Outre le très attendu contrat de vie commune, deux autres projets de lois ont été votés au cours de la seconde séance publique législative de cette fin d’année, mercredi 4 décembre.

Il s’agit des projets de lois relatifs à l’économie et l’identité numérique.

Un nouveau pas a été franchi dans la transition numérique mercredi 4 décembre 2019 avec le vote à l’unanimité de deux projets de lois relatifs au numérique. Le premier, n° 994, concernait l’économie numérique. Voté peu avant 23h45 à l’unanimité des 21 conseillers nationaux présents [Franck Lobono, malade, a quitté la séance à l’issue du vote du projet de loi relatif aux contrats civils de solidarité — N.D.L.R.], le projet de loi relative à l’économie numérique « s’inscrit dans le programme Extended Monaco qui vise, notamment, grâce au développement du numérique, à offrir un nouveau cycle de prospérité économique et à augmenter la valeur du service public », a rappelé le rapporteur Priorité Monaco (Primo !) Franck Julien. Il s’agit d’une mise à jour de la loi de 2011. Le deuxième, n° 992, voté peu après une heure du matin, est intimement lié au précédent puisqu’il concerne lui l’identité numérique.

Dématérialisation

« L’ère digitale constitue pour notre pays, un pays de petite dimension géographique, pour sa législation et pour son dynamisme économique, un enjeu formidable, un défi à relever, un exemple à construire », a déclaré le président du Conseil national, Stéphane Valeri, en préambule de son intervention. Avec le vote à l’unanimité de ces deux projets de lois ainsi que de la proposition de loi n° 246 relative à l’utilisation d’un dispositif d’enregistrement numérique sur un registre partagé pour les titres de sociétés non cotées (voir encadré ci-après), la principauté poursuit donc sa « révolution numérique » en rapprochant « la population des décideurs publics » et en facilitant « les relations des usagers avec les services de l’administration, en simplifiant les démarches par leur digitalisation ».

Du service public, il en est clairement question dans ces projets de lois n° 994 et 992 puisque ces derniers consacrent notamment la dématérialisation, la signature et cachet électroniques, ou encore l’identité numérique. Concernant la dématérialisation, Franck Julien a tenu à rappeler le retard pris par la principauté dans ce domaine : « Même si Monaco se situe désormais, selon l’ONU, dans la moyenne des pays mondiaux en matière de dématérialisation de services, cela reste inférieur à la moyenne européenne, et surtout bien inférieur à ce que nous pouvons attendre d’un pays aussi moderne que la principauté de Monaco ». Avec le vote du projet de loi n° 994, les choses évoluent donc dans le bon sens, car comme l’a justement détaillé le ministre d’État, Serge Telle : « La loi consacre notamment la valeur probante du cachet électronique, qui vient en complément de la signature électronique. Cela permettra de signer des contrats sans les imprimer et sans se déplacer, mais également de favoriser l’archivage électronique et la dématérialisation des documents probants, tels que les bulletins de paie […] qui représentent aujourd’hui environ 3,4 tonnes de papier par an à Monaco ».

Économie de papiers et d’espaces

Car c’est là l’un des enjeux de la dématérialisation. Outre la facilitation des démarches administratives grâce à la signature et au cachet numériques qui vous éviteront de vous déplacer physiquement, la dématérialisation permet de faire incontestablement des économies de papier comme l’ont justement souligné les élus nationaux lors de leurs différentes interventions.

La dématérialisation permet aussi des gains d’espaces, car les documents seront non plus stockés dans des bureaux, caves… mais dans des coffres-forts électroniques comme l’a expliqué le ministre d’État : « Le vote de ce projet de loi aura également pour effet de stimuler encore plus l’écosystème numérique en principauté, en permettant à des entreprises monégasques de développer des offres de service comme l’archivage numérique, le coffre-fort numérique ou la dématérialisation de certains procédés ». Si les arguments « écologiques » sont recevables, ils ne doivent toutefois pas faire oublier l’énergie générée pour le stockage numérique de ces données.

« La copie fiable a la même force probante que l’original »

Autre point majeur des projets de lois relatifs au numérique, votés mercredi : « Les documents électroniques, les documents dématérialisés auront la même force probante qu’un original papier », a annoncé le rapporteur Franck Julien : « Nous cassons ainsi l’un des dogmes les plus puissants de l’administration monégasques où « seul l’acte original papier peut faire foi » ». La copie numérisée d’un document aura donc la même valeur que le document lui-même, le texte lui reconnaissant désormais une valeur juridique.

Les votes des projets de lois n° 994 et 992 représentent donc un nouveau pas dans la transition numérique souhaitée par le gouvernement princier, et notamment dans la “smart city”, pour laquelle « Monaco veut, peut et doit devenir l’un des pionniers en la matière », selon Stéphane Valeri. Un concept qui suscite d’ailleurs un réel enthousiasme dans les rangs de la représentation nationale. À l’image de José Badia, élu Primo !, qui n’a pas hésité à prendre en exemple un récent incident survenu en principauté pour vanter les « mérites » de la smart city : « Tout dernièrement, la principauté a été victime d’un épisode dit « méditerranéen », qui s’est soldé par un important coup de mer au Larvotto et un fâcheux accident lors de la No Finish Line […]

Au sein de la “smart city”, l’anticipation d’un tel événement aurait pu être facilitée. Les données d’intérêt général fournies et engrangées au sein du « lac de données », puis traitées au moyen d’algorithmes d’intelligence artificielle, auraient permis — sans nul doute — la détection de la gravité de la situation en devenir. Aussi, le suivi de son évolution aurait-il pu en être simplifié, l’information des populations concernées adaptée et les diverses interventions des forces publiques plus aisément planifiées ».

