A la tête de la direction du tourisme et des congrès (DTC), Guy Antognelli a reçu Monaco Hebdo pour détailler les chiffres du tourisme en principauté de l’année écoulée. Il a également été question de la politique menée par la DTC qu’il préside. Notamment de la politique touristique en matière d’écologie. Entretien.

Quel est le bilan de cette année de tourisme à Monaco ?

On n’a pas la prétention de dire que les résultats du tourisme sont notre fait. Je peux vous expliquer ce que l’on fait. Il y a une partie promotion à l’étranger : faire venir du touriste à Monaco pour avoir des clients dans les hôtels dans le Grimaldi forum, dans les restaurants, dans les commerces. Mais notre cible, c’est celui qui séjourne en principauté. Pas le client qui va passer quelques heures en principauté, mais qui est très important pour plein de commerces, il ne faut pas le négliger. A la rigueur, notre rôle serait qu’il dépense le plus possible en principauté. Notre cible première, c’est le client qui peut séjourner dans les hôtels et pour le tourisme d’affaires, utiliser les centres d’affaires, le Grimaldi forum, le One Monte-Carlo ou les hôtels. Ce qu’on annonce en termes de chiffres, c’est pour ce type de touristes là.

La direction du tourisme et des congrès (DTC) est présente dans combien de pays ?

La DTC a dix bureaux de représentations dans le monde pour être notre relais sur les principaux marchés ciblés. Nous sommes présents à Londres, Munich, New York, Milan, Moscou, New Delhi, Tokyo, Singapour, Sydney, Sao Paulo. Une fois par an, on réunit ces personnes — qui ne sont pas des fonctionnaires, mais issues d’entreprises privées spécialisées qui sont sous contrat avec le gouvernement monégasque —, on les réunit pour qu’ils découvrent les nouveautés de la principauté. On discute avec eux de ce qu’on va faire l’année prochaine, même si on a déjà bien avancé via Skype. Et on en profite pour donner les résultats du tourisme en principauté.

Que disent les derniers chiffres du tourisme à Monaco ?

Ces résultats chiffrés, on les appelle le grand baromètre de l’hôtellerie monégasque. Il comprend les résultats des dix plus grands hôtels monégasques, sur les douze existants. Donc les résultats sont quasi-exhaustifs. Concernant le taux d’occupation, qui est le pourcentage de remplissage de l’hôtel, il faut le comparer à une évolution de l’offre [le nombre de chambres supplémentaires — N.D.L.R.]. L’hôtel de Paris a rouvert en entier cette année. Donc, il y a une baisse de 0,7 point du taux d’occupation fin septembre, mais il y a une hausse de 3,9 % de l’offre de chambres disponibles. Donc on a 2,4 % de chambres louées en plus à fin septembre 2019, comparé à l’année dernière. Ensuite, on a un prix moyen de la chambre vendue en hausse à 5,7 %. Là aussi, à Monaco, c’est très difficile d’expliquer un prix moyen quand on a des chambres de base qui vont être vendues 250 euros, et des suites 25 000 euros. Le prix moyen ne veut pas dire grand-chose. L’évolution veut dire beaucoup plus que l’évolution du prix moyen. En gros, on vend 2,4 % de chambres en plus à 5,7 % plus chers. Au niveau chiffre pur, les choses vont bien.

Quels sont les points d’ombre, alors ?

C’est très divers selon les nationalités. On va avoir des marchés en très forte hausse : le Royaume-Uni, les États-Unis, et la Chine. Et des marchés en baisse : l’Italie un peu, l’Australie.

Pour quelles raisons ?

Il n’y a pas une raison. Typiquement pour le Royaume-Uni, on va être très net : on ne comprend pas. Notre bureau à Londres ne comprend pas. Nos clients anglais également. L’année dernière, alors que le Brexit était bien amorcé, on a eu une hausse du tourisme d’affaires, et une baisse de tourisme de loisirs. Cette année, c’est le contraire, mais il n’y a pas plus de raisons que l’année dernière. C’est très compliqué à mettre en phase. Là où nous sommes contents, et qui est porteur pour nous, c’est que le marché japonais est sur un train de croissance, alors qu’il était en difficulté depuis 2 000. Le marché chinois connaît une hausse de plus de 100 %. Je vais pondérer ça en disant que non, ce n’est pas dû uniquement à l’ouverture de la ligne directe Nice-Pékin, car ouverte tout juste cet été. Nous sommes sur des chiffres tellement petits que le grand groupe chinois que nous avons reçu pour une convention d’entreprise représente 60 % de la hausse.

