mardi 23 avril 2024
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Pierre Dartout : « Face au covid-19, nous devons être pragmatiques »

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En fonction depuis le 1er septembre 2020, le ministre d’Etat, Pierre Dartout, dresse un premier bilan de son action.

Dans un contexte très fortement marqué par la crise sanitaire liée au Covid-19, cet ancien préfet évoque l’actualité du moment pour Monaco Hebdo.

Son arrivée à Monaco

Qu’est-ce que vous avez retenu de ces 120 premiers jours à Monaco ?

J’ai d’abord pu constater que la principauté est un territoire de taille limitée, mais qui est très attractif. Car Monaco présente beaucoup d’avantages pour ceux qui viennent y vivre, notamment en termes de sécurité, de situation économique et de qualité de vie, même si, bien entendu, tout n’est pas parfait. Il y a ici aussi une ambition en matière d’environnement et cela compte aujourd’hui beaucoup pour les gens. Avec notamment tous les engagements pris par le prince Albert II sur ce sujet. Il ne faut pas oublier non plus la qualité du système éducatif et du système de santé. Tout cela rend la principauté très attractive.

Et par la suite ?

Quels que soient les atouts du territoire monégasque, il est confronté à principalement deux défis. A très court terme, il faut gérer au mieux la crise liée au Covid-19, en tenant l’équilibre entre la protection sanitaire et la préservation de l’activité économique qui est vitale pour la principauté. A moyen et long terme, Monaco est très bien positionné sur le plan économique et de l’attractivité. Mais il ne faut jamais être figé, il ne faut jamais se reposer sur ses lauriers. Au contraire, il faut toujours savoir se remettre en cause et se réformer, si nécessaire, pour s’adapter à la nouvelle donne, et à un monde qui change très vite. A Monaco, je sens une grande capacité d’adaptation.

Quelles ont été les plus grandes difficultés rencontrées à ce jour ?

La plus grande difficulté, c’est incontestablement la gestion du Covid-19, avec toutes ses conséquences. Tenir cet équilibre entre la préservation de l’activité économique et la santé publique est un exercice difficile. De plus, il y a aussi les conséquences du Covid-19 sur la vie économique de la principauté. Même si nous avons limité les conséquences négatives au cours du dernier trimestre 2020, il y a des entreprises qui souffrent beaucoup, notamment celles qui travaillent dans l’événementiel. Enfin, il y a aussi la situation budgétaire de la principauté. Car, à Monaco, on n’est pas habitué à avoir des déficits budgétaires importants.

Vous avez 66 ans : vous envisagez de terminer votre carrière à Monaco ?

Je suis là tant que le prince le souhaitera. C’est lui qui m’a choisi. J’ai prêté serment devant lui, c’est donc à lui de décider, bien entendu. Le métier que j’exerce ici est passionnant, même si j’ai déjà été habitué, par mes fonctions de préfet que j’ai exercé précédemment, à avoir un métier passionnant. On n’a donc pas envie d’arrêter, car on est trop dans la passion, dans l’intérêt et dans l’enthousiasme. Et ce, même si cet enthousiasme peut parfois être teinté d’inquiétude et de préoccupation, comme c’est le cas en ce moment au regard de la situation sanitaire.

Monaco sera votre dernière expérience professionnelle ?

Je ne sais pas. Mais je pense que, d’une façon ou d’une autre, je resterai toujours actif, sinon je risque de m’ennuyer.

Pierre Dartout Ministre d'Etat Monaco
Pierre Dartout, ministre d’Etat © Photo Iulian Giurca – Monaco Hebdo.

« Monaco est une monarchie constitutionnelle, ce n’est pas une monarchie parlementaire. Je ne suis responsable que devant le prince. Mais il est évident que nous avons une obligation de dialogue permanent avec le Conseil national »

Ses relations avec le Conseil national

Comment jugez-vous la qualité de vos relations avec le Conseil national et les 24 élus ?

