samedi 27 avril 2024
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Le rideau se tire sur Habitat Monaco

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Alors que la liquidation judiciaire d’Habitat Monaco a été prononcée début janvier 2024, les salariés seront officiellement licenciés à la fin du mois de mars 2024. L’aventure de l’enseigne débutée en mai 2004 est donc terminée, dans le sillon de la fin d’Habitat en France, dans les mêmes conditions. Et les clients, qui ont pour certains avancé plusieurs centaines, voire milliers d’euros pour des meubles qui ne seront jamais livrés, ne sont pas certains d’être remboursés un jour.

Ouvert en 2004 et fermé depuis la fin du mois de novembre 2023, le magasin Habitat de Monaco, spécialisé dans l’ameublement et la décoration d’intérieur, ne rouvrira pas. Rappelons qu’Habitat Monaco a été placé en cessation de paiement, puis en liquidation judiciaire, début janvier 2024 par le tribunal de première instance de Monaco. La maison-mère, Habitat France, a connu le même destin le 28 décembre 2023. Peu de temps avant, l’enseigne monégasque, située avenue Saint-Charles, avait reçu un avis d’expulsion émis par la mairie de Monaco pour loyers impayés, accusant un passif de 1,6 million d’euros. La fin d’un parcours chaotique pour cette enseigne d’origine britannique, qui avait vocation à démocratiser le design dans les foyers.

« C’est un gâchis énorme, se désespère Ratiba Hamache, déléguée syndicale CGT — le syndicat majoritaire lors des dernières élections — chez Habitat et employée pendant près de 40 ans par cette entreprise en France. Je n’aurais jamais cru qu’un si bel environnement de travail serait détruit. Depuis la prise de pouvoir par Thierry Le Guénic [lequel avait racheté Habitat au groupe CAFOM en 2020, via sa holding Terence Capital, NDLR], rien n’allait plus. Là, c’est le coup de grâce. » Et la responsable syndicale d’égrainer les chiffres. « Au moment de la reprise, les stocks totaux d’Habitat valaient 24 millions d’euros. Pendant sept mois, Thierry Le Guénic n’a pas eu de salaires à payer en France, les pouvoirs publics prenant le relais en raison de la crise sanitaire. Les frais de logistiques ont été réduits au maximum. Et pourtant, juste avec le web, pendant le confinement, Habitat a réalisé un chiffre d’affaires de 22 millions d’euros, pour un total de 75 millions en 2020-2021 ! Où est passé l’argent ? Pourquoi, dès avril 2022, les salaires ont-ils commencé à ne plus être payés régulièrement ? Pourquoi les autres enseignes de Thierry Le Guénic connaissent-elles les mêmes difficultés ? »

Habitat Monaco a été placé en cessation de paiement, puis en liquidation judiciaire, début janvier 2024 par le tribunal de première instance de Monaco. La maison-mère, Habitat France, a connu le même destin le 28 décembre 2023

Une situation « qui n’a eu de cesse de se dégrader »

Par le biais d’un communiqué de presse publié fin novembre 2023, Habitat a annoncé « [faire] face à des difficultés économiques extrêmes qui touchent tout le secteur de l’aménagement ». Et précisait devoir composer avec les conséquences « d’une gestion antérieure défaillante » par le groupe CAFOM resté propriétaire de la marque Habitat, avec « une baisse significative de la fréquentation des magasins, un choc inflationniste et la flambée des prix de l’énergie, des matières premières et du transport », ainsi que « des mouvements sociaux internes ayant perturbé l’activité ». Des explications balayées du revers de la main par les représentants des salariés.

« On n’y croit pas une seconde, commente Ratiba Hamache. Cela fait deux ans que le comité d’entreprise alerte sur ce qu’il se passe chez Habitat. Le commissaire aux comptes a lui-même lancé un droit d’alerte. Mais la direction est restée mutique et n’a donné aucune information. La situation n’a alors eu de cesse de se dégrader et de préoccuper tous les salariés de l’entreprise. Tenter de leur faire porter le chapeau en indiquant que la situation actuelle est, au moins en partie, due à des « mouvements sociaux internes », c’est vraiment gonflé. La vérité, c’est que la mort d’Habitat est due à des mauvais choix de gestion, qui font que le chiffre d’affaires réalisé n’a pas été employé en priorité pour payer les fournisseurs et les salariés. » Ces derniers, justement, ont été notifiés de leur licenciement en date du 17 janvier 2024, s’agissant des salariés en France. Les sept salariés du magasin monégasque, l’ont pour leur part été, par courrier également, en date du 30 janvier 2024. Un licenciement qui sera effectif pour tous à la fin du mois de mars 2024, et leur permettra enfin de trouver un nouvel emploi, ou de commencer à percevoir des prestations sociales. Avec l’espoir d’avoir perçu d’ici là l’intégralité des salaires de 2024, en compagnie du solde de tout comptes. Par la suite, une vente aux enchères sera organisée par le cabinet KPMG, mandataire judiciaire, afin de liquider les biens d’Habitat Monaco. Mais ses dates et contours restent à définir.