La sécurité et la protection des données au cœur des débats

Si certains se montrent donc dithyrambiques au sujet de la “smart city” et de la « révolution numérique » qui s’opère actuellement en principauté, d’autres comme Jean-Louis Grinda, élu Union Monégasque (UM), préfèrent rester mesurés : « Sur l’ensemble des textes votés ce soir et sur d’autres sur lesquels nous reviendrons lors du budget prévisionnel, je ne peux qu’attirer l’attention de chacun de mes collègues sur les difficultés que représente ce monde qui s’ouvre devant nous et sur l’extrême attention que nous devons avoir à la défense des libertés publiques […]. Je ne doute pas que ce monde merveilleux et enchanté sera formidable demain matin, mais outre l’enthousiasme légitime, la prudence doit quand même l’emporter sur toute autre considération. Il y a d’autres sujets à aborder notamment en termes de sécurité. Juste pour poser une première pierre et faire un premier pas dans ce chemin, je vous invite tous à être particulièrement attentifs sur ce domaine des libertés publiques ».

Le rapporteur, Franck Julien, a tenu à répondre à cette inquiétude. Si cet élu Primo ! a rappelé que « le projet de loi a prévu les conditions nécessaires à l’établissement d’un climat de confiance », le mot confiance apparaissant « 72 fois dans le projet de loi », Franck Julien s’est voulu rassurant : « Ça [la sécurité – N.D.L.R.] été le souci de la commission, un souci permanent […]. Nous nous sommes employés à encadrer les risques liés aux différents usages qui auraient pu en être faits. La réaction des élus a été de se dire que veut faire l’État ? L’exposé des motifs a parfois pu porter à confusion, il a été craint, c’était un fantasme, la naissance d’un État Big Brother. Et donc les travaux de la commission se sont attachés à sécuriser l’usage qui pouvait être fait des données et à les encadrer. Ensemble, nous avons pu trouver un équilibre entre la nécessité pour le gouvernement de déployer de nouveaux services et la nécessité aussi de protéger la population ».

Si cette problématique est « particulièrement importante » pour Serge Telle, le ministre d’État a appuyé les propos du rapporteur : « Il est important de dépasser la temporalité dans laquelle on est quand on prend les décisions que l’on vient de prendre […]. Merci de ces réflexions sur ces textes, dont la portée juridique est incontestable et dont les conséquences pratiques et politiques peuvent être évidemment beaucoup plus graves ». Le ministre d’État a conclu son intervention en annonçant la mise en place d’une plateforme d’identité numérique et des services associés en 2021.

La proposition de loi pour la numérisation des titres de sociétés adoptée

L’élu Priorité Monaco (Primo !) Franck Julien, président de la commission pour le développement du numérique, en qualité de premier signataire de la proposition de loi, en avait réalisé l’explication de texte à la séance publique du 30 octobre 2019. Cette fois-ci, la proposition a été soumise au vote et les élus l’ont approuvée à l’unanimité. Une proposition au titre technique : « proposition de loi relative à l’utilisation d’un dispositif d’enregistrement numérique sur un registre partagé pour les titres de sociétés non cotées ». Pour autant, il s’agit simplement de développer la possibilité de numériser l’achat de parts dans une entreprise, jusqu’ici cantonné au registre papier. Et pour ce faire de manière sécurisée, utiliser la technologie blockchain. Technologie de cryptage des données qualifiée de « révolution du XXIème siècle » dans le rapport. « C’est donc sur une technologie de type blockchain, ou plus largement sur un dispositif d’enregistrement numérique sur un registre partagé, que les parts sociales ou les actions de sociétés pourraient, grâce à la présente proposition de loi, être désormais échangées. A titre de rappel, ces technologies permettent l’inscription de transactions sur un registre distribué et sécurisé du fait, précisément, de son caractère décentralisé. Les informations sont, en outre, infalsifiables du fait de la traçabilité inhérente au réseau en lui-même », indique la proposition de loi, lue en séance publique par Franck Julien. Avant le vote, l’élu Primo ! Jean-Charles Emmerich s’est félicité du gain d’espace et d’économie de papier réalisés par ce type d’opérations. « Sur ce dernier point, transition numérique et transition écologique se rejoignent ». Franck Julien a ajouté, dans une seconde prise de parole, son souhait de voir le gouvernement aller plus loin par la suite. Afin de faire bénéficier de la numérisation des achats de titres de sociétés au plus grand nombre. Le gouvernement a désormais six mois pour transformer la proposition en projet de loi. Amendée ou non.

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