samedi 20 avril 2024
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Thomas Brezzo : « Légiférer pour légiférer, ce n’est pas dans notre ADN »

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Alors qu’élus et gouvernement se retrouveront les 3 et 16 décembre 2020 pour deux séances législatives, Monaco Hebdo fait un point d’étape avec Thomas Brezzo, président de la commission de la législation du Conseil national (1).

Crise

La crise sanitaire se poursuit : comment jugez-vous la mobilisation du Conseil national sur le plan législatif ?

Elle a été exemplaire. Elus et permanents ont travaillé avec une implication et une intensité sans précédent, à la hauteur de la crise qui touche notre pays depuis mars 2020. Nous avons voté les crédits nécessaires pour faire face, pour protéger les Monégasques et les résidents, mais aussi pour soutenir les acteurs économiques, les salariés, les entreprises, les commerçants et les travailleurs indépendants. Nous avons répondu présent sur tous les fronts. Nous avons pris nos responsabilités, et nous avons pu compter sur le travail d’une équipe de permanents qui ont été exceptionnels d’abnégation, de solidarité et de concentration. Lorsqu’on parle de ressource institutionnelle en parlant du Conseil national, je crois pouvoir dire que cette expression a pris tout son sens. Avec le président Stéphane Valeri, nous avons été dans l’obligation de canaliser l’inquiétude de la population et de traduire les attentes et les besoins légitimes des Monégasques et des résidents en propositions concrètes, en contribuant à rendre les mesures prises par le gouvernement les plus efficaces possibles, sous l’autorité du prince souverain.

De quelle façon avez-vous travaillé pendant cette crise sanitaire liée au Covid-19 ?

Le Conseil national s’est adapté à l’urgence et s’est immédiatement assigné une obligation de résultats. Nous avons fonctionné de manière innée dans l’union nationale, tous unis en interne autour du président Valeri qui a travaillé sans relâche 7 jours sur 7 pendant de nombreux mois. Après une période de crispation de la part du gouvernement, nous avons pu travailler aussi dans l’unité des institutions, grâce à l’instauration par le prince Albert II d’un comité mixte de suivi dédié au Covid-19. Il était logique et naturel que le Conseil national ait, comme il l’a d’ailleurs écrit, « sa place dans le dispositif de lutte contre l’épidémie ».

Blanchiment

Où en est le travail de transposition de la cinquième directive anti-blanchiment et financement du terrorisme de l’Union européenne (UE) ?

Un projet de loi en ce sens a été déposé tardivement par le gouvernement sur le bureau du Conseil national, au mois de février 2020. Il est impératif que ce texte soit voté avant le 31 décembre 2020, si nous voulons éviter que la principauté de Monaco soit placée sur les listes grises des pays non coopératifs. Malheureusement, avec la crise du Covid-19, nous n’avons pas été en mesure d’étudier ce texte avant le mois de septembre 2020. Depuis cette date, la commission de législation a consulté des représentants de l’ensemble des personnes et entités assujetties à cette loi (1).

Ces consultations étaient nécessaires ?

Ces consultations étaient indispensables pour permettre aux élus d’appréhender les difficultés rencontrées en pratique par ces assujetties dans le cadre de la mise en œuvre de la loi et ainsi recueillir leurs observations et suggestions dont nous avons ensuite tenu compte dans le cadre des travaux de la commission.

Ce texte pourra être voté quand ?

Parallèlement et depuis le mois d’octobre 2020, nous avons organisé des réunions de travail très régulières avec le département des finances et de l’économie, le service d’information et de contrôle sur les circuits financiers (Siccfin) et la direction des affaires juridiques, afin d’échanger efficacement sur les aspects techniques de ce projet de loi particulièrement complexe. Nous avançons aujourd’hui au rythme de 4 à 5 réunions par semaine sur ce projet de loi, et celui-ci devrait ainsi être soumis au vote de l’assemblée lors de la séance publique du 16 décembre 2020.

Monaco sera donc dans les clous d’ici le 31 décembre 2020 ?

Un travail soutenu et en bonne intelligence avec nos interlocuteurs du gouvernement nous permettra d’adopter ce texte dans les délais impartis, à savoir avant le 31 décembre 2020. La législation monégasque sera alors en conformité avec la cinquième directive anti-blanchiment et financement du terrorisme de l’UE. A cet égard, nous nous sommes particulièrement attachés à prendre en considération les observations des représentants des personnes et entités assujetties qui ont été consultées, mais aussi les spécificités monégasques, notamment liées à la taille de notre pays. L’objectif de la commission était de parvenir à un texte qui soit le plus lisible possible pour faciliter sa mise en œuvre, qu’il soit le moins contraignant pour les opérateurs, tout en respectant le cadre imposé par la directive européenne. Les conseillers nationaux ont toutefois veillé à ce que ce texte ne soit pas « surtransposé » dans notre droit interne, et qu’il n’aille pas au-delà de ce qui est imposé par la norme européenne.