Monaco est une monarchie constitutionnelle, ce n’est pas une monarchie parlementaire. Je ne suis donc responsable que devant le prince. Mais il est évident que nous avons une obligation de dialogue permanent avec le Conseil national. Ce que nous faisons en dehors des sessions avec les élus, notamment dans le cadre du comité mixte de suivi pour le Covid-19. J’ai été directeur du cabinet du président de l’Assemblée nationale à Paris, donc j’ai un minimum l’habitude de travailler avec une assemblée d’élus. Bien sûr, il y a une façon de travailler et nous ne sommes pas toujours d’accord. J’observe aussi que, sur certains grands sujets, nous pouvons être d’accord et trouver des consensus. Le Conseil national fait des observations que je trouve pertinentes. Par exemple, leur vigilance quant à la question du logement des Monégasques est pertinente. Et c’est un sujet auquel nous répondons, d’ailleurs.

Vous avez d’autres exemples ?

C’est à la suite d’interventions d’élus et notamment de femmes élues, que nous avons décidé de proposer au prince d’aller vers l’indemnisation des victimes de violences domestiques intra-familiales ou sexuelles. Lors d’un colloque, nous nous sommes aperçus, suite à l’intervention du bâtonnier des avocats de Monaco, qu’un avis qui était déjà rendu sur ce sujet par des conseillères nationales, avait toute son importance. C’est un domaine important sur le plan sociétal. Nous sommes à l’écoute, et nous pouvons reprendre des idées du Conseil national.

Il y a pourtant eu quelques échanges un peu vifs, notamment lors du vote d’une loi anti-blanchiment, le 16 décembre 2020, pendant lequel les élus ont déploré d’avoir eu trop peu de temps pour travailler sur un texte important pour Monaco ?

Le Conseil national et le gouvernement peuvent toujours améliorer leurs méthodes de travail. Et notamment lorsqu’il s’agit de la préparation d’un projet de loi au niveau du gouvernement. Pour ce texte, nous étions confrontés à une matière extrêmement technique et difficile à aborder. Ce projet de loi a été déposé au début de l’année 2020. Ensuite, l’épisode lié au Covid-19 nous a empêchés de l’examiner. Comme la vie tout court, la vie parlementaire n’est pas un long fleuve tranquille. Les services de l’Etat ont parfois travaillé dans des conditions difficiles, avec des contraintes en termes de temps. Mais je fais confiance aux services de l’Etat pour le travail qu’ils ont effectué.

Sa gestion de la crise du Covid-19

Depuis votre arrivée le 1er septembre 2020, que retenez-vous de l’action de l’Etat face à la pandémie de Covid-19 ?

Il faut que l’action du gouvernement soit permanente et suive l’évolution de la situation pour prendre des mesures adaptées. L’ouverture des salles de sport le 19 décembre 2020, puis leur fermeture le 6 janvier 2021 est un bon exemple. Car, à chaque fois, il faut tenir compte de la réalité qui évolue. Nous devons donc être pragmatiques, à l’écoute, tenir cet équilibre entre la situation économique et la protection sanitaire. Il existe un grand consensus autour de cet équilibre en principauté. En tout cas, plus globalement, je distingue trois périodes depuis septembre 2020.

Quelles sont ces trois périodes ?

Entre mon arrivée début septembre 2020 et la fin du mois d’octobre 2020, nous étions face à une évolution de la situation qui était assez lente. Mais on sentait que le virus était présent, même si c’était dans des conditions très maîtrisées. Après un dialogue avec le Conseil national, nous avons décidé de développer notre politique de tests. Aujourd’hui, nous sommes l’un des pays en Europe où le nombre de tests réalisés est le plus important. Nous avons la capacité de faire plus de 6 000 tests par semaine, ce qui est très important. Ensuite, le port du masque a été imposé dans certains quartiers, plus tôt qu’ailleurs, avant d’être progressivement généralisé à tout le territoire monégasque.

Quelle est la deuxième période ?

A partir de début novembre 2020, on a vu que la situation s’était nettement aggravée dans certains pays européens, et notamment en France, où un certain nombre de mesures ont dû être prises. De notre côté, nous avons aussi décidé de prendre une série de mesures qui nous ont semblé adaptées au territoire de la principauté. Nous avons enregistré une croissance assez rapide de l’épidémie, avec un nombre de personnes hospitalisées et en réanimation à la hausse. Puis, à partir du 15 novembre 2020, la situation s’est détendue.

C’est la troisième période ?

