jeudi 25 avril 2024
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Aménagement du temps de travail : une loi qui fait des vagues

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La loi sur l’aménagement du temps de travail a été votée au Conseil national dans la soirée du 17 juin 2021. Mais elle a provoqué quelques remous, notamment auprès d’Horizon Monaco, d’Union Monégasque, et des syndicats.

Le 17 juin 2021, en fin de séance, le président du Conseil national, Stéphane Valeri, a senti qu’il était important de rassurer. Car, depuis de longs mois, ce projet de loi sur l’aménagement du temps de travail suscite une opposition très nette de la part de l’Union des syndicats de Monaco (USM). « L’USM est fermement opposée à ce projet. S’il était voté, il aggraverait lourdement les conditions de vie et de rémunération de l’ensemble des salariés du secteur privé. Il a une dimension antisociale de grande portée. […] Ce texte est un condensé de ce dont rêve le patronat depuis des décennies. Tout y passe. Modulations d’horaires, organisation du travail, exclusion du syndicat, loi sur les conventions collectives, renversement de la hiérarchie des normes, déni de démocratie et de négociation, heures supplémentaires… », avait expliqué à Monaco Hebdo le secrétaire général de l’USM, Olivier Cardot, en octobre 2020. Après avoir voté ce texte, Stéphane Valeri a donc pris la parole pour apporter ses arguments en faveur de cette loi qui a été amendée par le Conseil national : « Dans tous les pays et à toutes les époques, les réformes du droit du travail suscitent toujours des inquiétudes. Il peut donc aussi y en avoir autour de ce texte. C’est dans la logique des choses. Or, cette loi n’impose rien, mais ouvre au contraire le champ des possibles, et modernise cette démocratie sociale dans l’entreprise à laquelle nous tenons beaucoup. Je tiens donc à rassurer les représentants syndicaux et les salariés qui pourraient se poser des questions sur les conséquences de cette loi sur l’organisation du travail. Faisons confiance aux salariés pour se déterminer en connaissance de cause, et sans idéologie, et choisir la meilleure solution dans leur intérêt. » Depuis janvier 2021, le Conseil national a rappelé avoir rencontré à « plusieurs reprises », les organisations patronales (Fédération des entreprises monégasques, association des industries hôtelières monégasques, association monégasque des activités financières, chambre patronale du bâtiment), mais aussi les syndicats de salariés (Union des syndicats de Monaco et Fédération des syndicats de salariés de Monaco), ainsi que le Conseil économique, social et environnemental pour discuter de ce texte de loi très sensible.

« Je tiens à rassurer les représentants syndicaux et les salariés qui pourraient se poser des questions sur les conséquences de cette loi sur l’organisation du travail. Faisons confiance aux salariés pour se déterminer en connaissance de cause, et sans idéologie, et choisir la meilleure solution dans leur intérêt. » Stéphane Valeri. Président du Conseil national. © Photo Conseil National.

« Cette loi n’impose rien, mais ouvre au contraire le champ des possibles, et modernise cette démocratie sociale dans l’entreprise à laquelle nous tenons beaucoup »

Stéphane Valeri. Président du Conseil national

Une contrepartie de 10 %

Prévu au départ comme un texte temporaire, les élus ont souhaité l’amender pour le rendre permanent, et ainsi accompagner la reprise d’activité des entreprises de la principauté, durement touchées par la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19. « Le dispositif d’aménagement concerté du temps de travail propose une réponse aux entreprises soumises à ces cycles saisonniers, en leur permettant d’adapter le temps de travail de leurs salariés aux fluctuations de la charge de travail. Ainsi, en période de faible activité, l’employeur pourra ne mobiliser ses salariés qu’une partie de leur temps de travail habituel. Il leur demandera de fournir un temps de travail plus important en période de haute activité. Les salariés concernés par la mise en place de ce dispositif bénéficient en contrepartie d’une rémunération constante, quel que soit le nombre d’heures effectué sur la période d’aménagement, notamment lors des périodes les plus creuses », a détaillé le conseiller-ministre pour les affaires sociales et la santé, Didier Gamerdinger, tout en assurant que cela pourrait être un « facteur potentiel » permettant de transformer certains emplois à durée déterminée en contrat à durée indéterminée. Puis, il a listé les éléments qu’il a jugé les plus marquants, à commencer par la nécessité de conclure une convention collective de travail, ou un accord d’entreprise, avant de pouvoir mettre en œuvre l’encadrement du temps de travail. Toujours au sujet de l’acceptation de ce dispositif, le président du Conseil national, Stéphane Valeri, a insisté : « Notre amendement rend obligatoire l’extension systématique du vote des salariés concernés, à bulletin secret, y compris dans les entreprises de plus de 11 salariés. Il s’agit d’une garantie que rien ne pourra être imposé aux salariés sans leur consentement et leur adhésion au projet. » Didier Gamerdinger a également précisé qu’il est nécessaire que « l’accord d’entreprise ou la convention collective de travail conclus pour une entreprise soient approuvés par les salariés concernés par cette mesure ». Autre point sur lequel le conseiller-ministre a insisté : une contrepartie de 10 % payée en euros ou en temps de repos pour chaque heure supplémentaire effectuée au-delà de la durée de 39 heures ou de la durée de travail équivalente. De plus, la modulation de temps de travail ne pourra amener la durée moyenne hebdomadaire de travail au-delà des plafonds fixés par la loi, soit 46 heures sur douze semaines, sans dépasser 48 heures sur une semaine.

