vendredi 19 avril 2024
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Grippe saisonnière « Une maladie potentiellement mortelle »

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La campagne de vaccination contre la grippe saisonnière a débuté depuis le 15 octobre 2020 en principauté.

Cette année, elle revêt une importance particulière, en raison de la circulation simultanée du Covid-19. Le docteur Olivia Keïta-Perse, cheffe du service épidémiologie et hygiène hospitalière du centre hospitalier princesse Grace (CHPG), explique à Monaco Hebdo les enjeux de cette campagne hors norme. Interview.

Comment se transmet le virus de la grippe ?

Le virus de la grippe se transmet par l’intermédiaire des gouttelettes qu’on émet en parlant, en toussant… Exactement comme le SARS-CoV-2 [le virus du Covid-19 – NDLR]. C’est le même mode de transmission.

Les symptômes sont-ils aussi identiques ?

Les symptômes peuvent effectivement être assez proches. Même s’il existe tout de même des distinctions. La grippe se manifeste plus fréquemment avec de la fièvre, qui peut manquer dans l’infection à SARS-CoV-2. En général, les symptômes de la grippe c’est de la fièvre, des courbatures et une toux ou une symptomatologie ORL.

Comment faire la différence entre la grippe et le Covid-19 ?

Il n’y a qu’un test qui peut faire la différence. On a la PCR pour le Covid-19 mais on a aussi une PCR et des tests rapides pour la grippe. On peut donc faire le distinguo et caractériser l’un et l’autre par des examens en laboratoire. Les signes cliniques, c’est-à-dire les signes que peut montrer le patient, ne peuvent pas faire la différence entre les deux.

À quoi correspondent les tests rapides de la grippe ?

On ne fait pas systématiquement un test PCR pour la grippe, seulement pour les patients à risques de formes graves ou qui ont déjà des signes de formes graves. Les tests rapides d’orientation diagnostique (Trod) pour la grippe sont assez fiables et utiles. Pour la saison qui vient, on aura besoin de plus de fiabilité et surtout, on devra trancher entre Covid-19 et grippe donc on pourra peut-être moins utiliser les Trod.

Existe-t-il des tests rapides pour distinguer grippe et Covid-19 ?

On peut avoir des PCR qui recherchent les deux en même temps. Mais il n’existe pas de Trod. On a des PCR, qu’on appelle des PCR multiplex, qui caractérisent plusieurs virus en même temps.

Quels sont les traitements ?

Le traitement de la grippe est avant tout symptomatique, c’est-à-dire qu’on traite les symptômes, essentiellement la fièvre. Et en cas de forme grave, à risque élevé de complications, on dispose d’un traitement antiviral qui est le Tamiflu. Il est efficace s’il est donné très rapidement, c’est la raison pour laquelle il est très important d’avoir un diagnostic rapide.

Comment s’en protéger ?

La meilleure prévention reste la vaccination. Bien entendu, tous les gestes barrières dont on entend beaucoup parler en ce moment (hygiène des mains, éternuer dans son coude, utiliser des mouchoirs jetables, porter un masque…) protègent aussi contre la grippe, puisque c’est une maladie à transmission par gouttelettes. On est donc protégé si on porte un masque.

Avec le respect des gestes barrières, il devrait donc y avoir moins de cas de grippe cette année ?

En théorie, oui. Pour autant, même si les mesures barrières sont largement étendues et plutôt respectées en France et à Monaco, cela n’empêche pas un certain nombre de transmissions résiduelles qui interviennent dans les moments où on ne met pas le masque, où on relâche un peu les précautions et la prévention. Donc on n’a pas une garantie à 100 % d’être protégé. La preuve, c’est que le Covid-19 continue de circuler.

La grippe saisonnière circule aujourd’hui à Monaco ?

