Placé en garde à vue le 24 novembre dernier dans le cadre de l’affaire de la tour Odéon, mis en examen 48 heures plus tard et écroué aux Baumettes pendant 80 jours,

le maire sans étiquette de Beausoleil, Gérard Spinelli, a décidé de contre-attaquer. En affirmant qu’il est victime d’un complot politique. 

Comment allez-vous après 80 jours de prison ?

On fait vite le tour d’une cellule de 9 m2 quand on y passe 20 heures par jour. C’était dur. Mais j’ai tenu. Et aujourd’hui, je suis révolté. Même si j’ai envie de retrouver la sérénité qui a toujours été ma force dans l’action politique.

Vous êtes en colère ?

Non. Car lorsqu’on est en prison, on devient quelqu’un de très froid, sans sentiment. Mais je suis en train de retrouver ma véritable personnalité. Car je suis quelqu’un de très sensible. Je pense qu’il me faudra 2 ou 3 mois avant de retrouver les sentiments normaux qu’éprouve tout être humain.

Vous êtes très marqué par la prison ?

Ce qui m’a le plus choqué en prison, c’est l’état de non droit. Car la première chose qu’on vous dit quand vous arrivez c’est : « Attention, ici la loi ne s’applique pas. » Bref, c’est quelque chose de très violent. Avec des humiliations, des atteintes à la dignité humaine… Je ne pensais pas voir autant de preuves de non-respect de la loi française en prison.

Par exemple ?

Le règlement de la prison dit qu’on doit respecter les normes d’hygiène. Et ensuite, il est écrit qu’on a droit à 3 douches par semaine ! De plus, quand on se promène aux Baumettes, on se retrouve au contact de plusieurs m3 d’ordures ménagères. Sans parler des endroits où on ne va pas à cause des odeurs… Alors que pour une rage de dents, il faut attendre entre 4 et 6 semaines avant de voir un dentiste !

Pourquoi ne pas avoir réclamé une cellule “VIP” ?

Parce que je voulais que cette expérience soit enrichissante. Notamment par rapport à mes fonctions de président de la mission locale, où je m’occupe de jeunes de 16 à 25 ans déscolarisés. Du coup, la prison m’a permis de pouvoir discuter avec des jeunes en difficulté, car j’ai vécu avec eux. Même si les différences culturelles sont énormes, j’ai beaucoup de respect pour ces jeunes. D’ailleurs, j’ai beaucoup appris à leur contact.

Ils vous ont appris quoi ?

D’abord qu’on n’a pas le droit de parler en leur nom. Ni au nom de la détresse et de la misère humaine que peuvent rencontrer ces jeunes. Au fond, je crois que les hommes politiques sont prétentieux de vouloir parler en leur nom. Comme beaucoup de ces jeunes ont quitté l’école autour de 10 ans, c’est avant 10 ans qu’il faut agir. Car après, on ne peut faire que du recadrage. D’ailleurs, un jeune m’a dit : « Je fantasme de fumer un joint avec un maire ! » J’ai simplement répondu que ça n’était pas possible, car la loi ne le permet pas. Ce qui l’a beaucoup étonné dans la mesure où, en prison, la loi n’est pas appliquée.

Vous avez dû vous battre ?

Il y a beaucoup de bagarres aux Baumettes. Mais les surveillants ne s’en mêlent jamais. Du coup, celui qui est le plus amoché raconte qu’il a fait une mauvaise chute. Sachant que ça peut se finir par un coup de couteau. Au fond, le seul objectif, c’est de survivre. Mais heureusement, je n’ai pas pris de coups. C’était uniquement des agressions verbales.

Quand on est maire, comment se faire accepter en prison ?

Il faut du temps. Moi, ça m’a pris 1 mois et demi. Aux Baumettes, la cour est partagée en deux : d’un côté les maghrébins de Marseille. Et de l’autre, les Corses, les Italiens et les maghrébins de Paris. Or, moi, j’ai toujours maintenu un contact avec tout le monde. En fait, les agressions verbales sont venues des maghrébins de Marseille. Mais j’ai aussi eu des moments assez forts avec eux. D’ailleurs, au bout de 1 mois et demi, ils ont fini par m’appeler « monsieur le maire. » Et ils m’ont même demandé de faire un petit discours pour l’anniversaire d’un détenu parce qu’ils estimaient que je savais parler ! Bref, j’ai gagné une forme de respect.

