Pour sa directrice Marie-Claude Beaud, le Nouveau musée national de Monaco, écartelé entre la Villa Sauber, avenue princesse Grace et la villa Paloma, boulevard du jardin exotique, est à la croisée des chemins. Encensé par la critique, il doit faire face aux restrictions budgétaires. Soit une coupe de 10 % en 2012.
Monaco Hebdo?: Nous sommes dans une période de restrictions budgétaires. Comment percevez-vous les coupes à venir??
Marie-Claude Beaud?: C’est une période intéressante pour Monaco. Nous sommes à un moment-clé où les 30 années de travail de la princesse de Hanovre pour développer à Monaco une scène culturelle la plus variée et la plus ouverte possible commencent à porter leurs fruits et où la direction des Affaires culturelles essaie d’exister dans un contexte gouvernemental qui change. Il ne faut pas être grand sage pour savoir qu’en période de crise, la première chose qui trinque, c’est la culture. C’est un phénomène international.
M.H.?: Comment cela se manifeste-t-il sur le plan budgétaire??
M.-C.B.?: Notre budget en 2011 est, pour l’instant, si on ne nous le ratiboise pas, de 4 millions d’euros. Pour le rectificatif, nous devons faire des économies pour finir l’année sans la moindre augmentation. En 2012, nous avions demandé un budget de 4,3 millions. J’imagine que l’on aura 4 millions d’euros et toujours pas de budget d’acquisitions.
M.H.?: En clair, le musée ne peut pas enrichir ses collections??
M.-C.B.?: Cela fait deux ans que l’on nous refuse tout budget d’acquisitions. Nous n’avons pas un centime pour acheter une œuvre. Or un musée n’est pas un centre d’art?! Un musée qui ne développe pas sa collection est mort (heureusement nous avons quelques donations). Quand je suis arrivée en 2009, j’ai utilisé les 600?000 euros d’enveloppe budgétaire que mon prédécesseur, n’avait pas eu le temps de dépenser… En 2009, Jean-Michel Bouhours lui-même avait déjà vu son budget réduit à 600?000 euros au lieu d’un million. Depuis, plus rien. Ça fait deux ans qu’on paye la crise?! Une troisième année, ça ne m’amuserait pas beaucoup…
M.H.?: Quelles acquisitions avez-vous loupé??
M.-C.B.?: Par exemple, l’été dernier, l’Association « Monaco Project for the Arts » avait présenté un projet de l’artiste allemand Carsten Höller au Pavillon Bosio. J’aurais adoré garder le Champignon de Carsten Höller dans nos collections. Il est parti au Centre Pompidou. C’est dommage. J’aurais aimé garder un cabinet de curiosité de Mark Dion. Même chose pour la pièce qu’a réalisée Thomas Demand spécialement pour l’exposition à la Villa Paloma, Hydroculture?: on va être obligé de la renvoyer car nous n’avons pas le budget initialement prévu pour l’acquérir?! C’est regrettable car j’aime bien aller jusqu’au bout. Je trouve qu’un musée doit d’abord conserver un patrimoine et constamment le développer. Et puis, le NMNM finit par perdre sa crédibilité dans le milieu de l’art. On m’a fait la réflexion à de nombreuses reprises, notamment une des galeries de Damien Hirst?: « Marie Claude, c’est étrange, vous ne pouvez pas acheter. » C’est la chose la plus difficile à digérer.
M.H.?: Vous travaillez avec les galeries de Monaco??
M.-C.B.?: Je n’ai pas d’argent. Que voulez-vous que j’achète?? On ne joue pas non plus notre rôle d’aide sur le plan local. Evidemment, je ne suis pas là pour acheter uniquement sur le territoire monégasque. Ce serait ridicule de dire ça. Mais on loupe de véritables occasions. Notamment un mobilier formidable de Perriand Jeanneret Le Corbusier qui venait de Chandigarh à la Galerie Delphine Pastor pour notre espace de documentation. Ou un Boulatov à Sem Art, ou encore de la documentation photographique et des œuvres sur Monaco à la galerie Pierre.
M.H.?: Il paraît que le dernier conseil d’administration a été délicat?? On vous reproche de produire un travail abscons ou confidentiel comme le disent certains conseillers nationaux??
M.-C.B.?: Il paraît que je fais un travail qui décoiffe (cf. l’interview de Paul Masseron dans Monaco Matin). Nous avons eu droit à la lecture d’une lettre du département des finances. On était prévenu puisque nous avions reçu avant une lettre de la tutelle disant qu’il fallait dépenser moins pour dépenser mieux. Mais tous ces gens qui nous sanctionnent à tout niveau ont-ils vu les expositions?? Il faut prendre le temps de comprendre. Le regard de Shonibare à la Villa Sauber, c’est une manière de mettre en valeur les collections. Avec l’exposition à venir en juin, Looking up… On aura tout vu, c’est une façon de montrer le patrimoine monégasque, en particulier les automates et les poupées de la collection Madeleine de Galéa, qui ont été en partie restaurés. Mark Dion, lui, s’est servi de tous les objets liés à la mer dans les collections du NMNM, comme il l’a fait avec les collections du Musée océanographique. Si on ne regarde que l’audience du musée, dans une Villa de 600 m2 on ne fait pas rentrer le même nombre de personnes que dans un espace de 10?000 m2. C’est mathématique?!
M.H.?: Quelle est votre marge de manœuvre??