Vers le 15 décembre 2020, nous sommes arrivés à une situation qui était beaucoup plus maîtrisée, avec un nombre très limité de personnes en réanimation et de contaminations. Mais depuis la mi-décembre 2020, nous sommes à nouveau dans une phase de progression de l’épidémie de Covid-19. Depuis quelques jours [cette interview a été réalisée le 7 janvier 2021 — N.D.L.R.], nous avons un nombre important de cas positifs relevés chaque jour. Depuis le 4 janvier 2021, nous avons aussi une augmentation du nombre de personnes placées en réanimation au centre hospitalier princesse Grace (CHPG). Cela nous a amenés à annoncer de nouvelles mesures le 5 janvier 2021 [de nouvelles mesures, dont un couvre-feu à 19 heures au lieu de 20 heures, ont été annoncées le 9 janvier 2021, lire notre article par ailleurs — N.D.L.R.].

Qu’avez-vous décidé ?

Nous sommes revenus sur ce qui avait été décidé le 15 décembre 2020, avec la réouverture des salles de sport. Les salles de sport sont à nouveau fermées en principauté depuis le 6 janvier 2021. Cela nous a été recommandé, notamment par des médecins. Car dans une salle de sport, on transpire beaucoup, beaucoup d’air circule, et il y a aussi beaucoup de ventilation.

Fin novembre 2020, le taux d’incidence (1) était autour de 70, et les salles de sport sont restées fermées, puis ce taux était à plus de 113 le 14 décembre 2020, lorsqu’il a été décidé de rouvrir les salles de sport : comment expliquer ce problème de temporalité ?

Il est toujours possible de dire cela, a posteriori. Je ne pense pas, et loin de là, que la réouverture des salles de sport soit la seule explication de la remontée en flèche du nombre de contaminations au Covid-19. Mais aujourd’hui, au vu de la situation dans laquelle nous sommes, la fermeture des salles de sport me semble une mesure indispensable.

Pourtant, certains responsables de salles de sport de la principauté restent dans l’incompréhension, et rappellent que depuis le début de la pandémie de Covid-19, en février 2020, il n’y a pas eu de cluster, ni même de contaminations dans leurs établissements ?

Je comprends la situation des patrons de salles de sport à Monaco. Sur le plan économique, nous sommes à leur écoute pour les aider. Mais on ne sait pas. Peut-être qu’il y a eu des contaminations dues à la fréquentation des salles de sport. Nous n’avons pas de preuves, ni dans un sens, ni dans un autre. On imagine des situations qui présentent le plus de risques, et on en tire des conclusions.

Les restaurants de Monaco sont menacés de fermeture totale ?

Pour les restaurants, nous avons progressivement fait évoluer les choses. Le 31 décembre 2020, il y a d’abord eu une limitation, car nous craignions alors un afflux de population extérieure à Monaco. Ce jour-là, l’accès à la principauté a été restreint aux personnes qui avaient une réservation dans un hôtel monégasque. Ensuite, l’usage des restaurants de la principauté a été réservé aux résidents de Monaco, ou à celles et ceux qui travaillent en principauté. Si la situation continue à s’aggraver, nous serons peut-être amenés à prendre d’autres mesures. Rien ne doit être exclu. Ce qui ne signifie pas que c’est une option qui sera retenue. Tout dépend de l’évolution de la situation [Depuis le 11 janvier 2021, le couvre-feu a été ramené de 20 heures à 19 heures, les restaurants sont donc fermés en soirée au moins jusqu’au 27 janvier 2021, lire notre article par ailleurs — N.D.L.R.].

Quelles autres mesures pourraient être prises ?

Je ne peux pas vous le dire encore.

Vous avez identifié d’autres vecteurs de contamination au Covid-19 ?

Depuis le 15 décembre 2020, les contaminations ont aussi été provoquées par des apports de populations extérieures à la principauté. Il n’y a donc pas que les résidents. Il y a aussi les personnes qui peuvent venir à Monaco, et pour lesquelles on ne maîtrise pas leur vaccination. Il y aura peut-être là des choses à inventer.

Pierre Dartout, ministre d’Etat © Photo Iulian Giurca – Monaco Hebdo.