Pourquoi votre première demande de remise en liberté a été refusée ?

C’est le groupement d’intervention régional (GIR) de Marseille qui a mené cette enquête. Or, le GIR est chargé du grand banditisme. Du coup, on accorde beaucoup de crédit à la parole de ces policiers. Et comme les policiers niçois ont dressé un portrait de moi à la Al Capone, les juges ont peut-être pensé qu’il y avait des éléments très graves contre moi. Mais je ne remets pas en cause le sérieux des juges.

Vous niez toujours avoir reçu 65000 euros de la part de Lino Alberti ?

Bien sûr ! Je n’ai pas touché d’argent de la part des constructeurs de la tour Odéon.

Mais alors pourquoi Lino Alberti vous accuse ?

Ses accusations ont été faites au deuxième jour de sa garde à vue. Il faut savoir que Lino Alberti est claustrophobe. Du coup, il m’a accusé d’avoir touché 65000 euros. Sans être capable d’expliquer pourquoi. Ce qui est incohérent. Résultat : son épouse et lui ont assez vite retrouvé la liberté. Même s’il est mis en examen pour blanchiment et corruption active. Or, ce qui peut lui coûter le plus cher dans ce dossier, c’est le blanchiment. Car cette affaire porterait sur de très grosses sommes d’argent. Au fond, l’objectif c’était de m’abattre. Et j’ai été victime d’un coup bas.

Pourquoi ?

Parce que je mène un combat contre le ministre et maire de Nice, l’UMP Christian Estrosi, qui est aussi président de la communauté urbaine Nice Côte d’Azur (CUNCA). Car je refuse que Beausoleil rejoigne la CUNCA sans étude et sans délais. Or, je me suis battu loyalement. Notamment en organisant un référendum qui a démontré que les Beausoleillois ne veulent pas que leur ville rejoigne la CUNCA. Mais ce qui a vraiment déplu, c’est qu’on a fait annuler par le tribunal administratif l’arrêté du préfet qui validait cette fusion.

Mais Lino Alberti est un ami ?

Comme beaucoup d’élus de l’est du département, il m’est arrivé d’aller manger chez Lino Alberti. D’ailleurs, je le connais depuis 20 ans. Car c’est une grande figure du BTP, très connue ici. Mais les amis, je les compte sur les doigts d’une main. Et il n’en fait pas partie.

Qui cherche à vous faire taire alors ?

Je ne sais pas. Je me pose des questions. Qui peut instrumentaliser les services de l’Etat et même les médias à ce point ? A mon avis, il y a peude personnes qui peuvent le faire…

En fait, vous accusez Christian Estrosi ?

Non. Je n’accuse personne. Je remarque juste qu’on a caché que l’avocat de Lino Alberti, c’est Maître Gérard Baudoux, qui est aussi adjoint au maire de Nice et conseiller communautaire de l’agglomération niçoise.

Mais vous avez un passé sulfureux ?

C’est vrai que j’ai beaucoup fait le con dans ma vie. Mais si j’ai choisi de refaire de la politique, c’est pas pour le pognon ou pour le pouvoir. Depuis mon retour à la tête de la mairie, en mars 2008, j’ai décidé de faire de la politique en étant un type bien, en respectant la légalité à la lettre. Y compris dans ma vie privée. Et même si j’aime beaucoup les femmes, j’ai décidé d’être exemplaire. Pour que mes paroles soient en harmonie avec mes actes.

Vous connaissez Gianni Tagliamento et José Mouret, deux mafieux présumés, dont les noms sont revenus dans cette affaire ?

Gianni Tagliamento, je ne le connais pas. D’ailleurs, il a été mis hors de cause. Comme José Mouret. Ce qui prouve qu’on a cherché à manipuler les médias. Quant à José Mouret, je l’ai croisé chez Lino Alberti. C’est tout. Mais je crois vraiment que les médias se sont fait rouler dans la farine.

Pourquoi ?

Parce que le jour où j’ai été interpellé, la presse et les photographes avaient été prévenus. Ce qui confirme que j’ai été victime d’un coup bas. En fait, on veut m’abattre politiquement.

Vous en voulez aux médias ?

Non. Car on est sur la Côte d’Azur, avec une affaire qui touche le BTP et des élus. Dont un qui est emprisonné. Du coup, difficile pour les médias d’imaginer que je puisse être innocent. Mais je n’attaquerai pas les journaux en justice.

