vendredi 29 mars 2024
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Jean-Louis Grinda :
« J’ai une liberté de parole »

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Le 20 septembre, l’élu Union monégasque Jean-Louis Grinda a fait sa rentrée politique. Qualité de vie, contrat de vie commune, budget rectificatif, fonds de réserve constitutionnel, logements… Il a abordé tous les sujets sensibles.

En octobre, les séances législatives au Conseil national risquent d’être animées. À l’ordre du jour, le vote des projets de loi sur le contrat de vie commune (CVC) et le budget rectificatif. Le verbe haut, Jean-Louis Grinda fera entendre sa voix au sein de l’hémicycle. L’unique élu Union monégasque (UM) siégeant au Conseil national pour la mandature 2018-2023, ne renoncera pas à son franc-parler. Entre séduction, conviction, et conciliation, l’élu est de retour dans l’arène politique et il est vite entré dans le vif des débats.

Qualité de vie

Sujet prioritaire de la rentrée politique, la question de la qualité de vie est au centre des débats. « C’est un sujet où j’ai été considéré comme un pestiféré, s’insurge Jean-Louis Grinda. Pendant 5 ans, j’ai été président de la commission environnement et cadre de vie. Et j’ai inventé le concept de droit à la tranquillité par quartier. Les Monégasques, les résidents et les pendulaires sont excédés. » Nuisances sonores, problèmes de mobilité, qualité de l’air… L’exaspération est à son paroxysme. « Je rappelle que lors du budget rectificatif 2018, le président de la commission de l’époque n’a pas voté ce budget pour protester contre la qualité de vie en principauté. Celle-ci s’est détériorée depuis 5 ans, lance le conseiller national de la minorité. Le même président et la majorité ont voté comme un seul homme le chapitre travaux publics deux mois plus tard. Priorité Monaco (Primo !) et Horizon Monaco (HM) ont voté ce chapitre. Le seul qui n’a pas voté ce chapitre, c’est moi. La majorité Primo ! a fait de la qualité de vie une priorité. Et elle a obtenu deux arrêtés ministériels insuffisants ». En décembre 2018, les arrêtés ministériels ont interdit les travaux bruyants la nuit et les week-ends. Et ils ont déployé des mesures limitant les nuisances des chantiers. « Est-ce que les gens ont senti un changement ? Non, déplore Jean-Louis Grinda. Aujourd’hui les Monégasques croisent les conseillers nationaux. Et ils leurs disent : « Ça ne va pas ! ». Maintenant, le président Stéphane Valeri s’est emparé du sujet. Et il dit qu’on va faire un sondage. »

BVA

En octobre, pour la première fois, une consultation auprès des Monégasques de plus de 18 ans va être lancée par le Conseil national. Un document de 40 questions leur sera adressé. Les questionnaires anonymes pourront être renvoyés gratuitement. « La consultation se fera avec un organisme extérieur : BVA. Je dirais que l’on a perdu un an, glisse Jean-Louis Grinda. Il me semblait que le sondage avait été fait lors des dernières élections, puisque tout le monde était d’accord. Donc le sondage grandeur nature a déjà eu lieu. » Avant d’ajouter : « Pour des raisons politiques, la majorité Primo ! a choisi de soutenir le gouvernement sur le chapitre travaux publics. La majorité n’a pas fait preuve de discernement. Elle a été au mieux complice. Au pire, elle a fait preuve d’une légèreté coupable. » Puis, l’élu UM a répondu, malicieux, à la première question du sondage : « Est-ce que vous trouvez que la situation s’est améliorée ? Une grande majorité va répondre par la négative. Je n’ai pas besoin de travailler chez BVA pour apporter une réponse. Au quotidien, je suis en contact avec les gens. Je sais ce qu’ils pensent. Je n’ai pas réponse à tout, mais là, Primo ! a fait une faute vis-à-vis des Monégasques. » Les résidents et les salariés pourront aussi donner leurs points de vue via internet. « J’ai voté en commission plénière d’études (CPE) pour l’enquête. Mais je trouve ça assez léger…, glisse Jean-Louis Grinda. Stéphane Valeri invite le gouvernement à changer de braquet. Moi je l’invite à changer de vélo… et à passer à l’électrique. L’an dernier, je me suis fait accrocher en séance publique. Toutefois je soutiens Stéphane Valeri dans cette démarche. Mais le résultat du sondage, on le connaît déjà. Il faut une détermination forte du gouvernement. »

