vendredi 29 mars 2024
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Monaco fait la chasse au sexisme dans ses textes

Publié le

La principauté a revu 12 000 textes juridiques et législatifs, dans un souci de plus grande égalité entre les femmes et les hommes. La séance législative du 5 mai 2022 a permis au Conseil national et au gouvernement de s’unir autour d’une cause qui fait consensus.

C ’est le ministre d’État, Pierre Dartout, qui en a parlé lors de la séance législative qui s’est déroulée au Conseil national dans la soirée du 5 mai 2022. Évoquant les échanges des réunions du comité pour la promotion et les droits des femmes, il a indiqué que, souvent, un grand principe refaisait surface : « L’édifice du droit des femmes [prend] assise sur un chantier toujours vivant », et il est « important, à la fois de consolider ce qui a pu être bâti, et d’en poursuivre la construction ». C’est dans cette perspective que le projet de loi n° 1209 concernant la promotion et la protection des droits des femmes, s’est fixé pour objectif de faire la chasse à toutes les dispositions « obsolètes et inégalitaires » des textes juridiques et législatifs monégasques. Comme l’a expliqué la rapporteure de ce texte, Brigitte Boccone-Pagès, il s’est notamment agi de supprimer des « dispositions relatives à l’ancien régime dotal ou régissant la capacité de la femme mariée », mais aussi d’adapter « des référentiels sémantiques, conduisant notamment à neutraliser ou à bilatéraliser certains énoncés sexués, fondés sur des conceptions aujourd’hui dépassées, en raison des évolutions sociétales ». Le « bon père de famille », a donc été remplacé par l’expression « personne raisonnable ». « Cette substitution terminologique est inspirée de la réforme française, issue de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes », a souligné Brigitte Boccone-Pagès. En revanche, pour des raisons techniques et de sécurité juridique, l’expression « bon père de famille » a été maintenue au sein des dispositions du code civil qui concernent le droit des biens et la gestion, ou l’usage, des biens d’autrui. « Selon la jurisprudence traditionnelle, le « bon père de famille » est donc celui qui agit, dans le cadre de la conservation, de l’administration ou de la jouissance du bien d’autrui, de façon prudente, diligente et avisée, en étant soucieuse des biens, ou des intérêts, qui lui sont confiés, comme s’il s’agissait des siens propres. On remarquera donc que toutes ces qualités ne se retrouvent pas dans la seule action ou gestion « raisonnable »», a justifié la rapporteure.

« Ce texte prend sa source dans les engagements internationaux de Monaco, et plus particulièrement dans le cadre des travaux du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies »

Pierre Dartout. Ministre d’État

« Bon père de famille »

