jeudi 28 mars 2024
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« Je ne veux pas instaurer un rapport de force »

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C’était une promesse de campagne électorale du groupe Horizon Monaco. Officiellement lancée le 6 mai 2013, la cellule de veille pour la priorité nationale (CVPN) a tout juste un an d’existence. Objectif : recevoir et écouter les Monégasques et les entreprises confrontés à la violation de ce droit constitutionnel. Le délégué, Albert Croesi, dresse le bilan.

Monaco Hebdo : A qui s’adresse exactement la cellule de veille pour la priorité nationale (CVPN) ?
Albert Croesi : Elle s’adresse à tous les Monégasques ! Si un Monégasque pense ou estime qu’il y a manquement à l’article 25 de notre Constitution qui stipule que la priorité pour l’accession aux emplois publics et privés est assurée aux Monégasques, il peut alors saisir la CVPN. Il ne faut par ailleurs pas cantonner la CVPN à une aide à « l’individu » car sa mission est également de veiller à ce que la priorité nationale soit respectée à tous les niveaux, et précisément vis-à-vis des entreprises.

M.H. : Depuis le lancement de la cellule de veille le 6 mai 2013, combien de Monégasques avez-vous reçu ?
A.C. : Depuis un an, j’ai été sollicité et j’ai reçu plusieurs dizaines de Monégasques qui m’ont exposé leur contrariété : refus d’un avancement ou d’une promotion dans l’administration, refus d’une embauche, perte d’un marché public. Et bien évidemment, tous estimaient avoir de réelles raisons de me saisir.

M.H. : Parmi toutes ces demandes, avez-vous constaté que la priorité nationale était effectivement bafouée ?
A.C. : Bafouée est un bien grand mot car, pour tous les cas « de personnes » qui m’ont été présentés en 1 an, je n’ai pas relevé de gros problèmes d’injustice, ou en tout cas, aucune injustice sciemment commise ni discrimination criante. A un, moment donné, je remarque surtout une incompréhension qui est essentiellement liée à un manque de dialogue. En revanche, pour ce qui concerne les attributions de marchés faites par l’état ou par des sociétés à monopole concédé, j’ai pu constater que garder la plus grande vigilance est indispensable.

M.H. : Quel est précisément votre rôle ?
A.C. : Pour chaque sollicitation, après l’avis du président du conseil national à qui je dresse systématiquement un rapport détaillé des sollicitations dont je suis l’objet, j’évalue la légitimité des affirmations, et, selon, je porte le sujet à l’attention des décideurs. Je n’utilise évidemment pas de méthode coercitive. Dans ma fonction, j’ai choisi d’user de diplomatie et privilégie le dialogue car je ne veux absolument pas instaurer un rapport de force entre les personnes. Cela risquerait d’être contreproductif et le bon sens et la raison doivent prévaloir sur le mépris, l’arrogance ou l’autoritarisme. A l’évidence, avec un peu de bonne volonté, toute situation peut se régler par une médiation.

M.H. : Si la priorité nationale n’est pas respectée, qui intervient et jusqu’à quel point ? Peut-on obliger une entreprise privée ou l’administration à embaucher un Monégasque ?
A.C. : S’il est avéré que la priorité nationale n’est pas respectée, le président du conseil national ainsi que tous les conseillers nationaux useront des moyens légaux mis à leur disposition pour faire entendre raison aux personnes ayant négligé la loi. Qu’elles soient publiques ou privées !

M.H. : Globalement, diriez-vous que la priorité nationale est bien respectée ?
A.C. : Pour ce qui est des embauches, à ma connaissance, je dirai globalement oui. Ceci-dit, à la demande de la majorité du conseil national, le gouvernement a accepté que soient diffusées sur le site du gouvernement les informations concernant les Monégasques en recherche d’emploi ou désireux de donner une autre orientation à leur carrière. Il est capital que chacun de nos compatriotes soit bien informé des opportunités d’embauche dans leur propre pays.
Par ailleurs, je redoute que les entrepreneurs privés ne soient encore trop frileux à l’idée d’embaucher un Monégasque. Je n’ai de cesse de les rassurer et de leur expliquer que leurs craintes sont totalement injustifiées. En cas d’obligation de licenciement par exemple, le passeport n’est pas un passe-droit.

M.H. : Que répondez-vous à ceux qui considèrent que cette cellule est de l’assistanat ?
A.C. : S’ils venaient me rencontrer, ils pourraient vérifier par eux-mêmes qu’il n’en est rien. Je sais toujours tenir un propos franc aux personnes qui me sollicitent. Si leur cas est légitime, je défends leur dossier, s’il ne l’est pas, je le leur dit. La mission de la CVPN est de vérifier si des injustices sont établies et que la loi est bien respectée. On ne parle pas de « faveurs », mais bien de respect de la « priorité nationale » définie par la constitution.

M.H. : Lorsque vous expliquez à un Monégasque que son cas ne relève pas d’une injustice et que vous ne pouvez donc pas intervenir davantage, comment réagit-il ?
A.C. : Mon statut me donne une indépendance totale qui me permet de me comporter et d’apparaître, quel que soit le sujet, comme une partie neutre et crédible. Il arrive fréquemment que le seul fait d’avoir « offert » une écoute bienveillante à « mes visiteurs », leur permettant de s’exprimer librement pour m’expliquer leurs difficultés et en faire une analyse extérieure soit déjà un réconfort et les conduit à une vision plus apaisée et moins passionnelle de leur situation.