Comment cela se matérialise pour attirer tel ou tel type de marché ?

On a deux choses. Un, une action de terrain vis-à-vis des tours opérateurs et des agents de voyage. Notre bureau en Chine va rencontrer ces personnes et leur explique ce qu’est Monaco, quelle est sa valeur pour leurs clients. L’Asie est encore un peu l’endroit où on est le moins connu. On a aussi des actions sur les réseaux sociaux. En Chine, c’est un peu plus compliqué, c’est Weibo et Wechat [les équivalents chinois de Twitter et Whatsapp — N.D.L.R.]. La DTC vient de lancer sa campagne de communication « For you ». On tente de la relayer aussi via les compagnies aériennes, en essayant de cibler nos clients et de leur donner envie de venir. Quant à savoir s’ils ont la capacité financière… Ce qui est difficile, c’est que si nous sommes un marché de niche pour les grands pays traditionnels, c’est encore plus vrai pour ces pays en très fort développement.

Combien de touristes viennent chaque année à Monaco ?

En hôtellerie, on a les chiffres. C’est environ 330 000 personnes par an. Au niveau global, la seule année où nous avons fait une enquête remonte à 2010, donc c’est à manipuler avec beaucoup de précaution. C’était entre 6 et 7 millions de personnes qui viennent visiter Monaco dans l’année. Même si les résultats sont fiables, ils ont sûrement évolué.

Est-ce que vous arrivez à calculer la part du tourisme dans l’économie monégasque ?

On n’a pas de PIB du tourisme. L’Institut monégasque de la statistique et des études économiques (Imsee) ne peut pas le calculer, aujourd’hui.

Cela se fait dans la plupart des pays, alors pourquoi pas à Monaco ?

On n’a pas les outils en principauté. De ce qui se calcule à côté de la typologie monégasque, on peut estimer être à 12-13 % du PIB pour le tourisme.

Comment vous faites ces estimations ?

C’est d’après les estimations qui existent sur la Côte d’Azur. Ce qu’il faut voir, c’est que le touriste va consommer de l’hôtellerie, de la restauration, et du commerce de détail. Mais dans une ville comme Monaco, la restauration est énormément le fait des locaux et de travailleurs. Et le commerce de détail autant le fait de touristes que des locaux. En France, c’est assez facile, car on travaille sur d’énormes volumes. Donc les statistiques vont être à peu près cohérentes. En extrapolant ce qui est calculé dans des gros volumes dans la région voisine, on arrive à peu près à ces stats.

Le tourisme a-t-il vocation à devenir toujours plus important dans l’économie ou alors à diminuer, par préoccupation écologique ?

Il y a deux éléments. Un, c’est un pilier de l’économie, car à 12-13 %, c’est un pilier. En termes d’emploi, c’est plus que 12-13 %. Je n’ai pas l’habitude de dire ça, mais ça se dit régulièrement en France ou ailleurs : le tourisme n’est pas délocalisable. S’ils viennent chez nous, ils viennent chez nous. Ils ne peuvent pas venir chez nous en allant au Cambodge. Cela crée de l’emploi. Monte-Carlo, et Monaco de fait, s’est créé sur le tourisme. Donc, culturellement c’est quelque chose de très fort chez nous. Effectivement, c’est quelque chose à gérer. Notre cible, ce n’est pas d’aller chercher des autocaristes qui vont passer trois heures à Monaco, même s’il en faut aussi. Quand le musée océanographique fait 700 000 entrées, c’est aussi ces visiteurs-là, et pas seulement les résidents ou les gens dans les hôtels. Les boutiques de souvenirs, si elles n’ont que les 330 000 personnes dans les hôtels, elles ne vivront pas non plus. C’est un équilibre à trouver. Effectivement, le mode de transport est la principale cause de pollution liée au tourisme. Que ce soit le transport aérien, le transport routier…

