jeudi 25 avril 2024
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Jardins d’Apolline
« Il faudra bien que quelqu’un paie »

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Par précaution, le gouvernement a conseillé aux habitants des Jardins d’Apolline de ne plus consommer l’eau du robinet. Les dernières analyses révèlent de la turbidité et des taux de fer au dessus des normes.

Le ton a changé sur le dossier de la situation sanitaire des quatre blocs des Jardins d’Apolline. Depuis lundi 12 juin, le gouvernement recommande aux presque 900 résidents de ces logements domaniaux de ne plus consommer l’eau du robinet, ni de l’utiliser pour cuire des aliments. Des recommandations valables aussi pour les animaux de compagnie. « Depuis plusieurs mois, des phénomènes d’eaux noirâtres ou jaunes sont apparus à intervalle irrégulier. Jusqu’à présent, les analyses étaient bonnes. Mais les toutes dernières analyses révèlent des résidus de fer en pourcentage au dessus du taux de potabilité, mais en deçà du seuil critique », explique le conseiller pour les affaires sociales et la santé, Didier Gamerdinger. Avec son collègue en charge des finances et de l’économie, Jean Castellini, ils ont tenu un point presse sur ce « dossier difficile » qui traîne depuis la fin de l’année 2016. En application du principe de précaution, des bouteilles d’eau minérale sont distribuées depuis mardi à tous les résidents, ainsi qu’aux employés des différentes enseignes situées en rez-de-chaussée des blocs. De plus, et dans l’urgence, des filtres à corde individuels en début de réseau et des filtres à céramique sur les robinets seront systématiquement installés. Les cafés Starbucks et Emilie’s Cookies seront aussi fournis en filtre professionnel.

« Chimique »

La cause de toutes ces nuisances : des canalisations défaillantes qui provoqueraient une turbidité irrégulière et des traces de fer au delà du taux de 0,2 mg/l comme les normes l’imposent. « Dans deux échantillons, il a été retrouvé 1,72 mg/l et 3,79 mg/l. le seuil toxique s’établissant lui à 10 mg par kilo de consommateur. Il n’y a pas de risque pour la santé humaine de toxicité aigüe », martèle Didier Gamerdinger. Le gouvernement princier se trouve plutôt embarrassé par cette situation inédite. Livrés en deux phases entre le printemps 2012 et 2013, les quatre blocs ont coûté 80 millions d’euros hors taxes et abritent 237 appartements. Mardi 13 juin, alors que Monaco Hebdo bouclait ce numéro, une réunion d’information devait être organisée pour « poursuivre le dialogue de confiance entre le gouvernement et les résidents ». Les experts qui se penchent sur ce sujet depuis de nombreux mois ont du mal à identifier l’origine du problème. « Il s’agit d’un phénomène chimique complexe » se bornent à expliquer les autorités compétentes.

« Démolition »

A terme, il sera nécessaire d’intervenir sur l’intégralité du réseau de distribution pour éradiquer le problème. Jusqu’à la démolition ? « Je suis un spécialiste des marchés financiers. Les évènements extrêmes sont des évènements auxquels on attribue toujours une très faible probabilité, sans pour autant les exclure complètement. Mais ça… C’est en finance. Dans le domaine du logement, sanitaire ou de la construction, je ne peux pas me prononcer à ce stade. Ce que je peux vous dire, c’est que les phases de travaux qui sont envisagés aujourd’hui prendront certes du temps, mais prendront beaucoup moins de temps et occasionneront une gêne beaucoup moins forte que s’il y avait des opérations plus ambitieuses de type démolition et reconstruction des bâtiments », a expliqué le conseiller pour les finances.

Réduction

Compte tenu de ces nuisances, Jean Castellini a également annoncé des mesures financières en faveur des locataires des Jardins d’Apolline. Une réduction de 15 % du loyer mensuel, avec un effet rétroactif au 1er juin 2017 sera appliquée. Pour les titulaires d’un contrat habitation-capitalisation (CHC), c’est un abattement équivalent à 15 % du loyer qui sera déduit des acomptes de charges. « On est tous victimes de la situation. C’est un manque à gagner pour l’Etat. Il faudra bien que quelqu’un paie », assure-t-il. Le discours est donc bien différent de celui tenu en décembre 2016. A l’époque, on se voulait plus conciliant. « L’Etat ne restera pas passif, nous ferons valoir nos droits », confirme le conseiller de gouvernement. Cette mauvaise passe ne devra pas se reproduire, avertit-il encore. « La corrosion est habituellement quelque chose que l’on constate au bout de quelques décennies » rappelle-t-il. Les deux membres du gouvernement ont tenté de faire passer un message d’apaisement. « Il n’y a pas lieu de paniquer », a souligné Didier Gamerdinger.

« Crise majeure »

Le mal semble pourtant être déjà fait du côté des résidents. « Tout le monde est inquiet. Les gens sont excédés et s’interrogent pour leur santé », indique Franck Lobono, porte-parole du collectif des habitants des Jardins d’Apolline. Quelques cas d’asthmes et d’eczéma lui ont été rapportés. Il regrette que le principe de précaution n’ait pas été appliqué depuis le début. « Personne ne pourrait imaginer que dans un immeuble si récent, tout se dégrade à une telle vitesse, accuse-t-il. Il faut que l’Etat identifie ce qui le pousse à travailler avec des prestataires de piètres qualités. Quand on veut payer moins cher, on en paie les conséquences… On veut faire des immeubles Haute Qualité Environnementale (HQE), mais on maîtrise mal. » La plus grosse interrogation des habitants aujourd’hui ? L’après. Une majorité d’entre eux espère toujours un dialogue constructif avec les autorités. Lors de la réunion, ils se sont présentés avec sept propositions de mesures à mettre en oeuvre immédiatement pour résoudre cette « crise majeure ». Elles visent à solutionner les deux problématiques sanitaires et sociales, principales aux yeux des habitants. « Je déplore qu’il ait fallu attendre une énième catastrophe pour enfin mettre en place des mesures » ajoute Lobono qui exige des solutions « sociales et humaines » et non « technocratiques et financières ».

Hélios

Les responsables de l’association Pour le bien de Monaco (PLBM) se disent carrément « horrifiés et attristés par le déroulement de la situation actuelle ». Ils indiquent n’avoir eu de cesse, depuis la création de leur association en février 2017, d’alerter les autorités sur cette « situation préoccupante […] que ce soit concernant les problèmes d’humidité, la prolifération des champignons et la potabilité de l’eau ». Le président de PLBM, Alexandre Hourdequin, et le secrétaire général, Jean-François Fabre, déplorent que la détection de métaux lourds n’ait pas été demandée lors du tout premier prélèvement d’eau effectué le 12 janvier dernier. Et ce « alors que les canalisations sont en cuivre ». Les deux hommes se veulent « confiants » sur les suites données par le gouvernement, tout en insistant pour que des mesures similaires de prévention soient prises pour l’immeuble voisin, l’Hélios. Une demande également soulevée par le collectif des Jardins d’Apolline. « L’immeuble sera suivi de très près », promet Jean Castellini, qui souligne tout de même que l’enchaînement cause-conséquence ne serait pas le même.