Greco

Pour répondre aux recommandations du groupe d’États contre la corruption (Greco), vous allez modifier le règlement intérieur du Conseil national ?

La commission spéciale chargée de la modification du règlement intérieur du Conseil national (2) qui avait été créée à cet effet, a adopté un texte modifiant le règlement intérieur du Conseil national le 22 octobre 2020 et a adopté une proposition de résolution visant à modifier ce règlement intérieur le 11 novembre 2020. Cette résolution a été signée par l’ensemble des élus du Conseil national. Elle sera ainsi soumise aux délibérations de l’assemblée lors de la séance publique du 25 novembre 2020 [ce n° 1175 de Monaco Hebdo a été bouclé le 24 novembre 2020 – NDLR]. Le nouveau règlement intérieur sera ensuite examiné par le tribunal suprême, conformément à l’article 61 de la Constitution.

Et pour les autres recommandations du Greco ?

Pour ce qui relève des nouvelles dispositions envisagées, l’ensemble des recommandations du Greco ont été prises en considération. Outre certaines améliorations liées au fonctionnement interne du Conseil national, le règlement intérieur intègrera des dispositions nouvelles en matière de déontologie des conseillers nationaux. Il prévoit à ce titre, l’instauration d’un déontologue qui aura la charge d’accompagner les conseillers nationaux tout au long de leur mandat, dans le respect des règles de déontologie.

Les élus auront d’autres obligations ?

Les élus seront aussi soumis à de nouvelles obligations de déclarations d’intérêts et d’activités en début de mandat, qui devront être mises à jour, ou encore de déclarations des dons et avantages, à l’instar de ce qui existe dans le pays voisin. Le règlement intérieur intègre également des éléments relatifs au processus législatif, le Greco ayant recommandé que des informations complémentaires puissent être mises à disposition du public en la matière. Les avis écrits des entités consultées par les commissions, dans le cadre d’étude d’un projet de loi ou d’une proposition de loi, pourront faire l’objet d’une publication sur le site Internet du Conseil national. De même, l’ordre du jour des commissions sera publié sur le site Internet du Conseil national, afin de permettre au public d’identifier à quel stade de la procédure législative se trouve un texte. Ces apports seront complétés, en parallèle, par une évolution du site Internet de l’assemblée, afin d’en faciliter l’utilisation par le public.

Relance

Alors que l’impact économique et social lié au Covid-19 se fait sentir, il a été question d’une relance par l’économie numérique : où en est-on aujourd’hui ?

Lors de l’annonce du plan de relance de l’économie par le numérique le 9 septembre 2020, le prince Albert II a notamment présenté, au titre des axes prioritaires, la construction d’un écosystème numérique monégasque, et la création d’une économie du numérique en principauté. Trois lois récemment votées par le Conseil national contribueront ainsi à remplir ces objectifs.

Quelles sont ces lois ?

La loi pour une principauté numérique et la loi relative à l’identité numérique ont été votées en décembre 2019, et ces textes permettront notamment la mise en place d’une signature et d’un cachet électronique, ainsi que la loi relative aux offres de jetons, votée en juin 2020, offrant un cadre juridique sécurisé aux levées de fonds opérées via actifs numériques, ayant pour vocation de créer de nouvelles recettes pour l’Etat monégasque. Toutefois, de nombreux textes réglementaires doivent encore être édictés, afin de mener à bien les objectifs fixés.

Quoi de prévu pour 2021 ?

Le gouvernement nous a également annoncé le dépôt d’un projet de loi portant réforme du droit des sociétés, au cours des premiers mois de l’année 2021. Ce texte est particulièrement attendu, notamment parce qu’il permettra enfin la création de sociétés unipersonnelles, de la société par actions simplifiées (SAS).

Où en est le dossier de la blockchain à Monaco ?

Les principales notions liées à la technologie blockchain ont été intégrées dans la loi pour une principauté numérique, lui conférant notamment une force probante. D’un point de vue pratique, les applications de cette technologie sont multiples et pourraient nécessiter l’édiction de normes spécifiques, à l’instar de la loi relative aux offres de jetons, qui a permis le lancement de la plateforme Security Tokens (STO) en principauté. Reste encore à favoriser le développement de cette technologie à Monaco, en attirant des entreprises de ce secteur. Ce sera l’objet de la réflexion qui sera menée prochainement, dans le cadre d’un groupe de travail mixte, en vue de l’introduction d’un mécanisme d’expérimentation en matière d’innovation technologique.