M.-C.B.?: Le Musée aurait 20 ans d’existence, je ne réagirais pas ainsi. Là on a 6 mois d’existence. Rappelons que le NMNM, nouvelle manière qui regroupe la Villa Paloma et la Villa Sauber, est né en septembre 2010. J’ai été disciplinée durant les deux premières années de mon contrat. Mais là, j’entame ma dernière année. Je termine en principe au 1er avril 2012. Pourquoi a-t-on rouvert Paloma?? S’il y a deux ans, quand je suis arrivée, on commençait à couper les fonds, pourquoi ne pas aller jusqu’au bout et transformer Paloma en une deuxième Vigie, en résidence chic à privatiser??
M.H.?: Les acteurs culturels craignent d’être menacés à terme??
M.-C.B.?: Je voudrais savoir si cette situation est vraiment conjoncturelle. Si c’est le cas, tout le monde se serrera la ceinture d’un cran mais sachant que nous nous la sommes serrée de deux crans chaque année, on a pris de l’avance par rapport à d’autres et c’est injuste. Ou bien est-ce un désir de réorganisation administrative et là je n’ai rien à dire?? Où alors s’agit-il plutôt d’un changement de cap de choix artistique pour faire venir uniquement des expositions grand public et de l’évènementiel??
M.H.?: C’est ce que craignent certains…
M.-C.B.?: Le musée a été fermé une première fois quand le bâtiment a été détruit en 1958 pour construire le Millefiori. Est-ce qu’on veut faire la même chose aujourd’hui?? Sans arrêt, depuis 1958, la question du musée a été posée. En tout cas, on se rend compte qu’il faut réfléchir aujourd’hui à ce qu’est un Musée National et à ce que ça implique.
De mon côté, je ne peux que travailler avec mon équipe pour prouver qu’on est indispensable culturellement et historiquement. Je pense qu’on a un rôle à jouer extrêmement important. Surtout par les temps qui courent. Et qui courent fort mal en ce moment.
M.H.?: Vous avez fait vos preuves avec les succès des dernières expositions dans la presse internationale??
M.-C.B.?: Quand je viens travailler le matin, je regarde le côté positif. Et ce qu’on a fait. Ça ne m’est jamais arrivé dans mes 40 ans de carrière d’être cité dans les 10 meilleures expositions mondiales, dans Art forum (2010)?! Le New York Times a fait également un article élogieux sur l’exposition La carte d’après nature de Thomas Demand. L’image d’un musée se construit, or on ne construit pas une image en 6 mois ni en 3 ans.
M.H.?: Vous êtes satisfaite de la villa Paloma??
M.-C.B.?: Les lieux d’exposition sont extrêmement agréables. On arrive à faire beaucoup de choses mais c’est petit. Et puis c’est une villa. Les deux Villas ont été transformées en musées. Ce ne sont pas des musées conçus pour être des musées. On ouvrira peut être le jardin à des artistes. Cela pourrait faire un joli parcours de sculptures jusqu’au Jardin Exotique. On travaille depuis deux ans avec un artiste qui a une relation particulière à Monaco, Anish Kapoor. Son père avait travaillé comme ingénieur hydrolicien en Principauté. Il venait le voir régulièrement quand il était étudiant à Londres. Pour préparer ce projet, je suis allée le voir et voir ses expositions à New Delhi, à Bombay, à Londres et à Paris.
M.H.?: De quel projet s’agit-il??
M.-C.B.?: Lorsqu’il viendra à Monaco, je lui montrerai différents sites?: la Villa Paloma, la grotte du Jardin Exotique, le Musée d’Anthropologie Préhistorique, la salle du Sporting d’Hiver, le Musée océanographique… Comme on avait fait avec Mark Dion. Chaque artiste qui vient doit mesurer le potentiel de Monaco.
M.H.?: Quels autres projets avez-vous pour 2012??
M.-C.B.?: Le projet de l’année prochaine, dont Nathalie Rosticher-Giordano s’occupe, est centré sur l’architecture à Monaco. Il s’agit de regarder ce qui a été réalisé ou pas en Principauté. Elle a retrouvé entre autres des projets d’Archigram, Yona Friedman, Rem Koolhaas, Jean Nouvel, Emilio Ambasz… Monaco a toujours fasciné les architectes.
M.H.?: Vous avez un projet avec des artistes monégasques??
M.-C.B.?: Oui. Le Musée invite le groupe Signe d’origine monégasque qui a marqué les années 70 pour le printemps 2012. Ils vont investir la Villa Paloma pour faire, comme ils disent, « retourner l’art dans la rue d’où il n’aurait jamais du partir ».
M.H.?: Vous ne manquez pas d’idées??
M.-C.B.?: Non, mais on ne pourra certainement pas tout faire la même année. Nous avons de nombreux projets d’exposition, comme entre autres Le Silence dont le commissariat sera assuré par Simone Menegoi et Cristiano Raimondi (NMNM) et un projet autour du travail d’Ed Ruscha et Eric Bulatov.
M.H.?: Vous ne pouvez donc que rester?? Qu’allez-vous faire??
M.-C.B.?: Je ne sais pas. Ce qui est sûr, c’est que je suis dure de la tête. « Comtois, rends-toi?! Nenni, ma foi?! » est la devise de la Franche-Comté dont je suis originaire. On va se battre. Il y a des gens qui nous aident. Nous avons la chance de pouvoir compter sur le soutien de la Présidence, de nos supérieurs immédiats, et de l’Association des amis du Musée.
M.H.?: Une question d’actualité?: Comment avez vous reçu l’actualité DSK?? Vous avez été choquée?? Saisie??
M.-C.B.?: Je n’étais pas là bas, ce n’est pas moi qui tenais le balai… Je ne ferai donc pas de commentaire. Trop de gens se permettent de dire des choses alors qu’ils n’ont aucune information. J’ai vécu aux Etats-Unis donc je sais comment fonctionne la justice américaine.
