jeudi 28 mars 2024
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Les petits États d’Europe réunis à Monaco face aux défis de notre époque

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Monaco a accueilli la quinzième conférence des présidents de parlements des plus petits États européens, du 12 au 14 juin 2022. Les parlementaires ont débattu sur l’attractivité des petits États, les enseignements de la crise Covid, et la place des femmes en politique. Avant de signer une déclaration commune, pour que leurs liens perdurent.

Hospitalité. S’il fallait résumer cette quinzième conférence des présidents de parlements des plus petites nations d’Europe à Monaco, ce serait peut-être ce mot, employé par le prince Albert II, au moment d’accueillir les huit homologues de Stéphane Valeri, président du Conseil national lundi 13 juin 2022. « C’est une vocation particulière de la principauté, qui est celle de l’accueil et de l’hospitalité, dans tous les sens du terme. C’est autour de l’hospitalité que s’est construit le modèle économique et social monégasque. Une clé de notre développement et de notre attractivité », a ainsi déclaré le souverain, devant l’hémicycle, aux côtés des président(e)s et représentant(e)s des parlements de la principauté d’Andorre, de la République de Chypre, de la République d’Islande, de la principauté du Liechtenstein, du grand-duché du Luxembourg, de la République de Malte, du Monténégro et de la République de Saint-Marin. Des États aux territoires modestes, mais dont les modèles politiques diffèrent de Monaco : « Nos institutions présentent des spécificités qui ont survécu à l’appel du temps, en satisfaisant constamment les besoins de la société monégasque. Nous concilions en effet, dans l’harmonie et la sérénité, le principe monarchique, qui nous vient de la tradition, et le principe électif, qui fait de Monaco une démocratie. L’élection d’une assemblée législative et budgétaire au suffrage universel a été mise en place par mon aïeul, le prince Albert 1er. La constitution qu’il octroya alors à ses sujets fit entrer Monaco dans la famille des États de droits. » La boucle se poursuit, seize ans après la première conférence du genre, qui s’était déroulée en principauté, en 2006, tout comme la dixième. L’idée avait été proposée par Stéphane Valeri en 2005, au siège de l’ONU, à New York, à l’occasion de la conférence mondiale des présidents de parlements, pour inviter ses homologues à échanger sur des thèmes en commun.

« Nous avions constaté que nous étions confrontés à de nombreuses problématiques communes, et que nous pouvions nous enrichir des expériences vécues et des solutions appliquées par chacun de nos pays »

Stéphane Valeri. Président du Conseil national

Trois thèmes, trois objectifs

Si elle revêtait un rôle principalement honorifique de prime abord, cette quinzième conférence s’est tout de même conclue par du concret. Entre tables rondes et conférences, les délégations des neuf États, dont Monaco, ont échangé et débattu sur trois thèmes, avant de signer une déclaration commune, pour inscrire dans le marbre leurs engagements communs pour l’avenir [à ce sujet, lire notre encadré en fin d’article — NDLR]. Les délégations ont en effet débattu sur l’attractivité des petits États, les enseignements de la pandémie de Covid-19, et la place des femmes dans la vie politique et sociétale des différents pays. À ce sujet, la principauté a invité lors de cette conférence Marie-Virginie Klein, qualifiée comme experte des opinions publiques, et directrice générale du cabinet Tilder, afin de connaître les « secrets de fabrique » des nouvelles dirigeantes économiques, politiques, et sociétales. À noter que, sur les neuf représentants et présidents de parlements des petits États, cinq étaient des femmes. Parmi elles, la délégataire de Saint Marin, Carlotta Andruccioli, 25 ans, a été élue au parlement, à seulement 22 ans. Pour se faire entendre, les délégataires misent donc sur leur union sur ces trois thèmes débattus. D’autant que, comme l’a rappelé Stéphane Valeri dans son discours d’introduction, « les neuf parlements réunis ont plus de représentants et donc de voix, à l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, qu’un grand pays. » Ce n’est donc pas la taille qui compte : « Nous avions constaté que nous étions confrontés à de nombreuses problématiques communes et que nous pouvions nous enrichir des expériences vécues et des solutions appliquées par chacun de nos pays […]. D’une manière générale, nous souhaitons que cette manifestation permette aussi dans les années futures, le développement des relations économiques entre les entrepreneurs de nos neuf États. »

« Aujourd’hui nous nous dirigeons vers une économie de la connaissance, et les petits états que nous sommes doivent réussir à créer un environnement propice à l’innovation »

