vendredi 19 avril 2024
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« Notre sécurité ne bride pas
les libertés individuelles »

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Alors que la menace terroriste reste présente dans tous les esprits, le conseiller-ministre pour l’Intérieur, Patrice Cellario, explique à Monaco Hebdo comment l’Etat se prépare.

Pour faire face au terrorisme, Monaco s’appuie sur la France ?

Depuis de nombreuses années, une coopération existe entre la France et Monaco. Cette coopération concerne la formation, la mise à disposition de moyens en cas de besoins, comme des compagnies de CRS lors de matches de football par exemple (lire Monaco Hebdo n° 1008). Ces échanges fonctionnent vraiment dans les deux sens, puisque Monaco met à la disposition de la France des moyens de sécurité civile.

Un exemple ?

Lorsqu’un incendie s’est déclaré à bord du ferry Moby Zàzà au port de Nice le 13 août 2016, les pompiers de Monaco ont apporté leur soutien.

Monaco possède l’équivalent du Raid français ?

Dans les équipes de la sûreté publique de Monaco, on a une équipe d’intervention sur la voie publique qui est un peu l’équivalent du Raid ou du GIGN : il s’agit de l’Unité Spécialisée d’Intervention et de Voie Publique (USIVP). Ils sont un peu plus d’une vingtaine dans ce groupe. Cette équipe sera renforcée d’ici le mois de juin pour passer à près de 30 personnes.

L’USIVP est intervenue dernièrement ?

Il y a un peu plus d’un an, un homme menaçait de se suicider dans un immeuble : impossible de répondre à ce genre de problématique sans formation et sans entraînement.

L’USIVP s’entraîne où ?

Certains entraînements ont lieu en Principauté et d’autres en France, en partenariat avec les équipes du Raid. Lorsque des événements moins “classiques” qu’un braquage ou qu’une prise d’otage sont travaillés, nos équipes sont alors invitées en France.

Le dernier entraînement de l’USIVP en France ?

Le 9 février dernier, l’USIVP a participé à une simulation d’attentat dans le centre commercial Cap 3 000 organisée par la préfecture des Alpes-Maritimes. On peut aussi citer la date du 20 avril 2016, à l’occasion d’un exercice antiterroriste au palais des festivals de Cannes. Lorsqu’on organisera à Monaco des exercices un peu similaires, les équipes du Raid et du service départemental d’incendie et de secours (Sdis) des Alpes-Maritimes, seront invitées.

En France, il est possible d’armer les agents de sécurité depuis 34 ans, grâce à la loi du 12 juillet 1983 : à Monaco, faut-il armer la police municipale (1) et les vigiles ?

Je suis opposé à l’armement de la police municipale et des vigiles à Monaco. D’abord parce que les conditions que l’on a sur le territoire monégasque sont totalement différentes de celles que l’on a sur le territoire français. En effet, ici, on n’a évidemment pas le même maillage, ni la même présence policière, ni le même niveau de sécurité. Or, le niveau de sécurité que l’on a en Principauté ne justifie pas que l’on permette à des acteurs non institutionnels, non formés et non contrôlés de pouvoir être armés.

Actuellement, à quel niveau se situe le niveau d’alerte en Principauté ?

Plutôt que de niveau d’alerte, je préfère que l’on parle de niveau de vigilance. En fait, l’idée, c’est de se demander : jusqu’où va-t-on en termes de sécurité ? Il faut bien sûr satisfaire à la nécessaire sécurité des habitants de la Principauté et des visiteurs. Mais il ne faut pas pour autant les empêcher de vivre. Il y a quelques dizaines d’années en arrière, on vivait en toute quiétude, avec peut-être même un peu d’insouciance.

Et donc ?