Mais on parle d’écoutes téléphoniques qui vous accuseraient ?

C’est faux. A ce jour, il n’existe aucun élément à charge, à part les déclarations de Lino Alberti. C’est tout. D’ailleurs, on n’a pas retrouvé d’argent chez moi, ni dans les coffres, à la banque. Quant aux 3 comptes en Irlande que j’ai ouvert au début des années 90, ils ont été déclarés au fisc et contrôlés par la direction nationale d’enquêtes fiscales (DNEF). Et il n’y pas eu de versement d’argent depuis 2003. Bref, tout est parfaitement en règle.

On vous fait payer la déclaration préalable de travaux sur le territoire français pour la tour Odéon qui a été refusée à Vinci par votre mairie ?

Non. Car ce refus date du 8 janvier, date à laquelle j’étais en prison. En mairie, on demande simplement à ce que tout soit fait dans les règles. C’est tout. On n’a rien contre Vinci. On applique le droit. Pour Vinci comme pour n’importe qui d’autre. 

Et le fait d’avoir fait perdre plus de 200000 euros aux constructeurs de la tour Odéon ?

Difficile à dire. Mais c’est vrai que la ville de Beausoleil a fait perdre plus de 200000 euros en préemptant des locaux appartenant aux constructeurs de la tour Odéon. Or, comme ils stockaient du matériel dans ces locaux, il se peut que ça gêne le chantier.

Comment s’est passé votre retour en mairie ?

Personne ne m’a fui. Et, au contraire, j’ai eu droit à beaucoup de témoignages de soutien. Car les gens ont compris que je suis victime d’un coup monté.

L’opposition ne vous a pas tiré dessus ?

Non. Ils ont montré beaucoup de respect. Il faut dire qu’au conseil municipal, j’écoute tout le monde. Y compris l’opposition, à qui je ne coupe pas la parole. Car même si on s’affronte sur certains dossiers, on se respecte. D’ailleurs, j’aimerais retrouver ce genre de comportement sur le plan départemental…

Vous êtes déçu par le comportement des hommes politiques ?

Je suis un combattant. Et je veux prouver qu’on peut faire de la politique en étant honnête et transparent. Tout en faisant avancer le débat démocratique.

C’est vraiment possible ?

On m’a déjà traité de Don Quichotte… Ce que j’accepte. Car je suis un idéaliste. Il y a une phrase de Ghandi que j’aime beaucoup, qui dit : « D’abord ils vous ignorent, puis ils rient de vous, puis ils vous combattent… Et puis vous gagnez. » Ghandi, c’était mon maître à penser à 18 ans, quand j’étais maoïste. Or, mener des combats sans violence, c’est important. Car aujourd’hui, il y a beaucoup de violence en politique. Que ce soit de la part du président de la République ou du maire de Nice.

Si vous êtes condamné, vous quitterez définitivement la vie politique ?

Je ne vois pas comment je pourrais être condamné. Mais si c’était le cas, j’arrêterais la politique.

Gérard Spinelli : une libération à 100 000 euros

Après deux mois et demi en détention préventive, le maire de Beausoleil, Gérard Spinelli, est sorti de prison le 12 février contre une caution de 100 000 euros. Il avait été arrêté le 24 novembre dans le cadre d’un coup de filet lancé par le parquet de Marseille. Une opération confiée au juge Duchaine qui a nécessité 2 ans d’enquête (voir Monaco Hebdo n°677) par le groupement d’intervention régional (GIR) et la PJ de Nice. A l’origine de cette affaire, des soupçons de corruption autour de la construction de la tour Odéon, un énorme chantier remporté par Vinci et estimé à 500 millions, avec une livraison en 2014. A noter que Spinelli reste mis en examen pour corruption passive et trafic d’influence. Alors que Lino Alberti, mis en examen pour corruption active et blanchiment, a été libéré le 11 décembre contre une caution de 1 million. Son entreprise a décroché le terrassement de la tour Odéon pour 42 millions. Enfin, le Sénat a accepté le 20 janvier une levée partielle de l’immunité parlementaire du sénateur UMP et maire de Saint-Jean-Cap-Ferrat, René Vestri. La police s’intéresserait à des liens éventuels entre Vestri et Alberti dans ce dossier.