« Il s’agit d’un texte novateur, mais équilibré, proposant, mais n’imposant pas, de nouveaux outils qu’il appartiendra aux employeurs, syndicats et salariés de s’approprier afin, dans l’immédiat, d’accompagner la reprise économique »

Didier Gamerdinger. Conseiller-ministre pour les affaires sociales et la santé

Un « texte équilibré, à vocation permanente »

Une certitude, le texte final a emporté l’adhésion de Didier Gamerdinger : « Il résulte des divers échanges entre les deux institutions, gouvernement et Conseil national, un texte novateur, mais équilibré, proposant, mais n’imposant pas, de nouveaux outils qu’il appartiendra aux employeurs, syndicats et salariés de s’approprier afin, dans l’immédiat, d’accompagner la reprise économique. Puis, sur le plus long terme, de favoriser la poursuite de l’épanouissement de l’activité des entreprises monégasques, et le maintien des emplois. » De son côté, le président de la commission des intérêts sociaux et des affaires diverses (Cisad), Christophe Robino, s’est dit satisfait de voir que les amendements proposés par le Conseil national avaient, selon lui, débouché sur un « texte équilibré, à vocation permanente », qui apporte « une sécurité juridique aux conventions collectives ou accords d’entreprises portant sur l’aménagement du temps de travail ». Tout en pointant les points principaux de ce texte, il a notamment mis en avant que, « pour éviter tout risque de contentieux », ce texte « vient confirmer la primauté de la convention collective sur l’accord d’entreprise portant sur l’aménagement du temps de travail, et le rôle du délégué syndical dans la négociation des conventions et dans l’assistance des délégués du personnel, ou des salariés désignés pour la négociation des accords d’entreprise portant sur l’aménagement du temps de travail ». Christophe Robino a également évoqué le rôle de la direction du travail concernant « la déclaration de conformité des accords portant sur l’aménagement du temps de travail » et sur sa mission de « contrôle et de sanction après leur mise en application ».

© Photo Conseil National.

Ce texte prévoit une contrepartie de 10 % payée en euros ou en temps de repos pour chaque heure supplémentaire effectuée au-delà de la durée de 39 heures ou de la durée de travail équivalente

Colère

Au final, ce projet de loi n° 1205 a été adopté au terme d’une séance publique d’un peu plus d’une heure trente. Les deux élus d’Horizon Monaco (HM), Béatrice Fresko-Rolfo et Jacques Rit, ont voté contre, pendant que l’élu de la majorité Priorité Monaco (Primo !), Jean-Charles Emmerich, s’est abstenu. Pour justifier le vote contre de HM, c’est Jacques Rit qui a pris la parole. Pointant le vote obligatoire des salariés pour la mise en place de ce dispositif, cet élu a évoqué la question des rythmes et des horaires de travail qui « risquent d’être profondément modifiés, ce qui est susceptible de poser problème à certains salariés sur le plan de la réorganisation de leur vie privée. Une situation qu’ils n’étaient pas en mesure d’envisager au moment de la signature de leur contrat de travail. Je considère que, sur ce point, un vote à majorité simple, qui peut contraindre jusqu’à une moitié des salariés concernés à travailler dans des conditions d’horaires qu’ils n’avaient pas envisagées, reste un outil démocratique peu adapté. […] J’aurais souhaité qu’au sein de cette loi, les salariés concernés par l’aménagement du temps de travail et déjà sous contrat au moment de son entrée en vigueur, conservent tous, individuellement, la faculté d’opter, ou pas, pour cet aménagement. » C’est aussi l’impact réel ou supposé de cette mesure qui laisse les élus HM dubitatifs : « L’observation, dans le pays voisin, de l’impact direct et immédiat de l’aménagement du temps de travail sur l’emploi se montre très modeste, voire inexistant. On parlera plutôt d’un impact positif indirect, et à moyen terme, par le biais du développement de certaines entreprises. Et il est peu probable que cet impact soit plus important à Monaco. » Au final, Jacques Rit voit dans ce projet de loi « un texte initialement éphémère et au dépôt trop tardif, devenu par l’effet de la conviction sincère d’une majorité d’élus, un texte durable et, à mon sens, trop précoce. Le sujet dont il traite est fondamental, et méritait, pour ses débats, d’attendre une période de sérénité retrouvée. Ce sujet méritait également de ne pas voir ses amendements, contre-amendements et autres ajustements rédactionnels contraints de se poursuivre jusqu’au dernier moment, dans un contexte d’urgence inapproprié ». Sur la question de l’urgence dans laquelle ce texte a été préparé, tout le monde a été d’accord, gouvernement et majorité Primo ! En tête. Pour le reste, ce texte n’a donc pas convaincu tout le monde, notamment HM, mais aussi l’élu Union Monégasque (UM), Jean-Louis Grinda, et une partie des partenaires sociaux (1), USM et Fédération des Syndicats de salariés de Monaco (F2SM) en tête [lire les réactions des partenaires sociaux par ailleurs — NDLR]. Ils ont exprimé leur colère et leur incompréhension, dénonçant un manque de concertation et de transparence dans le processus qui a conduit au vote de ce texte. En revanche, de son côté, contactée par Monaco Hebdo, la Fédération des entreprises monégasques (Fedem), se dit « satisfaite » de ce texte, tout en estimant que ce nouveau dispositif « va dans le sens de la sauvegarde de l’activité économique du pays et du maintien de l’emploi, en permettant une adaptabilité à la saisonnalité de nos marchés ».

Loi sur l’aménagement du temps de travail. Pour lire la réaction de la FEDEM cliquez ici.