On n’a pas de cas de grippe à l’heure actuelle [cette interview a été réalisée le 10 novembre 2020 – NDLR]. L’épidémie de grippe est variable selon les années. Parfois, on a des épidémies très précoces dans la saison, avec des cas dès le mois de novembre. Et on a aussi des épidémies de grippe qui peuvent être extrêmement tardives. Pour l’instant, on n’a pas de cas de grippe, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y en aura pas.

Qui doit se faire vacciner ?

Les personnes qui doivent se faire vacciner sont les plus de 65 ans et ceux qui sont porteurs de pathologies chroniques. Ça peut être des patients diabétiques, cardiaques ou qui ont une pathologie respiratoire comme par exemple une bronchite chronique. Ça peut être aussi des jeunes enfants, porteurs de maladies chroniques. Les femmes enceintes sont aussi invitées à se faire vacciner.

Dans ce contexte d’épidémie de Covid-19, les recommandations ont-elles évolué ?

Il n’y a pas eu d’évolution des recommandations. Mais il est vrai qu’on a tendance à inciter les gens à se faire vacciner d’une façon plus générale. Pour deux raisons. Tout d’abord, des études (1) montrent qu’en cas de co-infection grippe-Covid-19, c’est-à-dire que le patient a attrapé les deux virus en même temps, il y a une surmortalité extrêmement importante. La mortalité est multipliée par six dans une étude anglaise réalisée entre janvier et avril 2020. C’est une raison qui doit inciter à se faire vacciner.

Quelle est l’autre raison ?

La grippe et le Covid, ce sont les mêmes signes. Et en ce moment, on constate la surcharge des services hospitaliers et des services d’urgences. Si les gens n’ont pas la grippe, ils ne viendront pas à l’hôpital. Et s’ils viennent, ce sera peut-être pour des signes compatibles avec une infection par le SARS-CoV-2. C’est quand même une mesure qui me paraît importante pour protéger les systèmes hospitaliers.

Docteur Olivia Keïta-Perse. Cheffe du service épidémiologie et hygiène hospitalière du centre hospitalier princesse Grace (CHPG). © Photo Stephane Danna / Direction de la Communication

« La grippe et le Covid, ce sont les mêmes signes. Et en ce moment, on constate la surcharge des services hospitaliers et des services d’urgences. Donc, si les gens n’ont pas la grippe, ils ne viendront pas à l’hôpital. Se faire vacciner, c’est quand même une mesure importante pour protéger les systèmes hospitaliers »

Quelle est l’efficacité du vaccin ?

Cela dépend des années parce que le virus de la grippe mute. D’une année sur l’autre, on n’a pas les mêmes épidémies parce qu’on n’a pas le même virus. On est donc obligé d’adapter la vaccination au virus et malheureusement, compte tenu des délais de fabrication d’un vaccin, on est obligé de fabriquer le vaccin avant de savoir quelle souche du virus circulera. Alors, on ne le fait pas au petit bonheur la chance, on se base sur des études statistiques, sur l’étude des virus qui ont circulé les années précédentes. Et de temps en temps, il se trouve que ces études sont un peu contredites et du coup, on a un vaccin qui n’est pas tout à fait adapté à la souche qui circule. Néanmoins, on vise à peu près 60 % d’immunogénicité, c’est-à-dire de succès du vaccin.

Le vaccin contre la grippe n’est donc pas efficace à 100 % ?

Le 100 % est rarement atteint. Ça dépend des vaccins. Il y a effectivement des vaccins qui protègent quasiment à 100 %. Mais, pour autant, il y a des vaccins qui protègent moins que ça et qui ont été utilisés pendant des années ou qui continuent à être utilisés parce qu’ils ont quand même une utilité. 60 % à titre individuel, ce n’est peut-être pas beaucoup mais à titre collectif, c’est important. Quand, dans un hôpital, près de 60 % de la population des soignants est vaccinée, on évite une propagation nosocomiale de la grippe, c’est-à-dire une propagation hospitalière.

Pourquoi n’est-il pas efficace chez certaines personnes ?