Frédéric Genta. Chargé de l’attractivité de Monaco

Attractivité économique

À propos de ces relations économiques entre les entrepreneurs, le Monaco Economic Board (MEB) a organisé des rencontres entre les délégations et les représentants de la vie économique de la principauté, dans l’idée de vanter les opportunités économiques possibles entre les États et Monaco. Jean Castellini, conseiller-ministre pour les finances et l’économie a aussi donné sa « recette » d’une économie adaptée aux petits États, en trois points : la gestion des finances publiques, la régulation, et la réputation. « Qu’elle que soit la taille de nos territoires, chacune de ces dimensions est clé. Pour être souverain et indépendant quand on est un petit État, il faut porter une attention plus que soutenue à ses équilibres budgétaires. Pour notre indépendance, il est clé que nous soyons économiquement et financièrement, le plus possible, pour être maîtres de notre destin. Nous savons qu’à tout moment, la situation internationale peut mettre à mal cet équilibre. » Les petits États étant généralement dépendants de niveaux de taxation des plus grands, comme la France pour Monaco, le conseiller-ministre a rappelé l’importance, selon lui, d’entretenir un cadre vertueux pour « continuer à attirer les bonnes personnes qui génèrent des ressources, des touristes et des investisseurs qui créeront des entreprises et généreront de l’emploi ». Preuve que l’indépendance des petits dépend de leur économie. Économie qui évolue, comme l’a rappelé Frédéric Genta, chargé de l’attractivité de la principauté : « Aujourd’hui, nous nous dirigeons vers une économie de la connaissance et les petits-États que nous sommes doivent réussir à créer un environnement propice à l’innovation, à l’attraction et la rétention des talents sans pour autant affecter leur économie traditionnelle. » Prochain rendez-vous en 2023 au grand-duché du Luxembourg, qui a proposé d’accueillir cette réunion annuelle, puis en 2024 à Chypre.

Parlements des petits états d’Europe : comment maintenir l’union ?

Réunis en conférence de presse à l’issue de la conférence du lundi 13 juin 2022, les président(e) s et représentant(e) s des petits États ont répondu à Monaco Hebdo au sujet de leur union. Face aux défis climatiques et géopolitiques notamment, comment maintenir leurs bonnes relations, et éviter le délitement, alors que les points de vue et les politiques diffèrent parfois selon les majorités des États ? Au sujet de la guerre en Ukraine, le problème ne se pose pas, selon Stéphane Valeri, alors que le sujet était à l’ordre du jour de cette quinzième conférence : « Nous partageons des valeurs démocratiques communes, et nous sommes attachés à l’État de droit. Dans notre déclaration finale, face à la guerre en Ukraine, nous rappelons qu’un pays en a envahi un autre, tout en appelant à la recherche d’une solution pacifique. Nous ne pouvons pas mettre l’agresseur au même niveau que l’agressé. Il n’y a aucune nuance sur cette position. Le paragraphe que nous avons écrit à ce sujet a d’ailleurs été très réfléchi : nous parlions au départ de « conflit », mais ce terme aurait laissé penser que les deux pays évoluaient sur le même plan. » Pour le défi climatique, « ce n’est pas à l’échelle de nos petits pays que l’avenir du monde se joue mais, pour autant, chaque exemple est important. Et chaque comportement d’être humain est important, a répondu Stéphane Valeri. Et je ne pense pas qu’il y ait de problème politique ou d’approche différente entre nos nations. Par contre, les contraintes économiques ne sont pas les mêmes dans chaque pays, l’objectif est donc d’aller vers une économie durable, dans la limitation autant que possible des accords internationaux sur la protection de la planète que le prince Albert s’est engagé à respecter, comme la suppression du plastique et la limitation de 55 % des émissions de CO2. C’est un thème très important, et nous avons inscrit la nécessité de développer l’économie et le tourisme durable. » Sur ce sujet, la présidente de la chambre représentative de Chypre, Annita Demetriou, a été directe : « Il est nécessaire de nous adapter et de nous accorder aux accords internationaux. En revanche, nous ne parlons plus de changement climatique, mais de crise climatique. Le temps nous manque et nous devons adapter de plus en plus nos économies aux politiques vertes. Nous devons préserver notre nature et notre climat. Le seul moyen d’y parvenir, c’est de mener une transition verte à travers notre économie et les phénomènes que nous traversons. » Avis partagé par la benjamine de cette conférence, Carlotta Andruccioli, 25 ans, de la République de Saint Marin : « Face au défi que représente le climat, nous pouvons et nous devons, avant les autres États, et grâce à notre petite taille, entamer la transition écologique. Nous sommes parfois sous-estimés, mais notre taille permet de nous adapter avec plus de flexibilité que d’autres nations, car les institutions sont souvent réticentes à réguler. Nous devons investir dans les technologies qui permettront à nos entreprises d’améliorer leur compétitivité et leur attractivité dans cette transition. » Et rien de mieux qu’une union régionale, comme cette réunion des neuf parlements, pour « être entendus et combattre ensemble sur de telles thématiques », comme l’a conclu Danijela Durovic, présidente du parlement du Monténégro.

