Le code pénal monégasque s’allège et s’alourdit à la fois

Le code pénal monégasque s’allège

La séance publique législative qui s’est tenue mercredi 30  octobre au Conseil national

a vu le code pénal monégasque subir des modifications importantes. La première était sur la table depuis 2013 et concerne l’avortement. L’article  248 du code pénal ne contient plus le caractère délictueux pour l’interruption volontaire de grossesses pour la femme enceinte. Puis, en deuxième partie de soirée, le code pénal s’est vu rajouter de nouveaux articles, avec un projet de loi important visant à élargir la palette de sanctions possibles. En cas d’infractions, le juge disposera de moyens plus conséquents pour prononcer sa peine.

Mercredi 30  octobre, dans l’enceinte du Conseil national, les 22 élus présents ont voté à l’unanimité le projet de loi n° 999 portant sur la dépénalisation de l’avortement pour la femme enceinte. Chacune des parties prenantes, dont le conseiller-ministre aux Affaires sociales et à la Santé, Didier Gamerdinger, a tenu à mettre en avant le caractère « apaisé » du débat, dont le mot-clé fut « consensus ». La rapporteure du projet de loi, l’élue Priorité Monaco (Primo !) Nathalie Amoretti-Blanc, a souligné « la célérité » du processus législatif, le gouvernement ayant repris la proposition de loi dans son intégralité seulement deux mois après son dépôt. Un record, selon elle. Seule une légère modification dans l’en-tête, néanmoins forte de sens, signalant que la dépénalisation de l’avortement ne valait que pour la femme enceinte, pas pour les médecins qui le pratiqueraient. L’IVG demeure illégale pour ces derniers. Seuls un conseil et une orientation vers des confrères étrangers sont concédés aux praticiens.

Un volet préventif absent

En revanche, la rapporteure a pointé un angle mort dans le projet de loi concernant le volet préventif. Le centre de coordination prénatal (CCP), situé au service maternité du centre hospitalier princesse Grace (CHPG), et chargé du dépistage d’anomalies durant la grossesse, n’est doté que d’une secrétaire à mi-temps, une sage-femme à mi-temps et d’un « seul petit bureau ». L’élue Primo ! déplore le manque de moyens suffisants pour remplir sa mission. Nathalie Amoretti-Blanc a fait remarquer que « Ces ressources humaines n’ont pas évolué depuis sa création en 2009 ». De plus, elle a appelé à un plan « d’éducation affective, relationnelle et sexuelle en milieu scolaire ». Selon Didier Gamerdinger, le ministre d’État avait pourtant fait parvenir une liste de 35 mesures en ce sens en septembre dernier, « donnant ainsi à voir l’ampleur de l’action réalisée sur le terrain par les différents intervenants ». Dans son rapport, la commission des droits de la femme et de la famille l’a qualifié « d’inventaire à la Prévert », en métaphore à un empilement de mesures sans vision globale et structurée. Dans son allocution, Didier Gamerdinger a fait état d’une « évaluation positive » du CCP par les services de la direction de l’Action sanitaire, organe tutélaire du centre. Nathalie Amoretti-Blanc a moqué cette « auto-évaluation sans chiffres », ne pouvant « produire que des résultats positifs ». Le conseiller-ministre a ensuite précisé que l’évaluation du centre avait été réalisée par le CHPG. Avant d’évoquer un grand plan d’action national de prévention à venir pour l’année 2020, impliquant les associations et acteurs de terrain, sans donner plus de précisions. Le président du Conseil national, Stéphane Valeri, a mentionné le souhait de « toutes les associations féminines, ainsi que la délégation de l’archevêché », reçue par les élus, de renforcer l’éducation et la prévention. « Devait-on attendre un autre texte ? Il n’y aura pas d’autres textes sur l’avortement », a estimé le président du Conseil national, exprimant un regret partagé sur le manquement préventif du texte.

Aussi loin que le permet la Constitution

Dans une déclaration commune et signée par tous les conseillers nationaux, l’élue Horizon Monaco (HM), Béatrice Fresko-Rolfo, a rappelé l’attachement des élus à la Constitution et à son article 9 consacrant le catholicisme comme religion d’Etat. « Nous sommes allés aussi loin que la Constitution monégasque le permettait », a corroboré Didier Gamerdinger dans sa déclaration. Au-delà des divergences sur les moyens à mettre en œuvre pour accroitre la prévention, (un meilleur accès à la contraception, l’éducation en milieu scolaire, et un meilleur accompagnement des femmes dans l’IVG), les deux institutions se sont tout de même félicitées de l’essentiel, à savoir l’abandon du caractère délictueux de l’avortement pour la femme enceinte. Comme nous le rappelions dans Monaco Hebdo n° 1125, c’est surtout la dimension symbolique qui a été altérée par ce vote, puisque dans les faits, jamais aucune femme ayant eu recours à une IVG n’a eu à subir de poursuites judiciaires.

