jeudi 25 avril 2024
AccueilPolitiqueLaurent Nouvion : « Les lignes ne sont pas claires »

Laurent Nouvion : « Les lignes ne sont pas claires »

Publié le

En plein débat public autour du budget primitif 2017, l’élu Horizon Monaco, Laurent Nouvion, s’exprime. Et affiche une nouvelle fois son pessimisme dans le dossier des négociations entre l’Union européenne et Monaco. Interview.

Comment avez-vous vécu votre éviction du fauteuil de président du Conseil national le 27 avril dernier ?

Comme une épreuve dans la vie d’un homme qui s’est assigné pour mission de servir les Monégasques et les intérêts supérieurs du pays. Nous avons appris, avec mes amis autour de moi, la véritable nature de ceux et celles qui avaient été des compagnons d’armes… La haine, la malveillance et la violence dont j’ai été victime en avril dernier dépassaient très largement ma personne et ma fonction. Je l’ai déjà dit, les mois qui viennent seront très instructifs. Un peu de patience…

Comment et selon quelle logique vous-êtes-vous réorganisé ?

On se réorganise par le travail ! D’ailleurs deux propositions de loi ont été déposées par Horizon Monaco (HM) en septembre, sur les peines de substitution et sur le don d’organes. D’autres vont suivre.

Et au quotidien ?

Je sais tout ce qu’il se passe au Conseil national et j’interviens en commissions avec mes cinq collègues d’HM, en séances privées avec le gouvernement et en séances publiques sur ce qui nous paraît essentiel. La stratégie que cet assemblage d’élus a adoptée est de dénigrer systématiquement notre travail, et de faire croire que nous sommes absents du Conseil national. C’est absurde et incompréhensible. Nous sommes au moins quatre élus HM sur six présents à chaque réunion de travail. Et nous essayons de nous imposer cette présence, malgré les emplois du temps de chacun. De leur côté, cela semble plus compliqué de rassembler : la majorité n’est représentée qu’à hauteur de 4 ou 5 élus. Les fiches de présence en attestent.

Pourquoi était-il important pour vous de conserver la propriété du nom de votre groupe politique, Horizon Monaco ?

Les textes prévoient que, pour mener une liste pour les élections à Monaco, il faut un nom et un logo. Techniquement, vous ne pouvez déposer les deux éléments qu’à l’expansion économique en tant que personne physique. Il était donc naturel qu’en tant que leader d’HM et leader et fondateur de Rassemblement & Enjeux (R&E), je dépose ces deux entités. De plus, les élus qui m’entourent et moi-même sommes très fiers de nos trois premières années de mandat. Et contrairement à l’assemblage majoritaire, nous ne renions rien.

Mais cette volonté a été très critiquée !

Nous sommes très satisfaits de ce choix, puisqu’aujourd’hui notre groupe politique HM est très bien identifié par les compatriotes. Je laisse ainsi certains bavarder ou critiquer. Nous avançons en respectant le pacte passé avec les Monégasques en février 2013 sur le nom d’HM.

Qui sont vos véritables soutiens aujourd’hui ?

Tous ceux qui n’aiment pas les traitres [sourire]… Plus sérieusement, mes soutiens sont évidemment les élus qui constituent le groupe politique HM au Conseil national, le mouvement R&E et celles et ceux pour qui le code de l’honneur et le respect de la parole donnée signifie quelque chose. Aujourd’hui, nous défendons notre projet politique qui préserve les intérêts du pays, même si cela gêne certains. Dans ce milieu, vous êtes un homme chanceux si vous êtes entouré de gens droits et loyaux, et c’est mon cas. Cette constance est rassurante.

Comment jugez-vous la recomposition du paysage politique qui semble être une réussite dans les rangs du Conseil national ?

Réussite c’est vous qui le dites. Je ne crois pas à cet l’assemblage actuel, qui n’est pas tenable. Trop de promesses ont été données. Et leurs lignes politiques sont à l’opposé pour certains. Au fur et à mesure des semaines qui vont passer, le navire à plusieurs têtes va commencer à tanguer.

Vraiment ?

Les fuites sont déjà perceptibles. Preuve en est leur incapacité à créer un groupe politique commun, alors que cela les renforcerait dans leurs moyens et leur visibilité. Chaque fois que nous provoquons un débat argumenté sur des sujets essentiels, les réponses sont sans consistance. Les lignes ne sont pas claires.