« Il y a aussi les personnes qui peuvent venir à Monaco, et pour lesquelles on ne maîtrise pas leur vaccination. Il y aura peut-être là des choses à inventer »

Selon l’Imsee et sa publication Monaco en chiffres 2020, il y avait très exactement 2 795 Britanniques installés en principauté : craignez-vous un risque d’importation du variant britannique du Covid-19 ?

Tout est possible. Sur ce sujet, Monaco est lié aux mesures prises par la France. La France a pris des mesures très strictes de limitation des déplacements en provenance du Royaume-Uni, notamment à l’aéroport de Nice. A ce jour [cette interview a été réalisée le 7 janvier 2021 — N.D.L.R.], à ma connaissance, il n’y a pas eu de cas de variant britannique à Monaco.

Aujourd’hui, la situation est-elle pire que le 17 mars 2020, lorsque le prince Albert II a annoncé un confinement à Monaco ?

Je n’ai pas la référence précise sur les chiffres du mois de mars 2020. En réanimation, on n’en est pas encore à la situation de mars 2020, mais on peut s’en approcher. Sur le nombre de contaminations, les statistiques ne sont plus tout à fait les mêmes, puisqu’elles ont été affinées depuis. De plus, aujourd’hui, nous sommes dans une situation où le port du masque est obligatoire. Ensuite, pour expliquer la hausse du nombre de cas positifs, il faut rappeler que nous faisons beaucoup plus de tests aujourd’hui qu’en mars 2020. A l’époque, j’étais à Marseille, et les tests étaient alors réservés à un nombre de personnes très limité. En faisant plus de 6 000 tests par semaine, inévitablement, cela débouche sur une augmentation du nombre de personnes positives.

Le reconfinement est un scénario que vous étudiez ?

Nous n’écartons, ou ne retenons, aucun scénario a priori. On se donne encore quelques jours pour voir comment évolue la situation. S’il y a aggravation de cette situation, ou persistance d’une situation problématique, il ne faut pas exclure des mesures de durcissement. Cela ne veut pas nécessairement dire confinement. Différentes autres mesures peuvent être envisagées.

Les comportements individuels doivent changer ?

Personne n’est à l’abri du Covid-19. De temps en temps, je fais mon auto-critique et je me dis que je n’ai peut-être pas été suffisamment prudent dans telle ou telle circonstance. Tout le monde doit faire attention. C’est vraiment fondamental. Par exemple, j’observe que beaucoup de contaminations se sont déroulées en milieu familial, à la suite des rassemblements liés aux fêtes de Noël et du 31 décembre. Il faut que nous soyons responsables, précautionneux, et que nous nous donnions les armes pour résister à ce virus.

En 2021, l’enjeu dans cette crise sanitaire, c’est la vaccination : comment convaincre 75 % de la population de la principauté de se faire vacciner pour atteindre l’immunité de groupe, alors que la défiance reste forte face à ces vaccins anti-Covid-19 ?

J’espère que les volontaires à la vaccination contre le Covid-19 seront le plus nombreux possible. Comme le monde entier attend ces vaccins, la question du nombre de vaccins que l’on peut avoir se pose, ainsi que du calendrier de réception des doses de vaccins. Atteindre 75 % de la population vaccinée contre le Covid-19 pendant l’année 2021, pourquoi pas ?

Quel est le calendrier ?

Même si nous avons quelques idées, je préfère ne pas fixer un objectif précis pour l’instant. Mais si à la fin du premier semestre 2021 on a réussi à vacciner la moitié, ou plus, de la population en principauté, ce sera quelque chose de très bien.

La vaccination va donc nécessiter beaucoup de temps ?

La vaccination contre le Covid-19 n’est pas obligatoire, c’est un choix. Mais nous recommandons très vivement de se faire vacciner. Nous faisons tout pour avoir les doses de vaccins nécessaires le plus vite possible. Nous avons ouvert un centre de vaccination à l’espace Léo Ferré, il y aura également le centre hospitalier princesse Grace (CHPG) et des équipes mobiles pour les personnes qui ne peuvent pas se déplacer. Il faudra plusieurs mois pour réussir la vaccination du nombre le plus important de personnes en principauté.

