vie. « Mon arrière-grand-mère a acheté cette “folie” en 1930. Je l’ai appelé Théâtre des Muses en hommage à ma mère et à ses deux sœurs, mes trois mamans. Car elles sont mes muses. C’est aussi un clin d’oeil à Juliette Drouet, qui représente la muse absolue. »

 

Saga familiale

De mère Monégasque et de père Suisse, Anthéa est née à Monaco, et y vit jusqu’à l’âge de 20 ans. La genèse de la saga familiale remonte à son arrière-grand-père. C’est lui, le premier, qui débarque à Monaco. Son métier ? Vacher. « Avec son frère, il avait créé une coopérative à Sospel qui avait pour vocation de récupérer le lait des montagnes pour venir ensuite alimenter la principauté. » Les deux hommes deviennent alors les fondateurs de La laiterie moderne de Monaco.

Le grand-père, — avec un diplôme d’ingénieur en poche — invente quant à lui plusieurs machines, dont celle qui fabrique les glaces à l’italienne. « Malheureusement, à l’époque, il n’avait pas assez d’argent pour faire fabriquer ses inventions et vendait ses brevets. Notamment à Danone et à Gervais. » Quelques décennies plus tard, cette laiterie deviendra une société créatrice de vêtements baptisée la “Squadra sister system”. C’est la mère et les deux tantes d’Anthéa qui sont aux manettes. Les trois “soeurs-stylistes” vendront leurs vêtements dans le monde entier. Le père d’Anthéa deviendra même l’administrateur de cette société. « Une famille pauvre qui a réussi à la force du poignet dont je suis profondément fière et admirative », résume-t-elle.

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Sarah Bernhardt

Anthéa le reconnaît aisément. Etre née à Monaco, est « une chance. » « Un privilège. » Reste à savoir que faire de cette chance ? « Je me suis dit, soit je deviens une gourde qui confond “être et avoir”, ou je fais vraiment quelque chose de cette vie et je partage. » La jeune Anthéa choisit la deuxième option. Son partage, ce sera le théâtre. La comédie, elle avait ça dans le sang. Amusant présage… sa grand-mère, depuis l’enfance, l’a appelée Sarah Bernhardt. « J’étais une enfant et une adolescente très théâtrale. Le genre de petites filles que l’on faisait monter sur une chaise à la fin du repas pour jouer la comédie. Tout chez moi prenait des proportions extraordinaires. L’enthousiasme, le bonheur, le chagrin, le désespoir. Avec mes fiancés, mes amis ou mes parents, c’était tout le temps l’extrême. » Bref, une originale, une rêveuse, une fantaisiste. Pouvant tantôt prendre le bus avec un chapeau à plumes. Tantôt monter sur des marches et déclamer un poème devant une assistance amusée. « A l’école, d’ailleurs, je rencontrais des difficultés tant il m’était difficile de canaliser cette énergie créatrice. J’avais sans cesse besoin de mettre en scène la vie pour la rendre plus belle, plus drôle, plus intense. Et cela me mettait souvent dans de drôles de situations. » Une lecture va l’a marquer au fer rouge : Ma double vie, l’autobiographie de Sarah Bernhardt. Le dernier amour de Victor Hugo — qui inspira les plus grands écrivains, photographes et artistes de son temps — devient pour Anthéa, « une sorte d’âme sœur aussi extravagante que moi, dont le récit m’a énormément rassuré, car en dépit de tout, elle avait réussi à trouver sa place dans l’existence. Je craignais à cette époque de ne pas y arriver. »

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« La p… respectueuse »

Sa place dans l’existence, elle l’a trouvera à l’âge de 18 ans. Grace à une rencontre : Henri Legendre, son professeur d’art dramatique au Théâtre de l’Alphabet à Nice qui l’a forme pendant deux ans. Elle se souvient « d’un cocon, d’une ambiance familiale. » Avant de plonger de plain-pied dans l’univers théâtral, Anthéa fait un passage éclair, pour le moins original, sur le petit écran. Sur la chaîne TMC, à 18-19 ans, elle anime une émission pour jeunes : Zapados : « Pendant un an, j’ai été une sorte de Dorothée monégasque pour les ados », se souvient-elle amusée.

Son baptême du feu sur les planches s’opèrera à l’âge de 20 ans. Avec un premier rôle très marquant : La p… respectueuse de Jean-Paul Sartre. « C’était une mise en scène extrêmement physique, sensuelle et violente où l’on me maltraitait un peu. Cette pièce était un choix délibéré de mon professeur qui, pour mon premier rôle, a voulu que je naisse au théâtre, comme on vient au monde, dans la force et la violence, afin de bien réaliser l’implication que demande d’incarner un personnage sur scène. »

 

Cours Florent

A 22 ans, Anthéa fait ses valises pour Paris. Direction avenue Jean Jaurès où elle intègre les cours Florent, pour une année seulement. La comédienne en herbe ne s’y sent pas vraiment à son aise. « L’ambiance familiale du théâtre de l’Alphabet, et mon professeur me manquaient beaucoup trop. Difficile de surcroît de trouver ses marques avec des centaines d’élèves… » Pour gagner sa vie, Anthéa devient alors ouvreuse au Théâtre de Paris. Gilbert Coullier — actuel producteur de Gad Elmaleh — devient son premier patron et lui confie le merchandising des spectacles qu’il produisait au Palais des Congrès. « Gilbert avait accepté d’engager les autres jeunes comédiens de ma troupe. On était sept au total. C’est avec eux que j’ai monté ma première troupe : Le septentrion. » Cette hyperactive bouillonnante a alors une idée qui va faire mouche : monter des pièces en un acte de Sacha Guitry. Et pour chacune d’elle, faire appel à de grands noms du théâtre pour la mise en scène. L’idée séduit. Et la liste des collaborateurs éphémères qui acceptent de prêter main forte est pour le moins prestigieuse : Michel Galabru, un grand passionné de Guitry, Jacques François qui avait tourné avec l’équipe du Splendid, l’acteur François Perrot, ou encore le costumier américain Donald Cardwell.