Et maritime…

Maritime… Encore que, quand on voit les volumes, 8 000 personnes sur un bateau de croisière, je ne suis pas sûr qu’en avion, on y gagne beaucoup. Mais effectivement, il y a de la consommation. Au niveau de l’industrie, il y a énormément de travaux dessus. A Saint-Pétersbourg, à l’assemblée générale de l’Organisation mondiale du tourisme, on discutait avec les chercheurs qui sont en train de développer les avions électriques pour EasyJet. On parlait avec les compagnies de croisière qui sont en train de sortir les bateaux qui, d’ici cinq à dix ans, devraient consommer 50 % de moins que les bateaux d’aujourd’hui. Donc, oui, l’industrie touristique est un contributeur fort aujourd’hui au réchauffement climatique par les modes de transport. C’est aussi sans doute un des secteurs qui s’en préoccupe le plus. Donc voilà, le travail, il est là.

Pour vous, il n’y a pas de contradiction, c’est seulement un équilibre à trouver ?

Oui, quand on parle de développement responsable, il y a “responsable”, mais il y a “développement”. Il y a de la gestion. Ce n’est pas raisonnable d’aller passer un week-end à New York. Parce qu’on va avoir un impact extrêmement fort en termes de pollution par rapport à l’impact positif qu’on va avoir sur l’économie de la ville ou de la société. Par contre, si on va passer deux semaines à New York, l’impact négatif environnemental sera compensé par d’autres choses.

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« Oui, l’écologie est une question politique dans le sens où c’est une chose publique. Mais ce n’est pas une question politique dans le sens où ça doit être porté uniquement par les gouvernements. Le gouvernement donne l’impulsion, mais le privé fait énormément de choses aussi »

Vous essayez de promouvoir l’écotourisme : est-ce que cela a un sens à Monaco, qui est une ville évidemment très bétonnée, sachant que l’écotourisme repose sur des visites de réserves naturelles, d’espaces verts, etc. ?

Alors nous on ne parle pas d’écotourisme. On parle de tourisme responsable. Quand un touriste est à Monaco, s’il est arrivé en voiture, on va lui dire que la bonne attitude, c’est de laisser sa voiture au parking et de se déplacer par les moyens de transport les plus propres possibles en principauté. A bus, à pied avec notamment tous les ascenseurs. On organise aussi les Green Days, l’été, qui sont des journées de sensibilisation, où l’on fait découvrir le patrimoine vert de Monaco. Les ruches, les potagers, tous les jardins de la principauté. Aujourd’hui, quasiment 20 % de la principauté est recouverte de jardins. Donc, pour une ville entièrement bétonnée… Bon, j’ai grandi ici, je suis d’accord : on est très bétonné, mais on a quand même beaucoup d’espaces verts, quand on sait les trouver. Pour nous, c’est une suite d’attitudes responsables, sans décourager le tourisme.

Cet équilibre paraît difficile à trouver : n’y a-t-il pas aussi une contradiction avec le Plan de la transition énergétique fixé par le prince, qui vise la neutralité carbone à l’horizon 2050, si le tourisme augmente ?

Le volume de touristes n’augmentera pas beaucoup. Si on est vraiment à 7 millions par an, on n’a pas une marge de manœuvre très importante. On a une marge de manœuvre dans les hôtels. Comme je vous ai dit, 330 000 c’est déjà 65 % [du taux d’occupation — N.D.L.R.]. Si on augmente de 10 %, ça fait 30 000 de plus. Trente mille de plus, c’est un jour de pendulaires qui entrent dans Monaco ! Donc vous pouvez voir que le mouvement touristique dans les hôtels est très faible, comparé à l’entrée quotidienne d’entreprises qui viennent pour œuvrer, ou des pendulaires qui viennent travailler. Notre marge de manœuvre est sur le maintien des touristes de passage, pour qu’ils dorment à Monaco. Souvent, ils séjournent à Nice, et font l’aller-retour. Si on fait ça, on aura avancé d’un grand pas.

