jeudi 25 avril 2024
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Cédric Biscay présente
son manga monégasque : Blitz

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Cédric Biscay, le patron de Shibuya Productions, présente, en exclusivité pour Monaco Hebdo, Blitz, le premier manga réalisé à Monaco. Interview.

L’origine de ce manga ?

Depuis que je suis enfant, j’ai envie de faire du manga. Mais entre ce qu’on a envie de faire et ce qu’on peut faire, la réalité est souvent très différente. Je ne suis ni un scénariste, ni un artiste. Je ne sais pas dessiner. Du coup, j’ai décidé de miser sur un sujet qui m’intéresse beaucoup. Comme j’aime les échecs, le joueur russe Garry Kasparov, et que rien n’avait été fait sur ce thème, j’ai décidé de me lancer en mixant ces différents ingrédients.

Pourquoi Gary Kasparov ?

Parce que c’est quelqu’un que j’aime bien depuis l’époque où il avait affronté des machines. C’est un peu le Terminator des échecs ! Garry Kasparov fait le lien entre intuition, intelligence artificielle et échecs. Il faut se souvenir, notamment, de ses parties contre l’ordinateur Deep Blue, en 1996 et 1997. Faire intervenir quelqu’un de réel dans un manga, permet d’amener un peu de cachet. En 2017, je me suis donc mis à écrire, en incluant Kasparov, sans qu’il le sache au départ.

Comment avez-vous réussi à le contacter ?

Je lui ai tout simplement envoyé un email, avec mon synopsis, pour lui demander s’il serait d’accord pour participer à cette aventure. A ma grande surprise, il m’a répondu : « Bien sûr ! ». Car je ne pensais pas qu’il s’intéressait à l’“entertainment” et aux mangas.

Comment s’est passée la rencontre avec Kasparov ?

En répondant à mon email, il m’a dit qu’il serait bientôt à Paris et qu’on pourrait essayer de se voir à cette occasion. On s’est donc rencontré au Crillon. Ensuite, on a continué à échanger, principalement par email.

Qu’est-ce qui a intéressé Kasparov dans votre projet ?

La possibilité de faire la promotion des échecs auprès d’un public qui n’est pas forcément connecté à ce sport. Car le Japon est un pays où c’est le Shogi, un jeu de société traditionnel japonais, qui domine. Kasparov m’a expliqué que le numéro 1 aux échecs au Japon, c’était aussi le champion de Shogi. D’où la volonté de cet ex-champion du monde russe de faire la promotion des échecs au Japon.

Kasparov apporte quoi dans ce manga ?

Il apporte son expertise sur ce jeu, qui est reconnu comme un sport, comme nous l’expliquons d’ailleurs au début de notre manga. Notamment sur des coups très spectaculaires aux échecs que l’on pouvait retranscrire sous la forme d’un manga, de façon plus romancée. Car il n’était pas question de faire un manga qui serait un documentaire sur les échecs. Enfin, Kasparov apparaît physiquement dans ce manga, puisqu’il est l’un des personnages.

Quel est le titre de votre manga ?

Blitz, parce que cela renvoie notamment aux parties d’échecs rapides.

De quoi parle votre manga ?

Il parle d’un collégien turbulent, qui a du mal à se concentrer, et qui est amoureux d’une fille qui ne s’intéresse pas à lui. La seule chose qui intéresse cette fille, ce sont les échecs. Du coup, ce collégien décide de se tourner lui aussi vers les échecs pour tenter de la séduire. Mais il est nul, il n’y comprend rien et n’arrive pas à se concentrer. En revanche, il comprend assez vite que Garry Kasparov est un excellent joueur. Donc il cherche à s’imprégner de ses meilleurs coups. Il va même jusqu’à trouver un appareil qui simule les anciennes parties de Kasparov. Et puis, un jour, il a un accident et il se retrouve à l’hôpital. Et là, tout change.

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« Kasparov apparaît physiquement dans ce manga, puisqu’il est l’un des personnages »

Pourquoi ?

Quand il se réveille, il se rend compte qu’il a toutes les connaissances de Garry Kasparov qui ont été téléchargées en lui. Dans un deuxième temps, il s’aperçoit qu’il a développé une « super intuition », qui lui permet de ressentir les choses mieux que les autres. Mais ce pouvoir n’est pas illimité dans le temps. Il va donc devoir travailler pour pouvoir espérer garder le même niveau et, peut-être, le dépasser.