Aujourd’hui, nous sommes passés à un niveau de vigilance renforcé intermédiaire qui suppose un certain nombre de précautions. Notamment des mesures destinées à protéger les personnes qui entrent dans un lieu. Mais on ne va pas au-delà, en interdisant carrément l’accès à certains lieux. En fait, nous agissons de façon chirurgicale, car les dispositions ne sont pas les mêmes pour une école, un bâtiment lambda, un bâtiment public…

La SBM a, par exemple, mis en place des vigiles chargés de contrôler certains accès ?

Tout à fait. C’est important, parce que c’est un élément dissuasif. C’est aussi un dispositif qui permet de détecter un certain nombre de choses. La prévention fait diminuer le risque qu’un événement grave ne puisse se produire.

Qu’est-ce qui est décisif dans la sécurisation d’un territoire de 2 km2 ?

La vidéoprotection et la présence policière avec un quadrillage serré sont des éléments de sécurité importants. Car, pris isolément, chaque élément ne résous rien et n’apporte pas de garantie suffisante. C’est cet ensemble de mesures qui fait que, globalement, on parvient à être dissuasifs.

Et ça marche ?

Se rendre coupable d’un acte de délinquance à Monaco présente plus de difficultés, plus de probabilités de se faire prendre et d’être plus lourdement sanctionné par la justice, qu’ailleurs. L’ensemble de cette chaîne compte. La coopération police-justice est fondamentale. Après, bien sûr, il ne faut pas être candide : la délinquance 0, ça n’existe pas.

Quel type de sécurité souhaitez-vous mettre en place en Principauté ?

Il existe une volonté politique forte d’assurer une forte sécurité à Monaco. L’objectif, c’est d’assurer un sentiment de quiétude. On veut que les gens se sentent tranquilles. Mais pas question pour autant d’instaurer une sécurité oppressante. La sécurité, ce n’est pas que l’affaire de l’Etat ou de la police. C’est l’affaire de tout le monde.

En novembre 2016, plusieurs Belges ont été interpellés à Bruxelles, soupçonnés d’avoir payé des fonctionnaires monégasques pour obtenir un statut fiscal avantageux : cela salit l’image de Monaco et de son institution judiciaire ?

Ce serait dommage que ce soit le cas. Parce que de la même façon que le risque 0 n’existe pas, la perfection n’est pas compatible avec la nature humaine. Parce qu’un individu commet une faute, peut-on considérer que l’ensemble de l’institution faute aussi ? Ce serait très dommageable que la responsabilité d’un individu soit interprétée comme la responsabilité de l’ensemble d’une structure. Dans tout corps de métier, ce n’est pas parce que quelqu’un commet une action individuelle répréhensible, que toute la profession à laquelle il appartient doit être salie.

Après cette affaire, quelle est l’image des pouvoirs publics et de la sécurité publique à Monaco ?

L’action générale des pouvoirs publics, l’action de la sûreté publique et de ses personnels est comprise par les résidents et les visiteurs de la Principauté. Les messages de soutien et les manifestations de sympathie qu’a reçue l’institution et ses personnels montre que les gens savent faire la part des choses entre une responsabilité individuelle et une institution.

Il y a eu une campagne médiatique assez importante, notamment en Belgique, autour de cette affaire : tout ça n’est pas vraiment positif en termes de communication pour Monaco ?

Mais ce n’est pas une opération de communication ! Il y a des textes, il y a des lois et il y a des règles. Si quelqu’un les enfreint, il est normal qu’il soit poursuivi pour cela, que la réalité des faits soit établie et que la justice se prononce. Ce n’est pas à moi de le faire. Mais on pourrait retourner cette affaire dans le sens inverse et voir les choses tout à fait autrement.

Comment ?

C’est la Principauté qui a détecté et mis en évidence ce problème. C’est la Principauté qui a décidé de le traiter. Parce qu’il est important que l’éthique soit au cœur de l’action des pouvoirs publics et des services de l’Etat.

Monaco continue d’investir pour encore améliorer sa sécurité : mais jusqu’où peut-on aller ?