Contrat de vie commune

Prévu en juin 2019, le vote du projet de loi sur le contrat de vie commune a été renvoyé aux séances législatives d’octobre 2019. Le contrat de vie commune sera-t-il seulement conclu par des couples non mariés, hétérosexuels ou homosexuels, vivant sous le même toit ? Les tenants de cette ligne sont les élus du Conseil national. « En juin 2013, j’ai été le dépositaire et le premier signataire de cette proposition de loi, rappelle Jean-Louis Grinda. Le contrat de vie commune, j’en porte tout de même la paternité, avec le groupe UM ! ». Autre scénario, le contrat de vie commune pourrait-il-être élargi aux membres d’une même famille ? Le gouvernement abonde dans ce sens et il rejoint la prise de position de Monseigneur Bernard Barsi. « L’Église souhaite que ce contrat s’ouvre à la famille. Je pense qu’il ne faut pas faire une loi de circonstance. Il ne faut pas une loi singeant le mariage », a en effet expliqué l’archevêque de la principauté dans Monaco Hebdo n° 1118. Du coup, le gouvernement a refaçonné la proposition de loi initiale. Un remodelage qui interpelle l’élu UM : « Aujourd’hui on se rend compte que le gouvernement, pour des raisons incompréhensibles, semble suivre les positions de Monseigneur Barsi. Il veut inclure les familles dans le contrat de vie commune. Avec tout le respect que je dois à Monseigneur Barsi, je ne vois pas pourquoi on devrait faire ça. » Jean-Louis Grinda enfonce le clou : « C’est un contrat civil qui ne singe pas le mariage. En aucun cas c’est un mariage “bis”. On ne peut pas faire de parallèle entre le contrat de vie commune et un mariage. D’abord, ça ne se passera pas à la mairie. C’est un contrat devant un notaire. Il n’y a pas de changement de nom. » En attendant, le projet de loi amendé a été renvoyé par le Conseil national au gouvernement. Et la mention « cohabitation », qui fait référence à la communauté de toit, a été retirée, validant ainsi le retrait de l’élargissement à la famille. Sur ce texte sensible, les désaccords s’accentuent entre gouvernement et Conseil national. « Je ne vois pas pourquoi on aurait à accepter ce que propose le gouvernement. C’est-à-dire mettre des frères, des sœurs, des tantes… S’il n’y a pas de règlement dans le cercle familial, ça ne s’arrangera pas devant un notaire, martèle Jean-Louis Grinda. Si on s’entend bien avec ses parents, on n’a pas besoin d’un contrat de vie commune. C’est un voyage en absurdie totale. » De son côté, Pierre Van Klaveren, élu de la majorité Primo ! souligne que l’objectif du contrat de vie commune est de reconnaître l’union libre sous toutes ses formes. Un point de vue qui est partagé par l’élu UM : « La majorité a rajouté la nécessité d’attribuer des droits pour les concubins. Ces droits me semblent légitimes. Et toutes les garanties sont données pour faire la distinction avec le mariage. Nous ne sommes pas dans la sphère religieuse. Nous sommes dans le temporel, le civil et le droit. Pourquoi accepter ce qui nous est proposé par le gouvernement ? Non. C’est inacceptable ! Sur ce sujet, nous sommes d’accord avec la majorité Primo !. »  

Budget

L’examen du budget rectificatif de l’État pour 2019 aura lieu les 8 et 10 octobre en séance publique. Le projet de loi devrait être voté le 17 octobre. Sur ce budget rectificatif, Jean-Louis Grinda, président de la commission pour le suivi du fonds de réserve constitutionnel, se montre dubitatif. « Le résultat affiché du budget rectificatif sera très éloigné du résultat réel de l’année civile. Et ce, tel qu’il sera présenté au printemps prochain lors d’une commission plénière d’études. À ce moment-là, il s’agira d’une commission plénière d’études, donc la séance ne sera pas publique, annonce l’élu UM. Il y aura une différence considérable entre le résultat d’un rectificatif, et la réalité présentée au printemps. Nous sommes l’un des seuls pays à ne pas voter le résultat de son budget. » Le 19 décembre 2018, les élus ont voté le projet de loi sur le budget primitif 2019. Ce vote unanime a été une première depuis 1983. Les recettes de l’État ont été évaluées à 1,346 milliards d’euros, et les dépenses ont été estimées à 1,342 milliards d’euros. D’où un excédent budgétaire qui a été comptabilisé à 4 millions d’euros. Après études, les évolutions enregistrées entre les budgets primitif et rectificatif se traduisent par une hausse des recettes et des dépenses. C’est-à-dire que les recettes du rectificatif sont estimées à 1,505 milliards d’euros. Et les dépenses sont de 1,501 milliards d’euros. « La commission que je préside travaille beaucoup sur ce sujet. Nous avons des rapports et des études. Et nous sommes prêts à bientôt avoir des conclusions. Comme sur le contrat de vie commune, je suis en accord avec la majorité Primo !. Stéphane Valeri a eu le courage et l’élégance de me confier la présidence de la commission. Je travaille en collaboration avec Balthazar Seydoux, président de la commission des finances, explique Jean-Louis Grinda. Et je constate que, cette année, il y a eu un aller-retour entre le fonds de réserve constitutionnel et le budget. »

« Il faut arrêter de balader tout le monde en disant qu’on s’occupe des enfants du pays. On fait de la communication. Il faut avoir le courage de dire les choses »