 

Succès

« Tous ont accepté gratuitement. La preuve que le théâtre est un monde sacré où le devoir de transmission est très fort… » Cet énorme pied à l’étrier permet à cette bande de comédiens d’enchaîner les succès. « Tous ces spectacles, réalisés avec des bouts de ficelles ont, au final, été des bombes, finissant leur carrière dans les plus beaux théâtres de Paris. » Le premier spectacle, Quoi de neuf ? Sacha Guitry, est joué 600 fois à Paris et en Province. Une nuit avec Sacha Guitry, sur une mise en scène de Jacques Décombe, (ex-metteur en scène des Inconnus), est aussi un triomphe : 700 représentations au compteur, neuf mois à Marigny. Ciel ! Mon Feydeau ! —  dont elle assure la mise en scène tout en jouant, comme toujours, le rôle principal — atteint les 500 représentations dont six mois à la Michodière. Les souvenirs de cette époque sont forcément indélébiles. « On a parcouru la France en minibus, pendant des années, les uns sur les autres, comme une nichée de chiots qui ne cessaient de s’amuser ensemble. C’était une aventure humaine incroyablement intense. J’ai adoré ma vie à Paris. Le départ a d’ailleurs été très difficile. Mes frères et mes sœurs de théâtre me manquent terriblement. »

 

Philippe Caubère

Après ces années de comédienne itinérante, la vie d’Anthéa prend un nouveau tournant. Car elle croise la route du comédien Philippe Caubère. « Le coup de foudre de son existence », assure-t-elle. « En le découvrant sur scène, j’ai véritablement eu le sentiment de voir un surhomme. Un dieu. » De ce coup de foudre naîtra, par surprise, une petite fille, Théodora, aujourd’hui âgée de 8 ans. « Théodora sait qu’elle a un papa extraordinaire, un des plus grands comédiens français, celui qu’on appelle « l’homme théâtre » parce qu’à lui tout seul, sur un plateau vide, il est capable de jouer l’histoire de sa vie en incarnant, pour chacun de ses nombreux spectacles, des dizaines de personnages. On rit, on pleure, c’est tout à fait bouleversant, raconte-t-elle. D’ailleurs, innombrables sont les comédiens qui avouent s’être inspirés de la révolution théâtrale qu’il représente. » Evidemment, Théodora est une enfant de la balle qui aime jouer la comédie. « D’ailleurs, Philippe était très fier d’elle. Il est venu la voir jouer dans chacun des spectacles de fin d’année auxquels elle a participé au Théâtre des Muses. »

 

Christophe Barbier

Autre personnage marquant de la vie d’Anthéa : Christophe Barbier. Quand le directeur de la rédaction de L’Express ne livre pas des chroniques politiques à toute allure sur I-télé, ce passionné de théâtre aime passer du temps sur les planches et s’occuper de sa troupe de comédiens amateurs. « Suivant mon parcours théâtral, il avait assisté à l’une des représentations de La double inconstance de Marivaux que j’ai mis en scène et joué. Pour une interview, nous sommes allés dîner ensemble et je suis tombée en amitié avec ce brillantissime gentleman. Pour lui, le temps semble élastique. Je ne sais pas comment, du journaliste au saltimbanque, il arrive à tout faire. Il me fascine. » Le binôme partagera la scène à plusieurs reprises sur différentes pièces. A ses côtés, Anthéa se souvient avoir fait de la mise en scène « par textos » ou débuté des séances de répétitions à deux heures du matin dans les locaux de L’Express« Tous les plus grands journalistes sont passés nous voir. » PPDA a même dit d’Anthéa qu’elle était “la Sarah Bernhardt de ce siècle”. « Mon arrière grand-mère m’ayant surnommée Sarah, ne s’était pas trompée. La boucle est bouclée ! » Mais sa plus grande source d’inspiration s’appellera Juliette Drouet, la maîtresse de Victor Hugo. Depuis 2007, Anthéa tourne avec le spectacle, Victor Hugo mon amour, qu’elle a créé à partir des lettres des deux amants. Depuis, elle s’est fixée bille en tête une mission : qu’il y ait dans chaque ville de France, une rue, qui porte le nom de Juliette Drouet « afin que justice soit rendue aux merveilleuses femmes oubliées qui, dans l’ombre de leur grand homme, ont fait la beauté et la force de la France. A la fin de chaque représentation, je fais donc signer une pétition. » A ce jour, elle a recueilli 7 000 signatures.

 

Théâtre des Muses. 45 boulevard du jardin exotique. Renseignements : www.theatredesmuses.fr. 97 98 10 93.

 

Sa montée des marches à Cannes

Si cette enfant du pays est avant tout une femme de théâtre (elle a assuré à ce jour près de 1 300 représentations de Sacha Guitry) Anthéa Sogno a également décroché quelques rôles sur grand écran. Notamment aux côtés de Claude Miller dans Classe de neige (1998), un film très noir, d’après le roman d’Emmanuel Carrère. « J’ai eu le bonheur de monter les marches du Palais des festivals de Cannes, de voir ma bouille sur grand écran, et de faire rire toute la salle », se souvient Anthéa.