Parlements des petits états d’Europe : la déclaration finale

À l’issue de la quinzième conférence des présidents de parlements des petits États européens, les délégataires ont adopté, lundi 13 juin 2022, une déclaration finale sur les trois grands thèmes débattus.

Attractivité : Concernant l’agilité et l’attractivité des petits États d’Europe dans le développement économique et touristique, les délégataires soulignent que, « loin d’être un handicap, la taille modeste de leur pays leur permet d’évoluer et de s’adapter avec beaucoup plus de souplesse que d’autres nations, en particulier durant les périodes de mutation ou de crise. » Ils affirment également la « nécessité de valoriser leurs atouts, en étant les acteurs de développement économique et touristique de leur pays au travers de leur compétence législative et budgétaire ». Ils reconnaissent leur rôle dans la promotion du développement économique au sein de leurs pays respectifs, « et notamment la nécessité de tenir compte des attentes et besoins légitimes des acteurs économiques. Ils conviennent d’agir pour renforcer leur compétitivité dans un cadre raisonné, respectueux de l’environnement et garantissant la durabilité. »

Place des femmes : Concernant la place des femmes dans la vie politique en tant que présidentes d’exécutifs ou de parlements, capitaines d’industrie, les délégataires constatent qu’elle progresse dans la société, mais que leur rôle reste secondaire dans certains cas. Ils relèvent que les dirigeantes politiques, d’entreprises ou d’organismes publics viennent toutes d’horizons divers. « Elles appartiennent à des générations différentes et partagent le point commun d’avoir osé franchir les obstacles basés sur des questions illégitimes de genre qu’elles rencontraient ». Les délégataires estiment donc qu’il est « indispensable de continuer à faire évoluer les textes et les pratiques et à tout mettre en œuvre pour créer les conditions favorables à l’égalité entre les sexes ». Ils soulignent notamment l’importance de « changer le discours sur les femmes » dans le domaine du “leadership”, par la « sensibilisation et la promotion des modèles féminins » ainsi qu’en « brisant les stéréotypes ». Ils s’engagent ainsi à promouvoir l’égalité des sexes dans les postes de direction et de prise de décision, en soulignant que « l’égalité de représentation est une condition préalable nécessaire au bon fonctionnement de la démocratie ». Ils souhaitent aussi continuer à agir pour renforcer la place des femmes dans les parlements, tant par leur nombre que par les fonctions qu’elles occupent. À cette fin, ils continueront de promouvoir la « sensibilisation des jeunes filles à l’engagement politique et à garantir toutes les conditions adéquates pour ouvrir la voie à un plus grand nombre de femmes » afin qu’elles suivent l’exemple des femmes dirigeantes existantes. Enfin, ils s’engagent à poursuivre cette discussion au sein de leur parlement et à continuer de partager régulièrement leurs expériences respectives.

Crise Covid : Concernant le rôle des parlements des petits États d’Europe dans la crise du Covid-19 et les enseignements pour l’avenir, « les présidentes et présidents de parlement des petits États d’Europe, forts du partage de leurs expériences respectives, soulignent leur contribution essentielle dans le cadre de cette crise, pour en limiter les conséquences à la fois sanitaires, économiques et sociales. » Les délégataires considèrent que la conférence a été l’occasion de « prendre du recul sur cet événement exceptionnel et d’en tirer des leçons pour les prochains défis qui attendent nos pays ». Ils décident d’œuvrer au développement d’une « plus grande résilience et d’une meilleure préparation aux crises à venir, s’engageant à opter pour des politiques axées sur les besoins, les priorités et les attentes des citoyens ». Ils constatent aussi que les enjeux soulevés ont été nombreux et que, plus que jamais, en particulier au sein des petits États d’Europe, « ils ont joué tout leur rôle, à l’écoute de la population, pour accompagner la politique sanitaire de leur pays ». Ils se rejoignent sur l’importance de leur rôle de garants des valeurs démocratiques comme ressource institutionnelle de l’État, « pour accompagner l’action du pouvoir exécutif, dans le respect de la séparation des pouvoirs prévue par la constitution de chaque pays ».

Ukraine : Concernant le conflit opposant l’Ukraine et la Russie, les délégataires ont convenu d’intensifier collectivement l’ensemble de leurs efforts pour explorer toutes les possibilités sur le plan parlementaire, avec les deux pays, afin d’apporter une solution pacifique après l’invasion de l’Ukraine par la Russie.