M.H. : Savez-vous comment est perçue la cellule de veille dans les entreprises privées ? Considèrent-elles que c’est une forme d’ingérence ?
A.C. : Pour l’heure, je ne pense pas avoir suscité ce sentiment auprès des entreprises mais il serait peut-être intéressant de leur poser directement la question. A présent, on peut aussi penser que l’existence de la CVPN incite les dirigeants d’entreprises à être plus vigilants sur le respect de la loi.

M.H. : Votre intervention a-t-elle été concrètement bénéfique dans certains cas ?
A.C. : Quelques situations ont en effet pu évoluer favorablement et toute situation améliorée, ne serait qu’un tant soit peu, apporte une grande satisfaction.

M.H. : Solliciter la cellule de veille peut aussi être considéré comme une forme de délation, et donc s’avérer, in fine, contre-productif pour la personne qui vient vous voir…
A.C. : En un an, le cas ne s’est présenté qu’une seule fois. Un directeur a en effet vertement reproché à un de ses employés d’être venu me voir pour me faire part de sa situation. Pour autant, ne comptez pas sur moi pour vous délivrer l’identité dudit directeur… Plus sérieusement, pour ce qui concerne mes relations avec le gouvernement, je vous assure que celui-ci m’accorde sa confiance et me permet d’obtenir toutes les informations nécessaires à la constitution d’un avis sur les requêtes qui me sont adressées. Je peux également attester que les plus hautes autorités de l’administration ne m’ont jamais refusé de se pencher sur telle ou telle demande et d’y porter la plus grande attention. Concernant la Mairie, c’est plutôt sur sa partie « attribution commerciale » que la cellule de veille porte son attention. Jusqu’à ce jour, je n’ai personnellement pas relevé de manquement au respect de la priorité nationale, et dans tous les cas, les rapports avec Georges Marsan sont excellents et le dialogue est permanent.

M.H. : Et concernant la SBM ?
A.C. : Pour ce qui concerne la plus grande société monégasque à monopole concédé, la SBM, sa direction a également toujours fait preuve de beaucoup de coopération dès lors que la CVPN l’a sollicitée et elle a même donné des suites intéressantes à ses demandes.

M.H. : Vous dîtes qu’en un an, vous n’avez pas constaté d’injustice criante. La cellule a-t-elle donc encore sa raison d’être ?
A.C. : Plus que jamais ! La priorité nationale ne se résume pas à la « veille » des « cas particuliers ». Des sujets de fond qui concernent la priorité de l’Etat, qui demeure la première des priorités à respecter, sont à l’étude entre des élus du conseil national, le gouvernement princier et la cellule de veille.

M.H. : Justement, l’autre rôle de la CVPN est de veiller à ce que les entreprises monégasques soient prioritaires dans les attributions de marchés faites par l’Etat et les entreprises à monopole concédé. Votre bilan sur ce point ?
A.C. : Je regrette beaucoup qu’un des tout derniers merveilleux bâtiments construit au bord de l’eau n’ait pas donné plus de travail aux entreprises ou aux fournisseurs locaux, et j’insiste sur le fait qu’à niveau de compétences, d’expertises et de tarifications égales, les entreprises monégasques doivent être prioritaires dans les attributions de marchés faites par l’Etat et par les sociétés à monopole concédé. En revanche, je suis opposé à considérer une simple domiciliation monégasque au même titre qu’une entreprise qui a une réelle implication en Principauté et qui ne sous traite pas ses marchés auprès d’entreprises étrangères. L’équipe du président Nouvion a proposé au gouvernement que des règles prenant en compte ces critères soient adoptées. Ce dossier est en très bonne voie.

M.H. : Votre cellule a-t-elle un positionnement politique ?
A.C. : Je peux vous assurer que la CVPN est totalement apolitique et qu’elle gère de façon identique tous les dossiers qui lui sont présentés. Le président et le vice-président du conseil national y tiennent tout particulièrement. Le Président Nouvion m’a confié la CVPN pour être efficace et non pas pour faire perdre du temps à qui que ce soit ou pour faire de fausses promesses à des fins électoralistes. Aussi, j’entretiens de très bonnes relations avec tous les élus du conseil national, quelle que soit leur tendance politique, dès lors qu’ils œuvrent pour l’intérêt supérieur du pays et de nos compatriotes.

M.H. : Horizon Monaco et Union Monégasque se battent la paternité de la Cellule de Veille… Qui, le premier, a eu l’idée ?
A.C. : Par définition, la fonction d’un élu du conseil national est de défendre les intérêts de ses compatriotes. Je ne doute pas que de tout temps cela a été le cas pour toutes les assemblées successives. D’où probablement cette « bataille » dont vous m’informez. Néanmoins, accordons au Président Nouvion le mérite d’avoir clairement matérialisé et donné les moyens d’agir à une cellule de veille pour la priorité nationale, indépendante et… apolitique !

Contacts CVPN : par téléphone au 97 98 74 74. Par email : priorite.nationale@conseil-national.mc. Sur le site web du conseil national : www.conseil-national.mc. Par courrier : Conseil National, 2, Place de la Visitation, Monaco-Ville 98 000 Monaco.