samedi 20 avril 2024
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« Le gouvernement
doit se positionner sur les enfants du pays »

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Monaco Hebdo a décidé de donner la parole à l’ensemble des présidents de commission du Conseil national. Cette semaine, c’est Jean-Michel Cucchi qui s’exprime. Le président de la commission du logement évoque le logement des Monégasques, la situation des enfants du pays, le projet Très grand Ida, mais aussi la refonte de la loi 1 235 du secteur protégé.

 

Le logement domanial est-il dans une situation de pénurie ?

Aujourd’hui, on compte environ 150 demandes non satisfaites. Il est évident que la situation reste tendue et cela malgré les livraisons récentes et à venir. Le nombre de demandes reste trop important pour que la vigilance soit relâchée. C’est une préoccupation de tous les instants, pour moi comme pour les élus qui s’inquiètent de ce sujet. Il manque des logements. Donc parler de pénurie est légitime.

 

Quels sont les types d’appartements qui manquent le plus aux Monégasques ?

La seule zone de satisfaction concerne les 3 pièces. Ceci tient principalement au fait que le gouvernement continue à considérer avec obstination que le besoin normal pour un parent divorcé qui a un enfant moins de 50 % du temps, ou un jeune couple marié « en âge de procréer » selon l’expression consacrée, est un 2 pièces ! Un autre sujet de préoccupation est la pénurie sur les 4 et les 5 pièces. Un problème qui va s’aggraver à l’avenir.

 

Pourquoi ?

Parce que les cellules familiales ont changé. Il y a de plus en plus de couples qui divorcent et de familles recomposées. Cette donnée n’a pas été intégrée avec assez d’acuité par le gouvernement. La taille des appartements n’est souvent plus adaptée. Il faut donc dans les futurs programmes intégrer des appartements de plus de 4 et 5 pièces, et même plus grands. C’est d’ailleurs ce que nous avons demandé pour l’opération L’Engelin.

 

Alors pourquoi le gouvernement a toujours réfuté le terme de « pénurie » ?

Parce que le gouvernement se base sur une étude effectuée par l’Institut monégasque de la statistique et des études économiques (IMSEE) qui, je tiens à le souligner accomplit un travail de grande qualité. Le problème, c’est que la base de raisonnement de cette étude est fausse.

 

Pourquoi ?

Dans un monde théorique et parfait, si l’on utilisait tous les appartements à 100 %, que tous étaient habités par des Monégasques et qu’il n’y ait aucun délai, ni pour les occuper, ni pour les délivrer, effectivement la situation serait sans doute moins préoccupante. Or, la réalité est toute autre. Cette étude ne tient pas compte non plus des familles recomposées, des divorces, des nouveaux mariages… Or, c’est une donnée primordiale, car elle impacte inexorablement les besoins sur la taille des appartements.

 

Que sont les « demandes de confort » ?

Dans les immeubles, il y a parfois des différences flagrantes de qualité. Il est donc logique que certains souhaitent changer d’appartement. Il y aura toujours des demandes de confort. Elles concernent des personnes qui essaient d’obtenir un autre appartement alors que dans les critères, sur lesquels nous avons largement avancé depuis 2013, ils logent déjà dans un appartement en adéquation avec leur situation. Je préfère me concentrer sur les demandes avérées, sincères et vérifiables, qui sont hélas les plus nombreuses. Ce sont celles-ci qui m’inquiètent pour l’avenir.

 

Il semblerait que les charges dans les logements domaniaux de la tour Odéon soient plus élevées que prévu ?

Un des problèmes de ce type d’opération, c’est évidemment le risque d’un niveau élevé de charges. C’est pourquoi nous avons obtenu lors des derniers débats budgétaires un engagement public du gouvernement pour que le niveau des charges de la tour Odéon soit comparable à celui des dernières opérations livrées.

 

Le gouvernement a tenu parole ?

Il est trop tôt aujourd’hui pour le déterminer. Aussi, tout en restant extrêmement vigilant, je ne lui ferai pas de procès d’intention. Le gouvernement est bien conscient que s’il en était autrement, les rapports entre nos deux institutions s’en trouveraient fortement impactés.

 

Il y aura des logements domaniaux sur l’extension en mer ?

Bien entendu, sur le principe, il ne faut pas perdre une opportunité de construire des logements domaniaux. Cependant, dans ce cas particulier, compte tenu de son dimensionnement et de ses contraintes, le projet ne s’y prête pas vraiment.

 

Pourquoi ?

Je répondrais que ce n’est pas l’endroit. Parce que chacun sait bien que l’immobilier est important pour Monaco. Il faut donc pouvoir proposer des logements de très grand standing, pour pouvoir répondre à la demande d’une clientèle fortunée, qui est indispensable au développement de notre économie. Ce qui permet ensuite de poursuivre une politique sociale avancée. Le même raisonnement peut s’appliquer pour le projet de l’esplanade des Pêcheurs, sur le port Hercule. Grace aux richesses ainsi générées, en restructurant les quartiers qui s’y prêtent, l’Etat pourra mettre en œuvre les programmes de constructions nécessaires pour répondre aux besoins de logement des Monégasques.

