Taxer les locaux commerciaux inoccupés ? Oui… et puis non

locaux commerciaux rue princesse Caroline

Les locaux commerciaux inoccupés posent un problème dans la principauté,

en mal d’attractivité économique. Pour résoudre celui-ci, l’élue Priorité Monaco (Primo !), Corinne Bertani, a proposé, en séance publique, une taxe pour les propriétaires peu soucieux de louer leurs biens. Avant de se raviser plus tard. Le gouvernement n’y semblait pourtant pas réfractaire.

La prise de parole est survenue en fin de séance. Quelque peu noyée dans les sept heures de la première séance publique au sujet du budget rectificatif le 8 octobre, la proposition de l’élue Priorité Monaco (Primo !) Corinne Bertani n’a pas eu grand écho. « Je souhaite maintenant aborder la question de la rétention locative des locaux commerciaux. Le Welcome Office (WO), vous nous dites, recense les locaux commerciaux inoccupés et intervient auprès des propriétaires locatifs pour connaitre le motif de la non-location. Il collecte des éléments chiffrés pour évaluer le prix au mètre carré et le taux d’inoccupation. Mais ensuite, que fait-on de ces informations ? Nous savons que ce dossier est difficile et qu’il s’agit de ne pas porter atteinte à la propriété privée. […]. Nous comprenons qu’il faut trouver un équilibre entre mesures coercitives et incitatives. A l’exemple de Londres, pourquoi ne pas mettre en place une taxe pour les locaux inoccupés depuis longtemps pour atteinte à l’activité économique du pays ? » Mais de quel ordre de grandeur parle-t-on concernant ces locaux inoccupés ? Selon les chiffres du printemps 2019 (1) communiqués par le WO, service administratif de l’État servant d’interface aux particuliers et aux professionnels, il y aurait 51 locaux vides, répartis sur les quartiers de Monte-Carlo, de la Condamine et de Fontvieille, majoritairement. Ces locaux sont pour les deux tiers inoccupés depuis plus d’un an. Ces données récoltées sont fournies au groupe de réflexion de l’Observatoire du commerce dédié à ce sujet de la rétention locative. Celui-ci devrait « faire prochainement des propositions au gouvernement pour la mise en place de mesures incitant les propriétaires à louer leur bien dans un délai raisonnable, afin de créer un environnement économique responsable, favorable pour toutes les parties en présence », a répondu Laurence Garino, présidente du WO. Quant à savoir quelle mesure…

Des prix trop élevés

Pourquoi certains locaux demeurent inoccupés pendant une longue période ? Toujours selon le WO, « certains locaux sont au cœur de conflits légaux, parfois longs et fastidieux. D’autres doivent faire l’objet de travaux pour un changement d’exploitant ou d’enseigne par exemple, mais dans ce cas, l’absence d’activité ne devrait être que temporaire. Autre motif récurrent, les conditions financières d’accès à certains locaux sont décourageantes, ou bien les surfaces sont trop petites pour répondre au cahier des charges de certaines grandes enseignes. Enfin, certains propriétaires ne souhaitent pas louer, dans l’optique d’une éventuelle prochaine promotion immobilière. » En séance publique, Stéphane Valéri, président du Conseil national, avait appuyé la demande de Corinne Bertani : « Cela fait des années que l’on sait, que certains dénoncent les locaux commerciaux non loués en principauté. C’est un problème récurrent à Monaco. On aimerait qu’on nous dise : « Voilà on a étudié, on a réfléchi, maintenant on agit ». Oui, effectivement, à Londres, il y a des taxes pour les locaux non loués, car c’est l’intérêt de l’attractivité de Londres […]. Il faut avoir du courage, de l’audace et décider. Oui, vous allez regarder, étudier, échanger. Mais quand est-ce que vous allez prendre des décisions pour qu’un pays qui n’a pas suffisamment de locaux, qui souffre de son exiguïté, de son manque d’espace, ne voit pas des dizaines de commerces fermer et notamment dans des artères commerçantes de la principauté ? »