Mais il sera sans doute très difficile de parvenir à convaincre une partie de la population, notamment les anti-vaccins ?

Je ne suis pas médecin, mais j’écoute les médecins. Or, les médecins disent que, pour l’instant, tous les tests réalisés sur les deux vaccins autorisés actuellement en Europe, à savoir Pfizer et Moderna, sont efficaces, notamment pour les personnes les plus vulnérables. Les effets secondaires sont extrêmement limités. Ces effets secondaires peuvent être rencontrés avec toute forme de vaccins. Quand on se fait vacciner contre la grippe saisonnière, une petite partie de la population peut avoir quelques effets, en termes de douleurs au bras où l’on se fait vacciner, un peu de fièvre, quelques maux de tête, un peu de fatigue… Mais ça ne va pas au-delà.

Vous allez vous faire vacciner contre le Covid-19 ?

Quand ce sera mon tour, c’est-à-dire quand les gens de la tranche d’âge à laquelle j’appartiens pourront être vaccinés, je le ferai sans hésitation.

Les essais ont montré l’efficacité des vaccins contre le Covid-19, mais on ne sait pas encore s’ils peuvent bloquer la contamination vers d’autres personnes : c’est un point d’inquiétude ?

Plus nous serons nombreux à être vaccinés, moins les risques de développement d’épidémie existeront, et moins les capacités de notre système de santé seront sollicitées. Mais ce n’est pas parce que nous serons vaccinés que nous pourrons enlever le masque. Tant qu’il n’y a pas d’éclairage précis pour savoir si oui ou non on reste contagieux même après avoir été vacciné, il faut bien évidement garder des précautions.

Y aura-t-il à Monaco comme en France un bilan quotidien des vaccinations ?

Nous ferons un bilan hebdomadaire du nombre de vaccinations contre le Covid-19. Cela pourrait débuter dans le courant de la semaine du 11 janvier 2021.

Budget de l’Etat pour 2021

Le budget de l’Etat pour 2021 prévoit un déficit de 114,5 millions d’euros : cela était vraiment inévitable ?

En 2020, nous étions dans une année totalement hors normes. En 2021, les choses seront aussi un peu hors normes, même si ce sera peut-être moins qu’en 2020. En 2020, nous avons dû faire face à une situation dans laquelle on manquait de repères. Nous étions un peu dans le brouillard. Une décision courageuse a été prise par le prince Albert II, le gouvernement et le Conseil national, avec un premier budget supplémentaire qui a été voté en avril 2020, avec environ 500 millions d’euros de déficit. Finalement, il y a eu moins de dépenses que ce que l’on pensait, et pas mal de recettes en plus. Donc la situation s’est améliorée. Résultat, le déficit a été mieux maîtrisé, sans gêner les dépenses en faveur des salariés et de l’économie : aides sociales, chômage total temporaire renforcé (CTTR), plan de relance en faveur de l’économie, exonération des charges sociales… Le déficit exact sera connu en janvier ou février 2021.

Alors que la pandémie de Covid-19 se poursuit, ce déficit pourrait-il être revu à la hausse, en décembre 2021 ?

Cela dépend de plusieurs facteurs. Ce déficit prévisionnel de 114,5 millions d’euros peut être revu à la hausse ou à la baisse. Si nous avons davantage de rentrées fiscales que prévu, parce que la situation économique globale s’améliore un peu plus vite, si les grands événements peuvent se tenir normalement… L’une des raisons pour lesquelles le déficit est moins élevé que prévu, c’est parce que certaines activités économiques ont perduré au cours de l’année 2020, notamment le commerce et la restauration.

Mais le Grand Prix de Monaco 2021 pourrait se dérouler sans aucun spectateur ?

Pour l’instant, toutes les hypothèses existent. Pour le moment, la situation ne permet pas de dire ce qu’il va se passer dans les mois qui viennent. Nous sommes encore dans l’inconnu. Mais il est vrai que le Grand Prix de Monaco, comme les Masters de Monte-Carlo, ou d’autres manifestations en principauté, ont un impact économique très important.

Le CTTR pourrait-il être prolongé jusqu’à fin 2021, si la situation l’exige ?