« Au moment de la reprise, les stocks totaux d’Habitat valaient 24 millions d’euros. Pendant sept mois, Thierry Le Guénic n’a pas eu de salaires à payer en France, les pouvoirs publics prenant le relais en raison de la crise sanitaire. […] Et pourtant, juste avec le web, pendant le confinement, Habitat a réalisé un chiffre d’affaires de 22 millions d’euros, pour un total de 75 millions en 2020-2021 ! Où est passé l’argent ? »

Ratiba Hamache. Déléguée syndicale CGT

Difficile d’obtenir un remboursement

Et les clients dans tout ça ? Depuis plusieurs semaines, les témoignages affluent sur les réseaux sociaux, et notamment sur un groupe Facebook créé par des clients français lésés. « J’ai passé une commande de 5 992 euros dans le magasin Habitat les Voûtes à Marseille, réglée intégralement le 15 octobre 2023 », y indique, par exemple, Véronique. « Nous avons commandé et payé un canapé en octobre, bien sûr non livré, témoigne Audrey. On est vraiment en colère, c’est une honte. » De son côté, Silvana dit avoir « passé commande en juillet 2023 et, suite à des retards successifs, je n’ai jamais reçu ma commande qui devait pourtant être livrée en décembre. Je suis perdue, triste, inquiète… ».

Françoise a « acheté six chaises en juillet » et elle dit avoir « fait l’erreur de payer par virement, pour un total de 1 170 euros. Elles devaient être livrées début septembre. Après plusieurs retards successifs, j’ai fini par demander le remboursement en novembre. Habitat a accepté et m’a demandé mon RIB. Mais, bien sûr, je n’ai jamais été remboursée… ». Ratiba Hamache, déléguée syndicale CGT estime que « les gens sont en colère et ils ont raison de l’être. Selon le décompte du tribunal, en France, il y a 9 millions d’euros de créances ! En interne, cela faisait plusieurs mois que l’on disait d’arrêter de prendre de nouvelles commandes, que l’on craignait de ne pas pouvoir livrer les clients ou de payer les fournisseurs. Mais aucune consigne n’a été donnée en ce sens, bien au contraire. »

Habitat a avancé « une baisse significative de la fréquentation des magasins, un choc inflationniste et la flambée des prix de l’énergie, des matières premières et du transport », ainsi que « des mouvements sociaux internes ayant perturbé l’activité »

Se faire connaître du liquidateur judiciaire

Si les sommes dues aux clients sont astronomiques, les perspectives de recevoir un remboursement sont bien sombres. En effet, lors d’une liquidation judiciaire, les clients passent après les salariés, qui restent « la priorité », selon les termes de Magali Lecres, du cabinet KPMG, citée par Monaco-Matin. Le plus dur à encaisser pour les clients ? Si un redressement judiciaire avait été décidé, les clients qui avaient contacté le mandataire et dont la demande avait été acceptée, auraient pu recevoir un remboursement, potentiellement sur une durée échelonnée, par exemple sur dix ans.

Dans le cas d’une liquidation judiciaire, c’est plus hypothétique. Alors, que faire si vous avez acheté du mobilier jamais livré chez Habitat Monaco ? Tout d’abord, se faire connaître du liquidateur judiciaire, avec les preuves des transactions : bon de commande, facture, relevé de compte mentionnant l’opération bancaire… Et espérer que la vente aux enchères, notamment, permettra de couvrir le paiement des salaires des salariés et les sommes dues aux clients. Il faut aussi s’adresser à sa banque : les assurances et garanties de certaines cartes peuvent couvrir ce genre de situation, et entraîner un remboursement, total ou partiel, des sommes engagées. Dernière option : le cas échéant, contacter l’organisme de paiement fractionné (PayPal, Oney…) utilisé pour régler la facture. A minima pour faire stopper le prélèvement des mensualités pour cause de non-livraison des produits. Un moindre mal…

Résumé : six dates pour comprendre la fin d’Habitat à Monaco

• 12 mai 2004 : ouverture d’Habitat Monaco, au cœur de l’espace Saint-Charles, sur quelque 800 m2. Pour l’occasion, en date du 23 janvier de la même année, une société anonyme monégasque est créée.
• Juin 2022 : Habitat Monaco connait ses premières grandes difficultés financières. Afin d’y faire face, elle troque ses deux étages de l’espace Saint-Charles contre un seul. À l’époque, l’entreprise justifie ce changement par les difficultés nées de la crise sanitaire.
• 30 novembre 2023 : le magasin Habitat Monaco ferme ses portes après avoir reçu un avis d’expulsion pour loyers impayés de la mairie. Les sept salariés se retrouvent sans activité.
• Décembre 2023 : le 7, le tribunal de commerce de Bobigny prononce la cessation des paiements et le redressement d’Habitat en France. Le 28, c’est une liquidation judiciaire qui est prononcée. En Principauté, les salariés restent dans l’expectative, aucune procédure n’étant alors lancée. Et le magasin reste fermé.
• 12 janvier 2024 : le tribunal de première instance de Monaco prononce la cessation et la liquidation d’Habitat Monaco, alors que les employés ont saisi, quelques jours plus tôt, l’inspection du travail.
• 30 janvier 2024 : les salariés d’Habitat Monaco reçoivent une lettre de licenciement, avec échéance au 31 mars 2024.