Edito n°1196 : Batailles

La mort d’un policier à Avignon, tué le 5 mai 2021 sur un point de deal, résonne encore fortement. Eric Masson, brigadier de police de 36 ans, a été victime de trois coups de feu qui l’ont mortellement touché au thorax et à l’abdomen. Il était alors en train de contrôler deux personnes, suspectées d’écouler de la drogue dans la rue Rateau, un secteur qui regroupe plusieurs points de deal d’Avignon. Choquées, les organisations professionnelles de policiers ont d’abord appelé à respecter « un temps de recueillement et de dignité », avant d’organiser une marche qui s’est déroulée à Avignon, le 9 mai 2021. Dans la soirée du 9 mai 2021, quatre personnes suspectées d’être impliquées dans ce meurtre ont été interpellées à une vingtaine de kilomètres d’Avignon. « La lutte contre les trafics de stupéfiants, partout sur le territoire national, s’apparente à une guerre. Cette guerre, nous la menons grâce à des soldats […], les policiers et les gendarmes de France. Aujourd’hui, un de ces soldats est mort en héros », a déclaré, le 5 mai 2021, le ministre français de l’intérieur Gérald Darmanin. « Je ne vois pas ce qu’il y a d’héroïque à se faire abattre comme un chien dans une rue d’Avignon », a rétorqué Yann Bastière, délégué national chargé de l’investigation du syndicat Unité-SGP. Ne se retrouvant pas dans l’approche de Gérald Darmanin, Yann Bastière a rappelé que la police est avant tout une « force de sécurité civile », destinée à « protéger les citoyens ». Ce désaccord sur le fond marque aujourd’hui ce qui ressemble à un point de rupture entre le gouvernement français et les forces de l’ordre. Le contexte est très défavorable, avec un trafic de drogue qui n’a jamais été aussi intense, nous explique cette semaine le journaliste indépendant spécialisé dans le banditisme et la police, Frédéric Ploquin. Les trafiquants ont pris confiance, ils sont de plus en plus lourdement armés, et ils n’hésitent plus à tirer, comme l’a démontré le drame qui s’est déroulé à Avignon. Monaco n’est pas épargné, et la police monégasque a démantelé l’an dernier, avec l’appui des services français, un réseau de trafic de drogue et de proxénétisme franco-monégasque. Comme un écho prémonitoire, le livre (1) de Frédéric Ploquin s’ouvre sur une citation de Bernard Petit, ancien chef de l’Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants : « En matière de lutte contre la drogue, de lutte contre la criminalité et le blanchiment, il n’y a pas de guerre à gagner. Tous ceux qui ont l’expérience du terrain le savent, il n’y a que des batailles à mener. Elles sont petites ou grandes et se déroulent à l’infini. Ceux qui manient le mot « guerre » comme un slogan doivent en avoir conscience, la lutte contre le trafic de drogue est une succession de batailles sans arrêt renouvelées, sans arrêt. » À Monaco, une bataille a donc été gagnée. En attendant la prochaine.

1) Les narcos français brisent l’omerta, de Frédéric Ploquin (Albin Michel), 352 pages, 13,99 euros (format numérique), 19,90 euros (format « papier »).