Un exemple ?

Il y a eu, par exemple, le moment où nous avons montré notre opposition ferme à la désaffectation du domaine public du centre commercial de Fontvieille qui signifierait, à terme, la fin des compatriotes commerçants sur ce site.

Que pensez-vous de la « méthode Steiner » qui a fait voter une série importante de textes importants dans un climat apaisé ?

Le soleil s’est donc levé sur le Conseil national le 28 avril 2016 ! Comment expliquez-vous qu’en six mois ils ont fait voter ces textes ? Je ne vais pas vous apprendre la lenteur des procédures législatives… Tout était évidemment déjà prêt !

Absolument tout ?

Soyons factuels, le bail de bureau c’est HM, le prêt étudiant c’est HM, la loi sur la sécurité c’est moi qui l’ai traitée en priorité avec Sophie Lavagna, le report de crédit c’est R&E en 2008, le multifamily office c’est HM, la loi sur le patrimoine sur laquelle nous nous battons en ce moment avec la majorité c’est HM dans son programme, la loi sur le nom, à venir, c’est HM… Pourquoi faire croire qu’en salissant ceux avec lesquels vous avez accédé à la fonction d’élu, cela sert la cause et l’image de la haute assemblée ? Ce n’est pas ma conception de la politique. De plus, je rappelle qu’un nouveau ministre d’Etat est en charge. Et tout le monde sait que son approche est beaucoup plus pragmatique que son prédécesseur !

Quelles sont vos relations avec vos deux anciens collègues, Christophe Steiner et Marc Burini ?

Mes deux Brutus, Christophe et Marc, ont l’air de bien se porter. Ils sont un peu tendus en ma présence ! Cela se comprend ! J’espère que leurs nuits sont douces… et paisibles. Je garde le souvenir de grandes et mémorables discussions quant au regard qu’ils portent sur certains et certaines avec lesquels ils semblent en osmose depuis avril dernier. Et sur nos institutions… Le temps fera son œuvre. Je suis très serein.

Quel sera votre logique de fonctionnement jusqu’à la fin de cette mandature ?

Notre démarche est limpide, claire, transparente. Elle s’appuie sur le pacte politique que nous avons passé avec nos électeurs en février 2013. Notre programme a été appliqué à 80 % en près de 40 mois. Le temps viendra de rappeler ce bilan aux Monégasques. Pour le moment, nous avons eu une réunion de quartier R&E-HM jeudi 24 novembre à La Condamine sur le thème, « la qualité de vie à Monaco ». Et nous allons continuer à écouter les compatriotes et faire remonter leurs inquiétudes, leurs questions. C’est notre rôle d’élus. Comme lors du budget rectificatif, les élus de HM vont orienter les débats sur les sujets clefs.

Lesquels ?

La création du fonds de retraite pour les fonctionnaires, défendu dans notre programme, la sanctuarisation des terrains publics y compris celui du Centre Commercial de Fontvieille (CCF), la rénovation future du stade Louis II, la qualité de vie qui se dégrade gravement et beaucoup d’autres sujets.

Et pour les prochaines élections, en février 2018 ?

Rendez-vous fin 2017 !

La nouvelle majorité vous reproche d’être seulement capable de vous opposer à elle et d’être depuis longtemps en ordre de marche pour assurer votre réélection en 2018 ?

J’ai passé 38 mois à la tête du Conseil national grâce à la confiance que m’ont témoignée les Monégasques. Avec mon groupe, nous avons décidé de ne plus répondre à leurs attaques et d’avancer coûte que coûte. Je crois que cette nouvelle majorité, comme vous l’appelez, se trompe de cible en continuant de nous fustiger systématiquement en séances publiques. Je pense que le spectacle donné aux Monégasques n’est pas à la hauteur de l’institution. Admettez tout de même qu’ils n’ont quand même pas l’air tranquille avec nous à cette nouvelle place… Et comme ils ont raison ! Trêve de plaisanterie, la meilleure preuve que nous puissions donner à nos électeurs c’est de continuer à proposer des textes qui font avancer la vie du pays. Oui, nous sommes au travail.

Le 27 octobre 2016, jour où la proposition de loi sur le pacte de vie commune a été votée, vous n’étiez pas là : vous auriez voté pour ou contre ce texte ?