Entre 2019 et 2022, les services de l’État monégasque ont donc passé au peigne fin près de 12 000 textes juridiques et législatifs, afin d’identifier les mots et les expressions devenus obsolètes et/ou sexistes. Résultat, 85 textes et dispositifs ont été l’objet d’une modification ou d’une suppression. « Le projet de loi soumis ce soir au Conseil national est, notamment — mais pas seulement — une œuvre d’actualisation « lexicale » ou « sémantique », destinée à corriger des formulations ou des termes aujourd’hui dépassés », a souligné le ministre d’État, Pierre Dartout. Alors que 19 conseillers nationaux étaient présents (1), 18 ont voté pour. Seul l’élu Priorité Monaco (Primo !), Thomas Brezzo, s’est abstenu. S’appuyant sur l’avis émis par la commission des codes, qui a conseillé de conserver l’expression « bon père de famille » dans certains cas, cet élu estime que « si on veut renforcer l’égalité entre les hommes et les femmes, on ne peut pas uniquement se contenter de supprimer les termes qui font référence au patriarcat. Une réflexion plus importante doit être menée. […] On ne peut pas résumer la notion d’égalité entre les hommes et les femmes à une seule étude étymologique ». Alors que le gouvernement proposait de remplacer le « bon père de famille » par l’adverbe « raisonnablement », Thomas Brezzo a estimé que cela n’était pas « concevable ». Parce que « le « bon père de famille » est une conception juridique universelle, qui existe depuis des siècles, qui est enseignée dans toutes les facultés de droit et qui est connue de tous les juristes. On la définit comme le comportement qu’aurait un individu abstrait — non genré — dans une situation donnée, pour mesurer l’adéquation de la conduite d’un individu concret placé dans cette même situation, afin de déterminer l’existence ou la mesure d’une faute éventuelle. Cette notion a été développée par la jurisprudence ». Expliquant que son vote « de ce soir s’inscrit dans le principe de la sécurité juridique qui doit prédominer dans un état de droit », cet élu Primo ! a répété qu’il ne s’agissait « nullement pour [lui — NDLR] de faire échec à l’évolution du droit des femmes que j’ai toujours soutenue, que je soutiens, et que je continuerai à soutenir dans le futur. » De son côté, reconnaissant qu’il ne s’agit pas du « texte le plus fondamental dans l’histoire de l’évolution des droits des femmes de notre pays », le président du Conseil national, Stéphane Valeri, a évoqué un « progrès essentiellement symbolique », qui constitue tout de même « un pas de plus dans la bonne direction ». Avant d’ajouter : « Les évolutions sémantiques contenues dans ce projet de loi sont pour moi de la même nature que les raisons qui nous ont conduits à féminiser au début de ce mandat, la dénomination du titre de « conseillère nationale ». Cela peut paraître peu important, mais pourquoi obliger une femme qui accède à des responsabilités, à prendre un titre au masculin ? Comme si dans les mentalités de nos sociétés, une femme ne pouvait réussir qu’à travers ce seul prisme masculin. En laissant le choix aux femmes de pouvoir ou non féminiser leur titre, nous contribuons à l’évolution des mentalités, tout comme y contribue aussi ce projet de loi n° 1029. » À ceux qui estiment que le vote de ce texte est anecdotique, Pierre Dartout répond de son côté qu’il « serait trop facile de penser que faire la chasse aux « vestiges normatifs » et aux « fossiles législatifs » est d’une portée de second plan. […] Dans un domaine comme celui des droits des femmes, dans un domaine où il est si souvent des mots qui blessent, qui divisent, qui stigmatisent ou qui érigent des murs, il en est aussi qui peuvent unifier, qui rapprochent et qui bâtissent des ponts. Car les mots ont un sens. » C’est aussi vers l’international que le ministre d’État s’est tourné, estimant que ce « texte prend sa source dans les engagements internationaux de Monaco, et plus particulièrement dans le cadre des travaux du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies ».

« Pourquoi obliger une femme qui accède à des responsabilités, à prendre un titre au masculin ? Comme si dans les mentalités de nos sociétés, une femme ne pouvait réussir qu’à travers ce seul prisme masculin »

Stéphane Valeri. Président du Conseil national

Sages-femmes

Deux autres textes ont été votés à l’unanimité des 19 élus présents, dans la soirée du 5 mai 2022. Le premier permet d’élargir le périmètre des compétences des sages-femmes. Elles sont désormais autorisées à vacciner les personnes de l’entourage de l’enfant, ou de la femme, pendant sa grossesse, et pendant les huit semaines qui suivent l’accouchement. Elles peuvent également prescrire aux femmes, et à leurs partenaires, le dépistage d’infections sexuellement transmissibles, ainsi que les traitements de ces infections. Enfin, la possibilité de prescrire des substituts nicotiniques à l’entourage « ne se limiterait plus, désormais, à la seule période de grossesse, mais serait allongée aux huit semaines qui suivent l’accouchement », a indiqué la rapporteure de ce texte, Marie-Noëlle Gibelli. Pour cette élue Primo !, il faudrait aussi davantage reconnaître le métier de sage-femme, et leur permettre de créer un ordre avec son code de déontologie : « Il faudrait poursuivre la réflexion », a estimé cette conseillère nationale, tout en invitant à maintenir le dialogue avec le gouvernement monégasque sur ce sujet. Pour le moment, les sages-femmes dépendent de l’ordre des médecins. Le nouveau conseiller-ministre pour les affaires sociales et la santé, Christophe Robino, a rappelé « qu’au regard de la démographie de la profession de sage-femme à Monaco — une seule sage-femme exerce son activité en ville en libéral et dix-neuf exercent au centre hospitalier princesse Grace (CHPG) — il était difficilement concevable d’instituer un ordre […]. Dix-neuf sages-femmes sur 20 travaillent pour le même employeur, dans le même service. Pour des raisons humaines évidentes, il paraît difficile de demander à une sage-femme de juger en toute objectivité le comportement professionnel d’une de ses collègues qu’elle fréquente au quotidien. Comment faire respecter dans ce contexte le principe d’impartialité exigé pour toute juridiction disciplinaire ». Du coup, Christophe Robino a proposé une solution médiane : « Rien ne s’oppose à ce que la profession de sage-femme s’organise et crée une association, à l’instar de la majorité des professions de santé, et que cette entité devienne l’interlocuteur privilégié du gouvernement et de l’ensemble des institutions monégasques. Le département, pour ce qui le concerne, encourage les sages-femmes à aller en ce sens et s’engage à les accompagner dans cette démarche si elles décidaient de l’initier. » L’élue Primo ! Michèle Dittlot a insisté, estimant que l’ordre des sages-femmes serait « un organe de référence pour ces professionnels, mais aussi pour les pouvoirs publics et pour les patientes. Car grâce à la mise en œuvre de ses différentes missions, l’ordre offrirait des garanties sur les compétences des sages-femmes. Je vous rappelle qu’en France l’ordre des sages-femmes a été instauré par l’ordonnance du 24 septembre 1945, concomitamment avec l’ordre des médecins et avec l’ordre des chirurgiens-dentistes ». Alors que le Conseil national avait évoqué un possible dépôt d’une proposition de loi sur ce thème, l’idée pourrait donc resurgir très prochainement.