FRC

Différents facteurs sont venus modifier l’équilibre du budget primitif. A commencer par le transfert progressif au fonds de réserve constitutionnel des actions de la Société des Bains de Mer (SBM) qui restaient comptabilisées au budget de l’État. Ce transfert a généré des produits financiers exceptionnels de 100 millions d’euros. Résultat, les produits et revenus du domaine de l’État affichent une augmentation de 163,4 millions d’euros. « Le fonds de réserve constitutionnel va racheter les actions de la SBM pour équilibrer le budget. C’est pour la bonne cause. L’argent est dépensé pour le plan logement, se réjouit Jean-Louis Grinda. Mais je m’interroge : le fonds de réserve constitutionnel ne se comporte-t-il pas en budget “bis” du gouvernement ? Visiblement, c’est la démonstration que le fonds de réserve constitutionnel est un instrument budgétaire. On va échanger des titres contre de l’argent. Et on va appauvrir le fonds de réserve constitutionnel. Donc, je me pose des questions sur ces va-et-vient. À mes yeux, ce ne sont pas des pratiques orthodoxes. C’est la position que je défendrai. » Créé par la Constitution de 1962, le fonds de réserve constitutionnel constitue le bas de laine de l’État. Grâce à lui, la principauté dispose d’une indépendance financière. Fin 2018, le montant de l’actif du fonds de réserve constitutionnel se situait à environ 5,2 milliards d’euros, selon la direction du budget et du trésor et l’Institut monégasque de la statistique et des études économiques (IMSEE). « En tant que président de la commission sur le fonds de réserve constitutionnel, je me sens comptable du bas de laine des Monégasques. Le fonds de réserve constitutionnel, c’est l’argent des Monégasques, rappelle-t-il. Chez UM, nous pensons qu’il y a une vraie déviation lente, mais certaine, sur le rôle de ce fonds de réserve constitutionnel. Je pense que ma position est partagée par la majorité. À nous de rappeler et clarifier les choses. » Le fonds de réserve constitutionnel comporte une réserve d’or de 206 millions d’euros. La partie disponible, ou liquide, est de 2,3 milliards d’euros. Enfin, la partie immobilisée pèse 2,7 milliards d’euros, toujours selon la direction du budget et du trésor et IMSEE. « La vraie marge d’action du fonds de réserve constitutionnel est de 2,3 milliards d’euros grâce aux liquidités », estime Grinda.

Logements

Jean-Louis Grinda a aussi abordé la question de la retraite des fonctionnaires : « Je suis en désaccord avec le gouvernement. Nous n’avons pas d’accord pour sécuriser la retraite des fonctionnaires. Je veux une caisse de retraite autonome, garantissant aux fonctionnaires leurs retraites futures. À nouveau le gouvernement veut prendre une autre piste et se servir du fonds de réserve constitutionnel. Je ne suis pas d’accord avec cette méthode. Il va falloir travailler. Et le Conseil national, uni, fera des propositions, un jour ou l’autre. » Le débat est ouvert et l’élu UM réclame l’union sur ce sujet sensible. Enfin, c’est par le logement que Grinda a terminé sa conférence de presse de rentrée : « Le président de la commission du logement parle d’une année noire en 2021. » En effet, le 19 septembre, Franck Lobono s’est dit inquiet sur le Grand Ida, et le délai que le projet immobilier pourrait prendre. Et l’année 2021 ne verra pas de livraison de logements domaniaux. « Mais je ne comprends pas, car tout allait bien l’année dernière. Pourquoi on nous dit aujourd’hui que 2021, c’est une année noire ? Il y a bien un moment où il faut construire. Et j’ai des solutions, glisse l’élu UM. Peut-être faut-il se préoccuper des logements domaniaux vides ? » À de multiples reprises, l’élu de la minorité UM a soulevé la polémique sur ce sujet délicat. Ses détracteurs lui reprochent de nourrir un débat sans fin. « Certes, je suis raillé, conspué, voire insulté. Utilisons les logements domaniaux vides. En séance publique, je vais à nouveau poser la question du chiffre au ministre d’État, annonce-t-il. La réponse me délecte déjà. Il a dit qu’il y a moins de 1 % de logements domaniaux non occupés. On ne doit pas habiter le même pays… Il y a une volonté de ne pas voir, pour ne pas gêner. C’est une manière de gouverner qui ne me convient pas. Il ne s’agit pas de stigmatiser les gens. Et je ne cherche pas à « fliquer » les Monégasques. Il y a des pistes, sans faire du mal à personne. Mais j’ai peu d’espoir. » Enfin, la problématique du logement des enfants du pays a aussi été pointée. Et l’éternelle question revient, une fois encore : quel avenir pour eux en principauté ? « Je l’ai déjà dit à L’Obs’ de Monaco [interview à lire dans L’Obs’ n° 187 — N.D.L.R.]. Rien n’a été fait. Rien ne se fait. Et rien ne sera fait. Ça ne me réjouit pas, et je ne donne pas de leçon », avoue Jean-Louis Grinda. L’élu UM considère que ce sujet est un peu l’arlésienne de la principauté. « Il faut arrêter de balader tout le monde en disant qu’on s’occupe des enfants du pays. On fait de la communication. Il faut avoir le courage de dire les choses. J’ai une liberté de parole, je dis les choses. »