Le CTTR est prolongé jusqu’à fin mars 2021. Si c’est nécessaire sur le plan économique, nous n’excluons pas de le prolonger.

Le gouvernement a transformé une proposition de loi du Conseil national sur la clôture budgétaire en projet de loi : les finances publiques seront-elles enfin plus lisibles, comme le réclament les élus ?

Il faut réfléchir à une réforme de la nomenclature budgétaire et de la méthode pour l’engagement des dépenses. La France a connu une révolution budgétaire il y a quelques années. En principauté, il faut également réfléchir à une plus grande efficacité de la dépense, ce qui passe certainement par une meilleure gestion budgétaire. Nous travaillons actuellement sur ce sujet. La proposition de loi faite par le Conseil national a été étudiée, et j’ai répondu que nous allions transformer ce texte en projet de loi. On ne reprendra pas tout, mais un certain nombre de choses pourront être reprises. Pour l’instant, je n’en dis pas plus, car, ce projet de loi n’a pas encore été communiqué au Conseil national, et il n’a pas fait l’objet de tous les arbitrages, et notamment de la validation du prince Albert II.

Pierre Dartout, ministre d’Etat © Photo Iulian Giurca – Monaco Hebdo.

« Le CTTR est prolongé jusqu’à fin mars 2021. Si c’est nécessaire sur le plan économique, nous n’excluons pas de le prolonger »

Grands travaux

Le programme triennal d’équipements du gouvernement affiche trois lignes à plus de 400 millions d’euros, avec le futur centre hospitalier princesse Grace (CHPG), le plan numérique et les chantiers de Testimonio 2 et 2 bis : en pleine crise sanitaire, ces investissements sont aussi un message envoyé par le gouvernement ?

Absolument. D’une façon générale, la règle en économie budgétaire, c’est que les économies doivent être faites sur les dépenses de fonctionnement, plutôt que sur les investissements. Par exemple, le logement crée des richesses, de l’activité pour les entreprises du BTP, et cela répond aussi à une forte demande sociale à Monaco. Compte tenu du prix du foncier en principauté, il faut permettre aux Monégasques de vivre ici dans des conditions satisfaisantes au niveau du confort et du prix du logement. C’est une priorité à laquelle tient tout particulièrement le prince Albert II. Bien évidemment, nous ne négligerons pas cette priorité, et nous ne la sacrifierons pas sur l’autel de l’économie budgétaire. C’est une dépense qui est essentielle sur le plan économique et sur le plan de la cohésion sociale.

Le plan national de logement pour les Monégasques pourrait-il être ralenti par la crise sanitaire ?

Non. En 2021, le plan national de logement pour les Monégasques est d’ailleurs doté d’un budget de 200 millions d’euros.

Dépossédés du projet de logements offert par la Villa Ida qui leur était destiné au départ, les Français de Monaco ont de plus en plus de mal à se loger en principauté : que compte faire le gouvernement pour les aider ?

J’ai un peu découvert la problématique des enfants du pays lors de la session de décembre 2020 au Conseil national. J’ai été sensible aux arguments de l’élu Jean-Louis Grinda sur ce sujet. Les enfants du pays sont exposés aux mêmes difficultés de logement que les Monégasques. C’est donc un dossier sur lequel je souhaite approfondir la réflexion au cours des semaines qui viennent. Je compte avoir un dialogue avec les différentes parties concernées.

L’élu Union Monégasque (UM), Jean-Louis Grinda, souhaiterait que la promesse des 30 appartements réservés aux enfants du pays soit tenue d’ici la fin de mandat de la majorité de Stéphane Valeri en 2023 : cela est-il possible ?

Je ne veux pas me prononcer de façon trop rapide. Et je ne veux pas dire des choses que l’on ne pourra pas tenir. Je le répète : je suis très sensibilisé à cette question, et j’ai noté la pertinence de la remarque faite à ce sujet par Jean-Louis Grinda.

Plan social à la SBM

A quoi est dû le plan social actuellement en cours à la Société des bains de mer (SBM) ?

