vendredi 19 avril 2024
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Kevin Rolland : « Cet accident m’a changé en tant qu’être humain »

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Kevin Rolland est un miraculé. Victime d’une terrible chute lors d’une tentative de record du monde de hauteur, ce skieur freestyle est resté plusieurs jours dans le coma, avant de renaître à la vie pour tenter d’aller chercher une médaille lors des prochains Jeux olympiques d’hiver de Pékin, du 4 au 20 février 2022. Son histoire, le sportif la raconte dans Résilience (2021), un documentaire intime de 45 minutes, projeté en avant-première lors du dernier Sportel. Entretien.

Vous avez présenté au Sportel votre documentaire, Résilience : de quoi s’agit-il ?

Résilience est un projet sur lequel je travaille depuis un peu plus de deux ans. J’ai une histoire assez particulière. En essayant de battre le record du monde de saut en hauteur fin 2019, j’ai eu un grave accident et au même moment, ma femme allait accoucher [sa femme accouchera neuf jours après l’accident, alors qu’il est dans le coma — NDLR]. J’ai essayé de raconter cette histoire qui n’est pas seulement sportive, c’est aussi une histoire de vie. Je me suis remis de tout ça pour, aujourd’hui, reprendre la compétition. J’ai voulu me livrer et montrer une partie de l’intimité de ces moments intenses de vie qui me sont arrivés.

Qu’est-ce que cela représente pour vous de le présenter au Sportel ?

Cela fait un bout de temps que je viens aux Sportel Awards. J’étais venu pour la première fois en 2014 en tant que jury. Je connais l’événement sous tous ces angles et j’adore y venir. Nous sommes toujours très bien accueillis dans ce beau cadre de Monaco. Nous rencontrons des personnes incroyables, que ce soit des athlètes, mais aussi tout l’écosystème autour du sport télévision. Pour moi, ça allait de soi de venir présenter le film ici.

Pourquoi lui avoir donné ce titre, Résilience ?

Il faut vraiment voir le film pour se rendre compte que le mot résilience tombe sous le sens. C’est toute la valeur que j’ai essayé de pousser dans ce film. Revenir après des accidents, la persévérance, essayer d’atteindre un objectif même quand rien n’est gagné à la base, croire en ses chances… Toutes ces valeurs transpirent un petit peu de ce documentaire.

© Photo Iulian Giurca / Monaco Hebdo.

« Il faut voir le film pour se rendre compte que le mot résilience tombe sous le sens. Revenir après des accidents, la persévérance, essayer d’atteindre un objectif même quand rien n’est gagné à la base, croire en ses chances… Toutes ces valeurs transpirent un petit peu de ce documentaire »

Vous avez poursuivi ce projet malgré votre accident, pourquoi ?

Depuis que j’ai 18 ans, j’ai pris conscience que mon sport, le ski freestyle, était un sport confidentiel et que je n’allais pas intéresser les gens à leur expliquer comment on fait un double cork 1 260 (rires). Les gens ne peuvent pas s’identifier donc je suis toujours parti du principe qu’il fallait raconter des histoires quand on gagne, quand on perd, quand on stresse, quand on a peur… pour que les gens s’identifient et puissent aussi s’intéresser à notre sport. Je voulais le faire pour mon record du monde. Ça ne s’est pas passé comme prévu mais j’ai voulu continuer à expliquer aux gens, leur montrer ce qui se passe, les doutes sur l’avenir… J’ai voulu filmer tout ça et ça a été une évidence.

Ce documentaire agit-il aussi comme une thérapie ?

Je ne m’en suis jamais vraiment aperçu. J’en prends conscience aujourd’hui en le regardant dans de grandes salles de cinéma. Tout le monde me dit que c’est fou que je ne prenne pas de préparateur mental, que je n’aille pas voir de psy après tout ce qui m’est arrivé. Je pense que mon psy, c’est mon caméraman. Car j’ai besoin de sortir tout ce que je ressens, j’ai besoin de parler et d’expliquer aux gens et en fait, je l’ai fait durant ces deux dernières années à travers ce film. Ça m’a fait beaucoup de bien.

Vous souvenez-vous de votre accident ?