L’histoire se déroule où ?

Au Japon. Mais certaines scènes se passent à Monaco. C’est la première fois qu’un manga est fait en principauté.

Vous avez travaillé avec qui d’autre ?

Le dessinateur est japonais. Il s’agit de Harumo Sanazaki, qui compte plus de 130 mangas à son actif. La mise en images a été assurée par la mangaka Daitaro Nishihara. Elle a fait les « bulles ». En fait, elle a pris mon histoire pour la transcrire en version bande-dessinée. Enfin, on a aussi été aidé par Yasuyuki Muto, scénariste sur les séries d’animation Gundam (1979-2018) et Kenshin le vagabond (1994-1999). Sinon, tout le reste est fait à Monaco. L’idée, c’est de publier ce manga sous la forme d’un manga « papier », avant d’en faire un dessin-animé.

Cette idée était présente dans votre réflexion dès le départ ?

En fait, je pensais au départ commencer par le dessin-animé, avant de publier le manga. Puis, j’ai fini par suivre la chaîne plus classique, qui consiste à faire l’inverse. Cette personne qui est scénariste sur Gundam nous permet d’avoir une certaine fluidité pour passer du manga « papier » à l’animation.

Blitz sera présenté à Cannes le 18 mai dans quel cadre ?

Shibuya Productions est présent chaque année à Cannes pour le marché du film. On est installé sur la plage du Majestic. Le 18 mai 2019, nous ferons une présentation officielle, en présence de Garry Kasparov. Nous présenterons le premier chapitre du manga qui sera imprimé spécialement pour cette occasion. Mais la date de sortie officielle de Blitz, c’est en février 2020. Comme tous les mangas, il sera en noir et blanc, avec une couverture en couleur. Le premier des cinq tomes fera 192 pages. On sera à Cannes pour trouver des partenaires, afin de pouvoir développer le dessin animé.

C’est votre tout premier manga : vous ressentez beaucoup de pression ?

Je n’ai pas la trouille. J’ai seulement la crainte de décevoir. Parce que je ne me sens pas du tout légitime et je n’ai pas envie qu’on pense que j’ai fait un caprice pour sortir mon propre manga. Mais depuis très longtemps, j’ai viscéralement envie de faire un manga sur une thématique qui me plaît. En plus, je m’attaque aux mangas sur le sport, qui sont mes préférés. Je suis un grand fan de Slam Dunk (1990-1996) de Takehiko Inoue et d’Olive et Tom (1983-1986) de Yoichi Takahashi. Je voudrais apporter une plus-value, avec notre système de pensée occidental.

Les atouts de votre manga ?

Ce n’est pas un manga destiné uniquement aux fans d’échecs. Blitz n’est pas le Olive et Tom des échecs. On est ici en mode “shonen”, c’est-à-dire qu’il s’agit d’un manga qui, au départ, est destiné aux jeunes, mais qui peut être lu par n’importe qui. Blitz est construit sur une histoire à tiroirs, avec plusieurs niveaux de lecture. Du coup, certains y verront un manga sur les échecs, d’autres verront plutôt un manga consacré à l’intuition, pendant que d’autres encore auront l’impression de lire un manga d’aventure avec des étudiants au Japon. Donc Blitz a la capacité de pouvoir parler à beaucoup de monde.

Blitz a d’autres atouts ?

Un manga qui parle d’échecs, des Japonais qui travaillent avec un Français, le tout réalisé par une entreprise basée à Monaco, et avec l’appui de Gary Kasparov… Je pense que tout ça est suffisamment original pour avoir au moins envie de regarder le premier volume de Blitz.

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« Les desseins sont de Harumo Sanazaki, qui compte plus de 130 mangas à son actif »

Travailler sur un tel projet, avec des nationalités différentes, c’est compliqué ?

Avoir une équipe japonaise, une équipe française et une réalisation assurée par une entreprise installée à Monaco, c’est nécessairement compliqué. Il y a aussi le décalage horaire qui est un problème majeur. De plus, comme les échecs ne sont pas un sport majeur au Japon, je dois constamment tout expliquer à mes co-auteurs, même s’ils font beaucoup d’efforts pour s’imprégner.

Comment gérer les deux casquettes de producteur et d’auteur, que vous portez simultanément pour Blitz ?