Je soutiens évidemment les positions politiques de mon groupe, et celle arrêtée par Béatrice Fresko, qui avait la première mis ce texte de la minorité à l’ordre du jour de sa commission des droits des femmes et de la famille, avec mon accord, quand elle en avait la charge. Béatrice a fait un travail remarquable dans sa commission. C’est une femme de tête, pragmatique et courageuse. Elle a mon total soutien. Elle est respectée en Principauté Elle honore la démarche d’HM. C’est une femme d’honneur.

L’USM a lancé une pétition qui a déjà recueilli plus de 7 000 signatures pour réclamer le maintien des futurs retraités et le rapatriement des retraités actuels dans le giron des caisses sociales monégasques : quel est votre position sur ce sujet ?

Aujourd’hui la convention franco-monégasque prévoit la prise en charge des prestations médicales des retraités des régimes français et monégasques selon leur lieu de résidence. Il faudrait donc la renégocier, à notre initiative, pour nous la rendre défavorable ! En matière de remboursement de soins, le coût d’un retraité est plus de 5 fois celui d’un actif… Donc si vous affiliez plusieurs milliers de retraités, vous chargez instantanément la caisse de compensation des services sociaux (CCSS) de plusieurs dizaines de millions d’euros par an.

Et le financement ?

Son financement est, à ce jour, assuré exclusivement par les employeurs. La pétition de l’union des syndicats de Monaco (USM) n’en fait même pas mention. Y aurait-il une participation des retraités ? Ou les employeurs devront-ils supporter seuls une augmentation très substantielle du taux de compensation, au risque de grever leur compétitivité, voire de mettre certains en difficulté ?

Suite au départ de HSBC (lire Monaco Hebdo n° 992), comment rendre la place financière monégasque plus attractive ?

A Monaco, la place bancaire vit une mutation. Elle est frappée par un processus de concentration. Les financiers sont des gens pragmatiques. Monaco n’a pas réussi depuis 10 ans à faire de la Principauté une belle plateforme de la gestion de fortune, ce qui aurait pu attirer des gérants connus. C’est un échec, il faut le reconnaître. Il faut aussi dire que nos accords avec la France limitent la place bancaire, car ils ne nous facilitent pas la tâche dans la création et la vente de fonds à l’extérieur du pays.

Faudrait-il instaurer un minimum obligatoire de fonds bloqués pour pouvoir devenir résident à Monaco pour les gens les plus riches, qui sont rentiers sans activités ?

Je suis farouchement opposé à ce processus. Et je crois que Monaco doit défendre la mixité. C’est d’ailleurs au gouvernement de l’imposer. Y compris sur le plan des services bancaires et notamment pour les entrepreneurs et les habitants qui constituent des liens sociaux précieux et indispensables à une ville-Etat avec une population stable. Les banques à Monaco doivent pouvoir fournir tous les services que demande cette population.

Les pertes s’accumulent pour la SBM : comment jugez-vous la situation ?

La situation à la société des bains de mer (SBM) n’est pas nouvelle. Cette société à monopole concédé est en pleine restructuration, le Conseil national a demandé depuis 3 ans des réformes de structure, nous y sommes. Celles-ci sont longues et coûteuses. La SBM est constituée de trois piliers : les jeux qui traversent une crise sans précédent, l’hôtellerie qui est déficitaire malgré un bon taux de remplissage, et le foncier de luxe, constitué de boutiques et de résidences hôtelières. Les jeux doivent se redresser, malgré une clientèle traditionnelle qui a déserté ce secteur. Les résultats doivent s’améliorer au printemps 2017, avec les premières livraisons du projet immobilier place du Casino.

Dans le secteur des jeux, le fort absentéisme (1) cache un véritable malaise dû à l’entrée en vigueur du statut unique, pourtant voté à 80 % en 2015 par ces mêmes salariés ?

L’absentéisme est la conséquence naturelle d’une nouvelle convention collective adoptée démocratiquement par les employés de jeux, mais qui a été élaborée par la direction des ressources humaines sans aucune concertation avec les directeurs de jeux en charge des secteurs. Ainsi, le modus operandi est compliqué à mettre en place. Et l’absentéisme en est une des conséquences.

Sans l’immobilier, la SBM perdrait 45 millions par an : quelle stratégie mettre en place pour remonter la pente ?