J’ai des flashs de moi en l’air, du déroulé de la journée avant. Et à partir de l’impact, je n’ai plus de souvenir pendant trois jours jusqu’à mon réveil, et pendant les quinze jours durant lesquels j’ai été très vaseux après mon coma. Il y a donc eu beaucoup de temps où je ne me rappelle pas grand-chose.

Qu’est-ce qui a été le plus difficile après l’accident ?

Le plus difficile a été de rester immobile sur un lit pendant 45 jours sans pouvoir me déplacer, sans pouvoir ne serait-ce que me balader en chaise roulante. Ce n’était pas possible. Je devais rester allongé. Et pour une personne un peu hyperactive comme moi, qui aime bien faire plein de choses, ça a été très dur à vivre. Ensuite, ça a été plus difficile mentalement pour reprendre le sport de haut niveau. Je n’ai jamais eu pour habitude d’avoir peur, d’être paralysé par la peur. Et c’est un peu ce qui m’est arrivé.

Comment avez-vous surmonté cette peur ?

Je l’ai pris comme un défi, comme un challenge et pour le relever, je suis passé par le plaisir. J’ai pris une saison pour moi où l’objectif, c’était juste de faire du ski sans cette pression de performance ou de résultat. Je voulais juste « kiffer ». Et une fois que j’ai retrouvé ce plaisir, ça allait de soi que j’avais envie de refaire des performances, de la compétition. Je pense donc avoir trouvé la bonne méthode.

« Quand je me suis réveillé, un médecin m’a dit qu’il allait falloir que je pense à faire autre chose que du ski. Six mois après, je glisse sur un glacier. Donc c’était incroyable »

Voyez-vous la vie différemment après un tel accident ?

Oui, complètement, je vois la vie complètement différemment. Cet accident m’a changé en tant qu’être humain. Quand je suis à l’hôpital, je me rappelle de moments où aller à la cafétéria pour prendre un café et des bonbons et regarder par la fenêtre, me rendait heureux. C’étaient des moments intenses pour moi alors que l’on ne s’en rend pas compte quand tout va bien dans sa vie. Tout ça, on l’oublie avec le temps. On ne se rend plus compte que l’on peut sortir de chez soi et se faire écraser par une voiture. J’en ai désormais conscience et ça fait que je suis presque plus heureux [qu’avant — NDLR].

Qu’avez-vous ressenti au moment de rechausser les skis pour la première fois ?

La première fois, j’étais ému. J’ai ressenti une espèce de gratitude de se dire : « C’est incroyable d’être en haut de la montagne, et de glisser ». Car, quand je me suis réveillé, un médecin m’a dit qu’il allait falloir que je pense à faire autre chose que du ski. Six mois après, je glisse sur un glacier. Donc c’était assez incroyable.

Vous avez eu peur ?

Non. Ce n’est pas une peur intense. Nous avons toujours peur. Quand on fait des sauts, on craint de se faire mal. Mais la peur, c’est la même qu’avant. Elle n’a pas changé. Elle n’est pas plus envahissante aujourd’hui.

Comment s’est passé votre retour à la compétition ?

La seule et unique compétition à laquelle j’ai participé, ce sont les championnats du monde, où j’ai terminé huitième. L’objectif est atteint. Je suis de retour parmi les meilleurs skieurs. Maintenant, les Jeux olympiques (JO) de Pékin vont arriver cet hiver. C’est la prochaine étape pour moi.

Où en êtes-vous dans votre préparation ?

Je suis à la fin de ma préparation physique, même si elle n’est jamais vraiment finie. J’ai beaucoup travaillé physiquement, justement pour être capable d’encaisser les éventuels chocs. Et désormais, j’attaque ma préparation intensive dans l’halfpipe en Suisse. Je partirai ensuite quinze jours en Autriche, et enfin, j’attaquerai la saison aux États-Unis et effectuerai un peu toute la tournée classique avant d’arriver aux Jeux.

Quel est votre objectif pour ces Jeux ?

L’objectif, quand on va aux JO, c’est la médaille. Dans un monde idéal, qu’elle soit en or ce serait magnifique. Ce serait plus qu’une belle histoire. Même si je sais que ça va être dur, je sais aussi que c’est possible. Donc je vais tout faire pour la ramener.