Normalement, producteurs et auteurs sont les pires ennemis du monde. Puisque l’un demande plus d’argent, pendant que l’autre essaie de limiter les dépenses. Comme je ne suis pas schizophrène, ce n’est pas simple. Jusqu’à présent, j’ai toujours fait passer mes projets personnels en dernier. C’est d’ailleurs le premier que je réalise. Mais là, j’ai jugé que ce projet était très important pour Shibuya Productions, car il y a Garry Kasparov. Ce projet va donc bien au-delà de moi. Mais je serai aussi exigeant avec mon projet que ce que je le suis avec les autres.

Pour la version francophone, vous éditez Blitz avec votre nouveau label lancé en 2018, Shibuya — Michel Lafon ?

On a publié en 2019 deux premiers mangas avec ce nouveau label. Il s’agit de Nako (2018), de Tiers Monde et Max, et de La voie de Van Gogh (2018), de Seldon. Ces artistes sont issus du concours de manga organisé lors de notre festival annuel, le Monaco Anime Game International Conferences (Magic).

Mais comment s’imposer sur le marché du manga, alors que la concurrence est très dure ?

En misant sur de très gros projets. Pour se démarquer, on a annoncé lors du Magic 2019 le nouvel Astroboy qui sera réalisé par le Français Jean-David Morvan. On a aussi annoncé la collaboration entre Leiji Matsumoto et Didier Tarquin, l’auteur de Lanfeust. Comme Shibuya Productions a été créée en 2014, nous sommes nouveaux.

Pourquoi se lancer dans le manga, alors que les marges sont souvent très faibles ?

Parce que les projets que l’on jugera suffisamment crédibles, seront transformés en animation ou en jeu vidéo. Nous sommes une entreprise transmédia, c’est un atout dont il faut se servir.

Blitz sera décliné en combien de volumes ?

Au moins 5. Et j’espère que nous en ferons davantage. J’aimerais que chaque volume sorte à un rythme de 4 mois, ce serait l’idéal. Mais je pense qu’on sera plus à un rythme de 6 à 7 mois entre chaque volume.

Pourquoi 5 volumes minimum ?

Parce que c’est le minimum requis pour avoir suffisamment de matière pour créer une saison en animation. Et on a facilement le potentiel et la matière pour faire 15 volumes. Mais c’est le marché qui décidera.

Qui réalisera cette adaptation de Blitz en dessin-animé ?

La décision n’est pas encore prise. Mais j’aimerais énormément que ce soit avec un studio japonais, comme on en a l’habitude.

Pourquoi ?

Parce qu’avec l’Europe, ça prend en général beaucoup de temps. Mais je ne ferme la porte à rien. Car notre présentation à Cannes, le 18 mai, peut être un accélérateur sur ce point. Et si on a finalement un bon studio européen ou américain qui s’intéresse à Blitz, pourquoi pas ? Notre seule exigence, ce sera la qualité.

A quelle date va sortir cette adaptation de Blitz en animation ?

J’aimerais que ce soit en 2021. Mais cela signifie qu’on démarre concrètement ce projet dans les 6 prochains mois.

Vos objectifs de vente ?

En France et à Monaco, on va sortir 20 000 exemplaires. Et on espère en vendre un maximum. Comme on a créé cette association Shibuya-Michel Lafon, on est distribué par Interforum, ce qui nous permet d’être présents un peu partout, et notamment à la Fnac de Monaco. Mais il n’y a pas que des objectifs de ventes qui m’intéressent avec ce projet.

Il y a quoi d’autre, alors ?

J’aimerai que Blitz participe à la promotion des échecs au Japon. On va d’ailleurs publier notre manga au Japon, sur Shonen Jump, qui est le plus gros magazine hebdomadaire de prépublication de mangas, afin de tenter de toucher un maximum de lecteurs.

Vous avez d’autres projets ?

J’ai écrit un autre projet qui parle de rugby, car c’est un sport que j’adore. Mais le potentiel de ventes est plus faible, car je n’ai pas la valeur ajoutée qu’apporte un Kasparov avec les échecs. Pourtant, j’ai discuté avec le champion du monde All Black, le Néo-Zélandais Dan Carter. Le problème, c’est qu’une fois dans la rue, on se rend compte que Carter est peu connu par le grand public finalement. Mais je travaille encore sur ce projet.