L’État achète plutôt que de taxer

A cet appel de Stéphane Valeri, la réponse de Jean Castellini conseiller-ministre des finances et de l’économie, n’a pas été un refus catégorique. : « Il n’y a pas des dizaines de commerces qui ferment. Il y a des commerces qui ferment. Il n’y a pas des dizaines de locaux inoccupés. Il y a des locaux inoccupés. Ne dramatisons pas, ne noircissons pas excessivement le tableau. […] On peut instaurer une taxe. Dans ce cas-là, il faut déposer un projet de loi, je pense, puisque c’est à vous de voter la taxe. Je n’ai pas d’état d’âme. Soyons audacieux. Allons-y. » Puis, il a donné la position actuelle du gouvernement pour traiter ce problème, plutôt sur le plan interventionniste de l’Etat que sur un plan incitatif, avec une taxe. « Il y a un test grandeur nature, avec la parution au journal de Monaco d’une demi-douzaine de locaux à usage de bureaux ou à usage de commerce, et un en particulier qui a fait l’objet d’une certaine publicité, qui est le local de la rue Caroline acheté par l’État. Donc oui, quand il y a des possibilités, tant qu’on a des finances publiques bien gérées, et qu’on a la possibilité de dégager des marges excédentaires, on achète. On saisit ces opportunités. On les saisit pour les appartements, pour les immeubles dans le cadre du plan logement, on les saisit également pour les locaux commerciaux. Il y en a un qui a été également acheté, qui est un local sur le quai Jean-Charles Rey. Donc oui, on agit. On n’est pas là juste à regarder, à penser, à évaluer, à calculer. » Ce à quoi corrobore le WO, qui « en collaboration avec l’administration des domaines, est constamment à la recherche de locaux commerciaux pouvant faire l’objet d’une acquisition ». Et assure qu’il « en a été ainsi avec le local sis 5, rue princesse Caroline, et qui fait actuellement l’objet d’un appel à candidatures pour sa future attribution. A ce jour, deux ou trois autres locaux pourraient très rapidement être achetés par l’État. »

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«  Il est évident qu’une taxe ne permettrait pas à elle seule de résoudre

la problématique des locaux commerciaux inoccupés.

Avant d’envisager des mesures coercitives, nous préférons d’abord mettre en place des mesures incitatives, afin de pousser les bailleurs à louer leurs locaux  »

Corinne Bertani. Elue Primo !

L’élue nationale se ravise

Alors taxe ou rachat de l’État des locaux libres ? En tout cas, Corinne Bertani est revenue sur sa proposition en séance publique dans une réponse à nos questions. « La taxe qui est mise en place à Londres, a été citée à titre d’exemple. A ce jour, il n’est pas question pour le Conseil national de déposer une proposition de loi en ce sens. Il est évident qu’une taxe ne permettrait pas à elle seule de résoudre la problématique des locaux commerciaux inoccupés. Avant d’envisager des mesures coercitives, nous préférons d’abord mettre en place des mesures incitatives, afin de pousser les bailleurs à louer leurs locaux. La majorité du Conseil national est par ailleurs, comme elle l’a déjà indiqué à plusieurs reprises au gouvernement, favorable à une politique volontariste d’acquisition de commerces par l’État, ce qui lui permettrait de devenir un réel acteur de l’urbanisme commercial. Le dynamisme commercial dans nos quartiers de la principauté, qui est un élément central de notre attractivité ne peut se faire sans une démarche proactive du gouvernement, et de l’État dans son ensemble. » La proposition n’aurait-elle été que formelle, dans une veine communicationnelle ? Cette élue Primo ! estime que « l’objectif est d’abord de faire de la pédagogie ». A ce jour, il n’existe pas d’outil juridique pour contraindre les bailleurs à louer leurs biens. Et ce, visiblement, pour encore quelque temps.

1) Corinne Bertani nous a communiqué le chiffre de 29 locaux vides, selon le dernier recensement du WO.