Il n’est pas question de faire plus pour le plaisir de faire plus. Il faut plutôt se questionner pour essayer de voir comment faire mieux ce que l’on fait déjà, et adapter nos moyens, tant humains que matériels. Le monde tel que nous le percevions n’est plus le même qu’il était il y a 10 ans. Et peut-être que dans 10 ans, ce monde sera encore très différent.

Monaco est sous la menace terroriste ?

Aujourd’hui, aucun élément ne permet de dire qu’il pèse une menace sur Monaco. Mais la Principauté n’est pas à l’écart du monde occidental. Le mode de vie que nous avons à Monaco, les gens qui y vivent ou ceux qui viennent visiter la Principauté, ne sont pas vraiment différents de ceux qui vivent dans le reste du monde occidental. De ce point de vue, il serait coupable de ne pas prendre en compte l’évolution de l’environnement international.

De quelle manière ?

Une double réponse doit être apportée. D’une part, il faut s’interroger sur la meilleure optimisation des moyens dont on dispose pour l’adapter à l’évolution du monde et de sa délinquance. D’autre part, il faut voir quels sont les moyens complémentaires qui sont nécessaires. L’idée n’est donc pas d’investir dans la sécurité pour le plaisir de le faire. Mais plutôt d’adapter nos moyens et de les renouveler.

Un exemple ?

Le système de vidéosurveillance de la Principauté. Une partie de ce système est ancien. Il y a donc un renouvellement qui est à mener, sans oublier de nécessaires évolutions technologiques.

Qu’est-ce qui peut être encore amélioré ?

L’un des axes que l’on souhaite travailler et améliorer, c’est la coopération entre nos services, mais aussi avec les services français. Car c’est avec les services français que nous devrions travailler si un événement de grande ampleur se produisait.

Du coup, le budget de l’Etat consacré à la sécurité est chaque année revu à la hausse ?

Oui. À Monaco, la sécurité est une priorité nationale. Ces dernières années, nous avons renforcé l’USIVP, mais aussi nos moyens technologiques.

Face à un monde qui semble durablement installé dans l’incertitude, le gouvernement monégasque va continuer à investir selon quelle logique pour sécuriser son territoire ?

Continuer à investir ne signifie pas forcément que l’on va aller beaucoup plus loin, beaucoup plus vite et beaucoup plus fort. Nous mènerons donc une analyse pragmatique pour optimiser nos moyens humains et matériels face aux risques et à la délinquance liée à ce monde en changement. L’ouverture des frontières en Europe a amené une possibilité de transhumance de population et une nouvelle forme de délinquance que nous n’avions pas il y a 40 ans.

Comment assurer une véritable sécurité sans tomber dans un tout sécuritaire difficile à accepter pour la population ?

Le sentiment de sécurité qu’ont les gens en Principauté est très élevé. Ce ressenti signifie deux choses. D’abord qu’ils considèrent que l’on vit en sécurité et en toute tranquillité à Monaco. Ensuite, même s’ils ne le disent pas, ils estiment que cette sécurité n’est pas oppressante, ni perturbante. Notre sécurité ne bride pas les libertés individuelles. Les gens peuvent librement circuler en Principauté sans avoir le sentiment d’être surveillés. Or, certaines personnes viennent s’installer à Monaco parce qu’ils recherchent de la sécurité et qu’ils ne veulent pas vivre au quotidien avec une forme d’oppression qu’ils peuvent parfois ressentir ailleurs, avec un niveau de sécurité inférieur à chez nous.

 

(1) En France, un décret paru le 29 novembre 2016 au Journal officiel autorise les policiers municipaux, les agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la Régie autonome des transports publics (RATP) à porter des pistolets semi-automatiques 9 mm. « La police municipale monégasque n’est pas armée et n’a pas du tout les mêmes missions que la police municipale française », rappelle la mairie de Monaco.