Que pouvez-vous nous dire sur la campagne « Green is the new glam » : pourquoi cette association d’idées ?

Cette campagne a commencé en 2017. Elle a fait deux saisons, elle va s’arrêter. Là, nous allons lancer « For you ». Dans les années 50, quand on était glamour c’était le succès, avec l’image d’Hollywood, etc. Monaco était glamour. Aujourd’hui, pour retrouver le succès qui était celui d’être glamour dans les années 50, c’est faire quelque chose pour l’environnement et s’engager pour l’environnement. Comme vous le disiez, la feuille de route du prince, c’est la neutralité carbone en 2050. Apparemment, on est dans les temps de passage. Les gens imaginent Monaco comme une cité urbaine, avec beaucoup de constructions, et « green » et « glam » n’étaient sans doute pas les deux adjectifs qui leur venaient à l’esprit. On a voulu utiliser cela pour leur montrer que Monaco c’est aujourd’hui beaucoup plus que ce qu’ils connaissent. Vous allez toujours avoir cette magie qui existait dans les années 50, mais sous une autre forme aujourd’hui à Monaco.

Est-ce que cela ne dépolitise pas la question écologique que de l’associer à du glamour ?

Oui, l’écologie est une question politique dans le sens où c’est une chose publique. Mais ce n’est pas une question politique dans le sens où ça doit être porté uniquement par les gouvernements. Le gouvernement donne l’impulsion, mais le privé fait énormément de choses aussi. Cette campagne a attiré l’attention, et nous a permis de prendre la parole sur cette thématique. Oui, les composantes du tourisme sont aussi légitimes que d’autres pour parler de cette question-là.

Dans DTC, il y a “congrès” : quelle est la part de celle-ci dans le tourisme ?

En 2018, c’était 28 % des nuitées. Ces congrès s’organisent sur les domaines d’expertises de la principauté : les nouvelles technologies, le médical et paramédical, et le financier. On parlait d’environnement : le Grimaldi Forum était le premier centre de congrès certifié ISO 14 001 [une certification environnementale nécessitant toute une série de normes pour une activité industrielle — N.D.L.R.], quand il a été créé, en 2000. Aujourd’hui, c’est une préoccupation majeure des organisateurs de congrès d’avoir un impact positif et de limiter l’impact négatif. Comment organiser le congrès le plus responsable possible ? Est-ce que vous avez des produits bio, en circuits-courts ? Que faites-vous des matériaux une fois que les stands sont démontés ?

Il y a une volonté limitative, mais y a-t-il une volonté de compensation ?

C’est-à-dire ?

De compensation carbone, en plantant des arbres, par exemple ?

Le gouvernement le fait déjà, ça. Tous ses déplacements à l’étranger sont compensés. Mais si vous en parlez avec la fondation prince Albert II, ils vous diront que cette façon-là de compenser n’est plus à la mode. Beaucoup de sociétés ont inscrit dans leur procédure de déplacements la compensation carbone. C’est quelque chose sur lequel on travaille. Inciter les gens à compenser leurs déplacements dans l’organisation des congrès. Ce n’est pas encore en place. Mardi, quelqu’un de Global destination sustainability index va prendre la parole [cette interview a été réalisée le 30 octobre 2019, avant l’assemblée générale qui s’est tenue au One Monte-Carlo, le mardi 5 novembre — N.D.L.R.]. C’est un indice qui permet de classer les destinations de tourisme d’affaires en fonction de leur action dans la responsabilité environnementale et sociétale. Monaco est rentré au 13ème rang [selon le site mentionné, gds-index.com, Monaco était 16ème en 2018, et se classe 27ème cette année — N.D.L.R.]. On travaille là-dessus pour s’améliorer, également avec l’Organisation mondiale du tourisme, car on manque d’instruments de mesure.

Y-a-t-il une nouvelle stratégie, des plans quinquennaux ou une continuité ?

On est sur la continuité. Je suis arrivé en 2011, il y avait déjà un service de tourisme responsable pour recenser les bonnes pratiques en principauté et les diffuser à tous les acteurs. On a ce rôle de fédérateur. On contribue aux améliorations, mais elles sont énormément le fait des partenaires privés.