Ce n’est pas tout à fait à titre individuel. Quand on mesure une efficacité de 60 %, c’est quelque chose de global. On n’a pas forcément une explication personne par personne. Il existe deux grandes explications possibles. Tout d’abord, la souche virale qui circule n’est parfois pas tout à fait celle contenue dans le vaccin. Et il y a aussi des facteurs connus comme la sénescence [vieillissement naturel – NDLR] du système immunitaire par exemple. Les personnes âgées ou très âgées ont un système immunitaire moins réactif, donc il fabrique moins bien les anticorps.

Les personnes âgées font pourtant partie des cibles prioritaires de la vaccination ?

Oui. Même si les personnes âgées répondent peut-être un peu moins à la vaccination, des études montrent très nettement que même si elles sont infectées par le virus alors qu’elles sont vaccinées, elles font beaucoup moins de formes graves. Il y a donc une diminution absolument énorme de la mortalité et de la morbidité, donc des formes graves, chez les patients vaccinés même s’ils sont quand même atteints de la grippe.

Existe-t-il des contre-indications ?

Le vaccin contre la grippe est très sûr. Il est utilisé depuis des dizaines d’années. Une des rares contre-indications, c’est l’allergie à l’œuf parce qu’il est fabriqué sur des œufs de poule. Cela suppose qu’il peut y avoir des traces d’ovalbumine [protéine présente dans le blanc d’œuf – NDLR] dans le vaccin donc il est contre-indiqué en cas d’allergie à l’œuf. Mais c’est la seule contre-indication.

Des ruptures de stock ont été constatées en France. Y a-t-il aussi une ruée sur le vaccin à Monaco ?

Je n’ai pas eu de chiffres précis sur ce sujet. Mais à ma connaissance, il y a eu un petit phénomène au début du mois d’octobre ou mi-octobre quand les vaccins ont été attendus. Aujourd’hui, la situation commence à se normaliser.

Faut-il craindre des pénuries ?

Pour l’instant, on ne peut pas parler de pénurie dans la mesure où des vaccins vont probablement être relivrés. Mais en tout état de cause, je pense que le gouvernement monégasque a bien fait les choses. Cette question avait effectivement été posée au moment où on a commencé à parler de la vaccination contre la grippe et de son importance cette année. Le gouvernement avait comme souci de ne pas promouvoir cette vaccination si on n’était pas capable de l’assurer. Ce sont des choses qui ont été étudiées et réglées par le gouvernement.

Selon les chiffres publiés par Santé publique France, le taux de personnes à risque vaccinées reste relativement faible : comment l’expliquez-vous ?

C’est quelque chose de connu. On le déplore. Quand je communique sur la vaccination, sur la sécurité de la vaccination… ce sont des chiffres que je cite parce que ça me fait toujours un peu de peine de constater ça. Il y a plusieurs explications. Je pense qu’il y a déjà des mouvements anti-vaccins qui sont de plus en plus actifs et prégnants, notamment sur les réseaux sociaux. Il y a peut-être de l’inquiétude qui se répand. Il y a aussi une certaine insouciance et une réputation de bénignité de la grippe qui vient contrecarrer les recommandations. Les gens ont du mal à envisager la grippe comme une maladie potentiellement mortelle. Enfin, il y a un relais des médecins qui n’est pas toujours fait parce qu’ils sont parfois débordés pendant ces périodes. C’est vraiment multifactoriel.

Pensez-vous que cette année, vu le contexte, la couverture vaccinale sera meilleure ?

Je pense qu’il y aura une prise de conscience plus importante. Avec une médiatisation du vaccin. Les gens prennent conscience que quand on leur propose de les vacciner, c’est parce qu’on est préoccupé par leur santé. C’est quand même le premier objectif. On ne vaccine pas pour les embêter, ni pour les rendre malades. C’est un comble de penser ça. On entend tellement de bêtises, c’est terrible.

Comment évolue la couverture vaccinale ?