Historiquement, la SBM est un élément essentiel de la vie économique, sociale et culturelle de la principauté. Au XIXème siècle, l’attractivité de Monaco est née du casino et de l’hôtel de Paris. Il faut se souvenir de ça. La SBM est une entreprise qui n’est pas comme les autres. Même si elle est majoritairement détenue par l’Etat monégasque, cette entreprise doit être gérée comme toute entreprise : elle doit veiller à sa bonne rentabilité. Car, au capital de la SBM, il y a aussi des actionnaires privés. Depuis de nombreuses années, on voyait bien que des secteurs avaient plus de difficultés que d’autres sur le plan économique. Il a donc fallu en tirer un certain nombre de conséquences. C’est vrai aussi que la crise liée au Covid-19 a agi comme un facteur de forte accélération de problèmes qui se posaient avant le coronavirus.

Ce plan social aurait-il pu être évité sans la pandémie de Covid-19 ?

Je ne suis pas sûr que le plan social de la SBM aurait pu être évité sans la pandémie de Covid-19. Les chiffres sur l’hôtellerie, la restauration et les jeux sont suffisamment éloquents cette année, même si fin 2020 il y aura sans doute un mieux lié aux mesures qui ont été prises. Mais, en dehors de Monaco, de grandes entreprises qui travaillent sur les mêmes thématiques sont en très grande difficulté. Et elles ont lancé des plans sociaux beaucoup plus durs que celui de la SBM.

Quel est le rôle du gouvernement dans ce dossier sensible ?

A l’heure actuelle, des discussions sont en cours entre la direction et le personnel. Nous sommes bien sûr très à l’écoute à la fois de la direction et des salariés qui ont été reçus régulièrement par le conseiller-ministre pour l’économie et les finances et le conseiller-ministre pour les affaires sociales et la santé. Le prince Albert II, lui-même, suit avec la plus grande attention l’évolution de ce dossier. Je pense qu’il y aura du nouveau dans les semaines qui viennent.

Mais la situation semble très tendue entre la direction et les syndicats ?

Une certaine forme de dialogue demeure. Un plan social, c’est difficile, c’est évident. Ce n’est pas un long fleuve tranquille. Mais nous sommes à l’écoute des deux parties. Compte tenu du nombre de salariés, près de 4 000, dont beaucoup de Monégasques, c’est un sujet très sensible et emblématique de la principauté.

Début décembre 2020, le président-délégué de la SBM, Jean-Luc Biamonti, a expliqué dans la presse qu’il avait dû négocier un crédit pour pouvoir payer les salaires : ça vous inquiète ?

Ça ne m’inquiète pas. Cela veut simplement dire que cette entreprise est confrontée à des défis qui sont importants. Et aujourd’hui, la gestion doit se faire dans des conditions qui sont difficiles. Donc cela traduit, c’est vrai, un certain nombre de difficultés pour l’exploitation de cette entreprise, qui ne doivent pas être négligées.

Vous intervenez dans ces négociations pour tenter de rapprocher les points de vue entre direction et syndicats ?

Les deux conseillers-ministres les plus concernés ont reçu les délégations syndicales. Le gouvernement est donc en contact avec les syndicats. Il m’arrive d’avoir des contacts avec Jean-Luc Biamonti. Je ne vais pas vous le cacher. C’est vraiment un dossier que nous suivons de très près.

Au moins 189 départs volontaires ont été négociés par la direction de la SBM, et Jean-Luc Biamonti estime désormais à « quelques petites dizaines » les départs contraints : ce scénario vous semble-t-il réaliste ?

Je n’ai ni à valider, ni à invalider ces chiffres. Ces chiffres sont à discuter dans le cadre des négociations entre la direction et les syndicats. Pour l’instant, je n’ai pas à en dire plus.

Jean-Luc Biamonti souhaite parvenir à un accord autour de ce plan social d’ici le 31 mars 2021 : cela vous semble possible, alors que, pour le moment, les points de vue semblent très éloignés entre syndicats et direction ?

Jean-Luc Biamonti a fixé un objectif réaliste. Il faut donc espérer qu’un accord soit trouvé sur ce plan social avant le 31 mars 2021.

1) Le taux d’incidence correspond au nombre de cas positifs au Covid-19 enregistrés sur les 7 derniers jours, rapporté à 100 000 habitants.

Vidéo : Pierre Dartout nous expose la stratégie et les objectifs du gouvernement monégasque sur la vaccination

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