Expliquant que son vote « de ce soir s’inscrit dans le principe de la sécurité juridique qui doit prédominer dans un état de droit », Thomas Brezzo a répété qu’il ne s’agissait « nullement pour [lui — NDLR] de faire échec à l’évolution du droit des femmes »

Dentistes

Enfin, le dernier texte voté à l’unanimité pendant cette soirée législative, concerne la rectification d’une erreur de renvoi à des dispositions répressives concernant « le délit d’usurpation de diplôme et de titre » de la profession de chirurgien-dentiste. La rapporteure de ce projet de loi, Michèle Dittlot, a expliqué que le texte initial renvoyait à l’article 204 du code pénal, qui évoque seulement une usurpation d’identité, et qui prévoit une amende de seulement 1 000 à 2 250 euros. Désormais, le texte de loi fait référence à l’article 203 du code pénal, qui « sanctionne le délit d’usurpation d’un titre et de diplômes attachés à une profession légalement réglementée », celle de dentiste donc. Cet article 203 prévoit des peines beaucoup plus lourdes : de 3 mois à un an de prison, et/ou une amende de 2 250 à 9 000 euros. Ce qui devrait donc être davantage dissuasif.

Promotion et protection des droits des femmes : le texte de loi en chiffres

• 12 000 articles de textes codifiés et non codifiés étudiés

• 56 articles composant le texte de loi qui conduisent à :

• 35 modifications pour le code civil

• 10 modifications du code de procédure civile

• 2 modifications du code de procédure pénale

• 3 modifications du code de commerce

• 13 modifications de textes de natures législatives non codifiées

• 22 dispositions abrogatives

Soit, au total, 85 dispositions et textes impactés par la loi

Source : gouvernement monégasque.

Droits des femmes à Monaco : de 1945 à 2011, les dates clés

1945 : droit de vote et éligibilité pour les femmes monégasques aux élections communales.

1962 : extension de ce droit aux élections nationales.

1992 : égalité pour les mères monégasques dans la transmission de la nationalité à leurs enfants.

2003 : création de la commission des droits de la femme et de la famille au Conseil national.

2003 : vote du texte de loi qui fixe l’égalité entre le mari et la femme dans le mariage, qu’il s’agisse de leurs droits et devoirs, ou de l’exercice de l’autorité parentale. Ce texte supprime dans le code civil la notion de « puissance paternelle », pour le remplacer par l’autorité parentale.

2009 : vote du texte de loi sur l’interruption médicale de grossesse.

2011 : vote du texte qui établit l’égalité entre les femmes et les hommes monégasques, concernant la transmission de la nationalité monégasque par le mariage. Grâce à ce texte, les femmes monégasques transmettent leur nationalité monégasque, au même titre que les hommes.

1) Béatrice Fresko-Rolfo (Horizon Monaco), José Badia (Priorité Monaco), Jacques Rit (Priorité Monaco), et Guillaume Rose (Priorité Monaco) étaient absents lors de cette séance législative du 5 mai 2022.