Le gouvernement s’est aussi engagé à déposer d’ici fin 2020 un texte sur les prestataires de services sur actifs numériques ?

Dans le cadre de l’étude du projet de loi n° 995 sur la blockchain, le gouvernement s’est effectivement engagé à déposer, d’ici la fin de cette année 2020, un texte encadrant les activités de prestataires de services sur actifs numériques, déjà règlementées en France depuis la loi Pacte du 23 mai 2019. Ce futur projet de loi devrait ainsi contribuer à un nouveau cycle de prospérité économique, en créant un véritable écosystème autour des activités sur actifs numériques.

Du coup, aujourd’hui, Monaco est-il en retard sur le dossier du numérique ?

Je ne pense pas, bien au contraire. De nombreuses avancées ont été opérées ces dernières années pour essayer de combler le retard. Mon collègue Franck Julien, président de la commission pour le développement du numérique, y travaille d’ailleurs ardemment. Aujourd’hui, une véritable transition numérique est en train de se mettre en place. Prochaine étape importante, qui sera réellement perceptible par la population : le déploiement de l’identité numérique.

Numérique toujours : le travail sur le règlement général sur la protection des données (RGPD) sera important ?

Le travail sera en effet conséquent, car la dernière modification d’ampleur de la loi n° 1 165 n’est pas récente. De nombreuses modifications et mises à jour sont donc nécessaires, pour que le droit monégasque se mette au niveau des standards du RGPD et que, in fine, la législation monégasque soit reconnue par les instances européennes comme offrant un niveau de protection adéquat.

Pour être attractif, Monaco est-il suffisamment adaptable en termes de législation ?

Le domaine du numérique étant évolutif, une adaptation de la législation est indispensable, pour répondre à l’objectif de transition numérique fixé par le prince Albert II.

Droit social

Que pensez-vous du projet de loi sur l’aménagement concerté du temps de travail sur lequel les partenaires sociaux se déchirent actuellement (lire Monaco Hebdo n°1172) ?

Je rejoins le discours tenu par le président Valeri dès la fin de l’été 2020 : chacun doit faire preuve de responsabilité pour sauver un maximum d’emplois en principauté. Pour autant, le texte du gouvernement sur l’annualisation du temps de travail, tel qu’il est rédigé actuellement, ne sert pas à grand-chose, à part mettre de l’huile sur le feu : les syndicats s’y opposent, car il ne prévoit notamment pas de contreparties pour les salariés. De leur côté, les employeurs nous disent qu’ils ne l’utiliseront pas, ou très peu, car il leur interdit le licenciement économique dans une période de totale incertitude sur l’avenir. C’est dommage d’ajouter de la division sur de la tension déjà très sensible à cause des plans sociaux en cours. Nous lancerons une vaste consultation des partenaires sociaux et du conseil économique et social de Monaco (Cese) dès janvier 2021 pour voter un texte plus équilibré et plus durable, et donc plus efficace, lors de la session de printemps 2021.

Est-il opportun de multiplier les nouveaux textes pour faire face à la crise ?

Il faut séquencer les choses, et ne pas créer de nouveaux fronts sociaux sans avoir réglé ceux qui sont déjà en cours. Légiférer pour légiférer, ce n’est pas dans notre ADN. Pour faire à la crise sanitaire, le Conseil national a voté ce qu’il fallait voter. Pour faire face à la crise sociale, il convient de se concentrer sur chaque dossier de manière spécifique. S’occuper de la crise économique et sociale oui, mais se retrouver face à une multitude de textes dont l’opportunité et le timing font débat, c’est une mauvaise approche pour sortir par le haut de la situation actuelle.

1) L’association monégasque des activités financières (Amaf), la chambre immobilière, la commission de contrôle des informations nominatives (CCIN), l’association des compliance officers de Monaco (Amco), l’ordre des experts-comptables, l’ordre des avocats, la société des bains de mer (SBM), le conseil économique et social de Monaco (Cese), le conseil stratégique pour l’attractivité (CSP), les huissiers, la chambre monégasque de l’assurance, la chambre des conseils juridiques, les notaires, la chambre monégasque de l’horlogerie et de la joaillerie, l’union des commerçants et des artisans de Monaco (Ucam), la chambre monégasque du shipping, la chambre monégasque du yachting et les marchands de biens.

2) Thomas Brezzo est aussi président de la commission spéciale chargée de la modification du règlement intérieur du Conseil national.