À l’hôpital, on fait tous les ans de grosses campagnes en faveur de la vaccination. Cette année, de nombreux chefs de services se sont mobilisés pour tourner de petits clips pour expliquer l’importance de la vaccination. On a, au sein de l’hôpital et des personnels soignants, une augmentation des taux de couverture vaccinale. Mais dans la population générale, on ne peut pas du tout dire qu’elle augmente, au contraire. Il y a eu beaucoup de dérisions sur la grippe aviaire, qui a fait beaucoup de mal. Les gens se sont détournés de ça pour des mauvaises raisons à mon avis. C’est la société qui veut ça. On est informé autant que désinformé, même plutôt plus désinformé qu’informé. Donc non, la couverture vaccinale n’augmente pas mais je pense que cette année, ce sera différent.

Le personnel soignant du CHPG est-il obligé de se faire vacciner ?

Non, c’est une recommandation. Ce n’est pas une obligation car c’est une obligation nulle part. Il y a une vraie mobilisation des chefs de services, notamment cette année. Mais l’année dernière, on avait déjà fait des campagnes d’affichages. Des informations sont aussi délivrées dans les services auprès des équipes soignantes et des médecins pour les encourager à se faire vacciner.

Quelle est la couverture vaccinale au sein des effectifs de l’hôpital ?

Cette année, on est en cours de vaccination du personnel donc je n’ai pas de chiffres à communiquer. Les années précédentes, la couverture vaccinale était plutôt satisfaisante chez les médecins, plus importante que dans le pays voisin, autour de 60-65 %. Chez les infirmiers et aides-soignants, c’est un peu plus difficile donc on essaie de les stimuler un peu plus.

Comment expliquer le manque d’adhésion pour ce vaccin ?

C’est multifactoriel. La grippe a une fausse réputation de bénignité. On entend tous les ans dire que c’est la maladie des personnes âgées. Les jeunes se sentent probablement moins concernés. Le fait que ça ne vaccine pas à 100 % peut aussi être un obstacle. On explique à nos soignants que la vaccination contre la grippe est une vaccination altruiste. On ne se vaccine pas que pour soi, on se vaccine aussi pour ses patients. Enfin, nos soignants sont sur les réseaux sociaux et sont eux aussi influencés par les théories sur les vaccins.

1) « Coinfection in SARS-CoV-2 infected patients : Where are influenza virus and rhinovirus/enterovirus ? », NCBI, 30 avril 2020, DOI : 10.1002/jmv.25953.

– « Covid-19 : Risk of death more than doubled in people who also had flu, English data show », BMJ, 30 septembre 2020, DOI : https://doi.org/10.1136/bmj.m3720.

– « Interactions between SARS-CoV-2 and Influenza and the impact of coinfection on disease severity : A test negative design », MedRxiv, 22 septembre 2020, DOI : https://doi.org/10.1101/2020.09.18.20189647.

La grippe 2019-2020 en chiffres (1)

  • 44 : C’est le nombre d’hospitalisations dues à la grippe au centre hospitalier princesse Grace.
  • 1 : Comme le nombre de décès dus à la grippe la saison dernière, en 2019-2020, à Monaco.
  • 2 097 : C’est le nombre de vaccins qui ont été remboursés à des personnes âgées de 65 ans ou plus, résidant en principauté en 2019-2020.
  • 271 : C’est le nombre de vaccins remboursés à des personnes âgées de moins de 65 ans résidant en principauté en 2019-2020.
  • 9,07 : C’est en euros le prix moyen du vaccin contre la grippe à Monaco. Pour la campagne 2019/2020, trois vaccins étaient disponibles : Influvac (prix de vente : 4,86 euros), Influvac Tetra (prix de vente : 11,17 euros) et Vaxigrip Tetra (prix de vente : 11,17 euros). Remboursement sans condition à 100 % du prix de vente du vaccin.

1) Source : chiffres communiqués par le département des affaires sociales et de la santé.