 

Un bâtiment public sera construit sur l’extension en mer ?

Je pense que la construction d’un bâtiment public sur l’extension en mer est en tout cas nécessaire. A mon sens, il est symboliquement important que ce nouveau territoire ne soit pas uniquement livré au privé, mais que l’Etat y ait aussi son empreinte.

 

Il ne reste quasiment plus de surfaces constructibles à Monaco ?

Il reste en effet très peu de terrains nus et de surfaces constructibles. Le terrain où est en train de se construire l’opération L’Engelin au Jardin Exotique était l’avant-dernier. Le tout dernier sera Testimonio. Tout repose donc sur la restructuration d’anciens quartiers. Comme le quartier des Fleurs et celui d’Ida par exemple.

 

Concernant la construction d’opérations intermédiaires, où en est-on ?

La Villa del Sol, située à Saint-Roman, et qui comptera une trentaine de logements, est sur la bonne voie, car l’Etat maîtrise l’ensemble du foncier. Concernant l’opération à l’Annonciade, il y a toujours un problème juridique. Un problème qui devrait, je l’espère, se résoudre. Quant à l’opération à la rue Grimaldi, il y a un litige avec un propriétaire privé. Pour l’heure, à ma connaissance, c’est donc le statu quo.

 

Pourquoi dans son discours du 26 mai au Conseil national, le président Horizon Monaco (HM) Laurent Nouvion a annoncé vouloir « dépolitiser » la thématique du logement domanial ?

Je pense que le président a voulu dire qu’il fallait considérer le problème du logement domanial au-delà des prochaines échéances électorales. Le but à atteindre, c’est bien que le logement de nos compatriotes ne soit enfin plus un problème.

 

La majorité HM a annoncé vouloir mettre en place « un plan logement sur 15 ans » : c’est toujours d’actualité ?

On va effectivement faire des propositions pour assurer à nos compatriotes des livraisons régulières jusqu’en 2030. En fonction de la courbe des besoins, de la recomposition des familles, mais aussi du vieillissement de la population.

 

Sur le projet très grand Ida que vous avez proposé, ça avance ?

Je n’ai pas encore eu de retour. J’espère avoir convaincu le gouvernement. Je suis en tout cas prêt à ce qu’il y ait un débat public sur ce sujet. Seule certitude : techniquement, de grands bâtisseurs monégasques m’ont indiqué que notre projet n’était pas exubérant. Il serait au contraire tout à fait réalisable. En termes de construction, le très grand Ida n’a, par exemple, rien de comparable avec la complexité du nouvel hôpital.

 

Quel est le contenu et la taille du projet que vous défendez ?

Le plus large possible. Non seulement pour restructurer, mais plus largement pour réhabiliter un quartier qui en a bien besoin par ailleurs. Il faut des logements pour les Monégasques, des retours en dation pour les propriétaires existants, des parkings, des surfaces commerciales et des bureaux. Et bien entendu des logements pour les enfants du pays, car c’était un lieu initialement destiné à permettre d’« oxygéner » le secteur protégé.

 

Combien d’appartements seront prévus pour les enfants du pays et pour les Monégasques ?

Ecoutez, ce qui certain, c’est qu’il n’en faut pas moins que dans le projet initial, qui n’était pas adapté à la réalité socio-économique et urbaine de Monaco. J’espère que nous pourrons en prévoir davantage. Cela dépend de la proposition que nous recevrons de la part du gouvernement.

 

Pourquoi avoir déclaré que les 30 logements initialement proposés par le gouvernement dans le projet petit Ida étaient « une insulte » aux enfants du pays ?

Le mot « insulte » était sans doute un peu fort… J’aurais bien évidemment aimé qu’avec 30 appartements, on résolve le problème du logement des enfants du pays à Monaco. Mais soyons honnêtes, c’est une goutte d’eau ! De quoi s’agit-il ? Simplement, d’un signal donné ? On ne peut pas décider de construire un si petit projet au milieu d’un terrain. Et tuer ainsi toutes les possibilités d’une plus grande restructuration. Cela n’a pas de sens.

 

Quand le gouvernement affirme qu’il tient à ce que les enfants du pays restent à Monaco, c’est de l’hypocrisie ?

Je n’irai pas jusque là. En revanche, à quoi bon déclarer haut et fort que c’est une population importante pour Monaco si l’on ne donne pas ensuite les moyens de la loger ? C’est à l’Etat de décider combien il veut d’enfants du pays.

 

Vous parlez de quotas ?