Plus de sanctions possibles pour une meilleure sanction

C’est un projet de loi important qui a été voté mercredi 30 octobre au Conseil national. Le code pénal a subi de nombreuses modifications. L’esprit du projet était de donner au juge une palette plus large de sanctions, en introduisant notamment des peines alternatives et des peines mixtes. Aussi, certains délits qui faisaient grandement défaut ont été ajoutés. Enfin, le but recherché était aussi de désengorger les tribunaux en contraventionnalisant certaines peines d’emprisonnement. Parmi ces nouvelles sanctions, l’une des dispositions importantes du projet de loi est sans doute la facilitation du recours au travail d’intérêt général (TIG). Ce travail d’intérêt général représente une alternative à l’emprisonnement. Désormais, il peut s’appliquer à tout prévenu à partir de 16 ans, au profit d’un service public monégasque ou d’une entreprise en délégation de service public. Ce qui a satisfait l’élue HM Béatrice Fresko-Rolfo : « Le TIG prend le relais du sursis, qui n’a pas un rôle éducatif, mais fait juste peser une épée de Damoclès en cas de récidive. Il prend le relais de la peine ferme difficile à appliquer dans certains cas, surtout quand il s’agit d’une première fois avec peu de conséquence sur l’ordre public. Le TIG sanctionne, tout en éduquant ». L’instauration des peines mixtes a également été saluée. Désormais, le juge pourra allier peine de prison ferme avec sursis, comme dans de nombreux États européens. Ce qui n’était pas le cas jusqu’alors.

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Pas de bracelet électronique

Deux mesures n’ont pas pu être introduites dans le projet de loi malgré la demande des élus. La première concerne le bracelet électronique comme peine alternative, mais aussi comme moyen de désengorger la maison d’arrêt. Selon le gouvernement, les difficultés techniques et logistiques ne permettent pas à ce jour de réaliser ce système de surveillance électronique. Également réclamé par la majorité, mais aussi l’opposition : la création d’un fond d’indemnisation des victimes pour garantir la réparation financière d’un délit ou d’un crime en cas d’insolvabilité du prévenu. « La commission regrette que l’indemnisation des victimes d’infractions pénales graves ne soit pas systématique, ce qui supposerait la création d’une commission d’indemnisation », précise le rapport du projet de loi. Le projet de loi prévoit aussi une meilleure individualisation des peines. Pour cette raison, la commission de législation du Conseil national a souhaité retirer l’inscription au casier judiciaire de certaines peines. Notamment, « lorsque l’inscription de la condamnation met en péril la réinsertion sociale ou la carrière professionnelle du condamné, puisqu’un casier judiciaire vierge est indispensable pour l’exercice de certains métiers », détaille le rapport. En deuxième lieu, le code pénal a également été amendé avec la suppression des durées minimales de certaines peines, notamment concernant l’interdiction de séjour, de sollicitation d’un nouveau permis de conduire après infraction… Selon le législateur, ces dispositions « ont pour effet de renforcer la liberté d’appréciation du juge dans la détermination de la peine, tout en contribuant à la resocialisation du condamné. »

Désengorger le tribunal

De plus, ce projet de loi prévoit de déclasser en contravention certains délits, afin de désengorger le tribunal correctionnel. « Les membres de la commission ont souhaité réduire la sanction relative aux infractions de non-paiement des cotisations sociales et de non présentation des comptes sociétaux, lesquelles ne donnent jamais lieu, en pratique, à un emprisonnement en cas de première infraction, ce qui conduit, dès lors, à accroître, de manière quelque peu injustifiée, le travail de la juridiction. » En revanche, la récidive demeurera un délit. Deux nouveaux délits ont été introduits dans le code pénal. Le premier concerne la conduite d’un véhicule sous l’emprise de stupéfiants (voir encadré). Le second concerne l’intrusion dans un logement, inoccupé ou non. Il sera désormais passible de six jours à un mois d’emprisonnement et/ou d’une amende pour quiconque s’introduira dans une habitation contre la volonté du propriétaire ou locataire. Enfin, la vente d’alcool aux mineurs et aux personnes manifestement ivres sera traitée avec une plus grande sévérité. Considérant ce problème comme un sujet de santé publique important, les rédacteurs de la loi entendent appeler à une plus grande vigilance en alourdissant la peine encourue. Les débitants de boisson encourent désormais une peine de prison de six jours à un mois en cas de vente à ces publics. Serge Telle a parlé de « grande réforme pénale ». En tout cas par l’ampleur et le détail des articles votés, ce fut le cas. Pendant une heure, Thomas Brezzo le rapporteur du projet de loi n° 984 portant modification de certaines dispositions relatives aux peines, a lu ledit projet. Puis, plus d’une heure ont été nécessaires au vote des 99 articles un à un, pour conclure cette séance législative. Les élus ont voté ce projet de loi à l’unanimité.