Je ne suis pas président de la SBM, cela ne vous a pas échappé ! La SBM est un tout constitué de ces trois piliers. Il faut rationaliser les choses et continuer les réformes de structure. Mais il manque parfois une vision à 5 ans pour cette entreprise. Je le regrette et je ne comprends pas cette lacune. Les investisseurs, dont l’Etat, l’apprécieraient grandement. Et les élus que nous sommes, aussi.

Comment jugez-vous l’implication des deux actionnaires minoritaires, Louis Vuitton Moët Hennessy (LVMH) et le casinotier Macao Galaxy Entertainment Group (MGEG) ?

Les deux actionnaires sont minoritaires, mais peuvent donc influencer les décisions stratégiques à leur niveau. Ce ne sont pas des philanthropes. Ils sont là car ils croient au redressement de la SBM.

Avec 59,47 % des parts, l’Etat reste l’actionnaire majoritaire de la SBM : devrait-il être plus interventionniste dans les prises de décisions et demander le limogeage de l’équipe dirigeante ?

Je répondrai à votre question qu’il appartient à l’actionnaire de référence de prendre ce type de décision. Le Conseil national n’a pas vocation à se subroger dans les droits de gouvernement. Posez leur la question, ce sera plus simple ! Mais en principe, on ne change pas une équipe dirigeante en pleine restructuration…

Comment jugez-vous le rapprochement que l’Etat vient de finaliser avec l’AS Monaco et l’ASM Basket ?

Il s’agit de rapprocher et d’optimiser les stratégies et les coûts de communication de « l’entreprise Monaco », si j’ai bien compris ! Le partenariat ne me dérange pas sous trois conditions. La première implique l’arrêt immédiat de la campagne de communication qui a coûté une fortune depuis 5 ans pour des résultats peu probants. La deuxième est que les acteurs et investisseurs actuels du foot et du basket s’engagent pour au moins 10 ans.

Et la troisième ?

La troisième est que ce partenariat soit appliqué avec discernement, afin de laisser à l’Etat de Monaco, via son gouvernement, toute latitude dans son autonomie d’exécutif. Enfin, il faut chaque année vérifier les retombées et résultats précis de ce partenariat. Pour les réseaux sociaux et dans la presse traditionnelle, des éléments de mesure existent. Je souhaite qu’ils soient donnés à la haute assemblée chaque année.

Comment jugez-vous l’avancée des négociations avec l’UE, qui inquiètent les professions réglementées ?

Je réitère mon extrême réserve sur le devenir, la stratégie et la pesée de ces négociations entre l’UE et Monaco via Andorre et San Marin, sans oublier la France. En effet, ces négociations imposées par Bruxelles représentent pour nous une source de forte préoccupation, largement partagée par la population Monégasque.

Un accord satisfaisant est-il possible ?

Je ne crois pas à un accord a minima, d’autant que personne en charge de ces échanges n’aura le courage de reculer. Sauf si les deux états partenaires, Andorre et San Marin, décident par referendum d’ajourner ces négociations, ce dont je me réjouirai ! Mais je ne crois pas aux miracles.

Les discussions devraient durer plusieurs années ?

La partie institutionnelle piétine, car les lignes sont éloignées les unes des autres. Pour les professions règlementées, elles sont sur le pont. Et elles ont raison, étant donné les réponses alarmantes qui leur ont été faites cet été par le gouvernement.

C’est-à-dire ?

A savoir que Monaco est prêt à abandonner la notion de priorité nationale, car désormais la discussion s’est engagée sur les critères de nationalité. Pour Bruxelles, la priorité nationale est un gros mot. Pour nous elle n’est pas négociable.

La négociation sera serrée ?

Il s’agit de 9 000 Monégasques face à 360 millions d’européens ! La messe est dite. Nous devons nous battre pied à pied contre une commission ad hoc décidant, à terme, d’autorisations ponctuelles pour certaines activités à Monaco et exclure la notion de quotas !

Vous êtes optimiste ?

Ma position est claire et précise. Tant que j’étais à la tête du Conseil national, elle était défendue avec fermeté. Les dernières réunions avec le comité monégasque des professions réglementées (CMPR) ont malheureusement prouvé un flottement préoccupant quant à la capacité et à la volonté des élus en place pour garder une ligne claire dans ce domaine.

 

(1) Certains évoquent un taux d’absentéisme de l’ordre de 15 % à la SBM.