Non, je ne parle pas de la mise en place de quotas. Mais le gouvernement doit clairement se positionner sur ce sujet. Il ne peut pas demander à des propriétaires privés d’assumer, à travers le secteur protégé, le logement d’une partie de cette population, et lui, rester tranquillement les bras croisés et ne rien faire. L’Etat a légiféré car il a considéré que c’est une population à protéger. Son impérieux devoir est donc de faire en sorte qu’elle reste un maximum sur le territoire.

 

En quoi est-ce important que les enfants du pays restent à Monaco ?

Voulons-nous d’un Monaco dans quelques années qui soit uniquement composé de 10 000 Monégasques et de 40 000 étrangers fortunés qui ne parlent même pas notre langue ? Et dont on ne sait pas combien de temps ils resteront en Principauté ? Les enfants du pays sont des personnes très intégrées dans le tissu économique et social. Ils ont des liens forts avec la Principauté. Il y a une part d’affectif chez les enfants du pays qu’il n’y a pas chez d’autres résidents étrangers. Tout ceci compte énormément.

 

17 logements dans la Tour Odéon ont été qualifiés « d’impropres à l’habitation » : ce n’est pas un peu indécent de dire ça ?

Etes-vous au moins allée voir ces logements ? Ce qui est indécent, c’est de proposer ces appartements situés dans le socle de la Tour Odéon à des tarifs quasi-similaires aux appartements du 8ème étage, qui ont du soleil et une vue relativement dégagée. Je rappelle qu’ils ont été jugés « impropres à l’habitation » par le Conseil national, mais aussi par le gouvernement. Le conseiller pour les Finances et l’Economie, Jean Castellini, qui est venu faire une visite sur place, était d’accord avec nous. Il nous a donc semblé opportun de transformer ces appartements en bureaux. Car dans ce domaine, la pénurie est réelle.

 

L’association des enfants du pays proposait justement que l’on donne ces 17 appartements aux enfants du pays ?

Je ne suis pas d’accord. Ce qui voudrait dire que l’on donne aux enfants du pays ce que l’on juge impropre à donner aux Monégasques ? Qui peut défendre cela moralement ? Pas moi. Si c’est impropre, ça l’est pour tout le monde. Je ne comprends pas que l’on puisse avancer ce genre d’argument. Surtout sans avoir visité ces appartements.

 

Dans la refonte de la loi 1235, une nouvelle catégorie “enfants du pays” sera -t-elle créée, selon la définition discutée avec l’association des enfants du pays ?

La loi 1 235 est un texte sensible. C’est la seule dans laquelle on retrouve cette terminologie dans la partie qui concerne ces fameuses catégories de personnes en mesure de louer dans le secteur protégé. Je ne crois pas qu’on puisse donner une existence juridique aux enfants du pays uniquement au travers d’une catégorie d’attributaires potentiels dans une loi sur le secteur protégé. Il faudrait évidemment aller plus loin.

 

Si un statut des enfants du pays est créé, quels droits pourraient-ils avoir ?

A travers la loi 1235, ils ont déjà un droit particulier : celui de pouvoir accéder au secteur protégé. Je crois qu’un statut ne s’appréhende pas seulement en termes de droits, mais aussi en tant que reconnaissance d’un lien qui les rassemble et les lie de manière indéfectible à la Principauté.

 

Pour loger ces enfants du pays, quels seront les critères d’attribution ?

Tout dépendra justement de la définition des enfants du pays, et vraisemblablement du niveau d’urgence et de besoin. Je préférerais que nous en reparlions le jour où des programmes immobiliers mixtes verront effectivement le jour.

 

Quels seront les loyers appliqués à ces logements ?

Des loyers modérés. A mon sens, des tarifs légèrement supérieurs à ceux qui se pratiquent dans les communes limitrophes en France me paraîtraient raisonnables.

 

Les enfants du pays pourront solliciter une aide au logement ?

Une aide existe déjà aujourd’hui. Il s’agit de l’Allocation Différentielle de Loyer (ADL).

 

Vous souhaitez une refonte de la loi 1 235 sur le secteur protégé ?

J’ai beaucoup milité à l’époque pour que cette loi 1 235 soit votée. Il était en effet urgent d’abroger l’ancienne loi, car elle risquait de provoquer une mort certaine du secteur protégé. En revanche, on ne peut pas demander à des propriétaires privés de tout assumer, sans contrepartie. Ils ne sont pas là pour faire des actions de grâce ou du bénévolat… L’Etat doit aussi faire des efforts pour participer au secteur protégé. L’Etat doit jouer son rôle social et ne pas le faire porter par les petits propriétaires : ce n’est pas leur rôle.

 

Quels types de contreparties ?

L’idée serait de fixer des seuils de loyers. Concrètement, lorsque le loyer en question est en-dessous de ce seuil, c’est l’Etat qui prendrait en charge la participation aux frais. Parallèlement, lorsqu’un Monégasque logé dans le secteur protégé ne paie pas son loyer, c’est l’Etat qui devra se substituer au locataire défaillant et se retourner contre lui.