mercredi 24 avril 2024
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IVG, le droit monégasque s’ajuste
(un peu) aux évolutions sociétales

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A pas feutrés, la principauté monégasque va réviser son code pénal pour abroger le délit d’avortement. Dix ans après un assouplissement dans l’accès à l’avortement, celui-ci sera dépénalisé pour la femme enceinte dans tous les cas ce mercredi, après le vote du Conseil national. Mais demeurera illégal en principauté.

Après 2009, et l’autorisation de l’avortement thérapeutique (en cas de danger attesté par le corps médical pour la santé de la mère ou de l’enfant, ou en cas de viol assorti d’un dépôt de plainte), 2019, sera l’année de la dépénalisation de l’avortement à Monaco. En 2013, une première proposition de loi avait été déposée par Eric Elena, ancien conseiller national du groupe politique Renaissance, pour modifier l’article 248 du code pénal réprimant l’avortement. Il aura fallu six ans pour entériner celle-ci. A vrai dire, ils ne sont pas si nombreux les pays dans le monde où l’avortement est pratiqué sans condition restrictive. Selon les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 61 États dans le monde autorisent l’interruption volontaire de grossesse (IVG) sans condition. Le 30 octobre, Monaco ne deviendra pas l’un de ces pays. Néanmoins, et c’est une petite avancée sur le Rocher, avorter ne sera plus passible de sanctions (6 mois à trois ans d’emprisonnement et une amende de 9 000 à 18 000 euros) après le vote du Conseil national mercredi 30 octobre 2019. Malgré cette avancée, Monaco se place à la traîne dans le droit à l’avortement, au même titre que la majorité des États africains, sud-américains et du Moyen-Orient. La religion d’État constitue, certes, un obstacle. Cependant, un pays comme l’Irlande où le catholicisme imprègne très fortement la société — bien que non constitutionnalisé comme en principauté — a vu sa population adopter la légalisation de l’IVG par référendum l’an passé.

Toujours pas de remboursement

Mais dépénalisation ne veut pas dire légalisation. Les médecins ne peuvent toujours pas le pratiquer légalement en principauté, autre que dans les cas évoqués. Depuis 2017, vingt-six avortements thérapeutiques ont été pratiqués au centre hospitalier princesse Grace (CHPG). Le texte soumis au vote le 30 octobre prévoit seulement une autorisation de conseil et d’orientation des patientes vers des confrères étrangers. Par ailleurs, il n’y a jamais eu, à notre connaissance, d’application de la sanction prévue suite à une IVG. La modification du code pénal n’altère donc que la dimension symbolique, mais elle ne consent pas de droits nouveaux pour les femmes monégasques. Les Monégasques souhaitant recourir à l’IVG devront toujours s’orienter vers des hôpitaux français ou autres, en comptant sur l’éventuelle filouterie des praticiens étrangers pour se faire rembourser, en facturant un autre acte. En France, le coût oscille entre 187 et 664 euros (1), selon le type d’IVG pratiqué, chirurgicale ou médicamenteuse. En attendant peut-être d’autres débats à ce sujet, le législateur continue de jouer sa partition en équilibriste, considérant l’inscription de la religion catholique dans la constitution monégasque.

Quatre questions à Didier Gamerdinger, conseiller-ministre aux affaires sociales et à la santé

Le texte qui va être voté va-t-il assez loin ?

C’est un texte qui découle d’une proposition de loi du Conseil national. C’est une réflexion qui a été menée par les élus de manière extrêmement concertée. Il a fallu faire en sorte que toutes les sensibilités se retrouvent. Et la proposition a été adoptée à l’unanimité, ce qui a du sens. Le gouvernement a été saisi de ce texte. Il est équilibré. Il fait un pas de plus en dépénalisant la femme qui a recours à l’avortement et, dans le même temps, il tient compte des spécificités monégasques. Il tient compte du fait que le catholicisme est religion d’Etat […]. J’ai souhaité que l’on examine ce texte sans délai pour montrer que nous étions à l’écoute. Le texte reprend intégralement le projet de la proposition de loi du Conseil national.

En Irlande, fervent pays catholique, l’IVG a été légalisé en 2018 : ce sera possible un jour à Monaco ?

Aujourd’hui, la place de l’Église est reconnue par la Constitution, à l’article 9. L’archevêque a pris position l’an dernier dans une lettre ouverte. Il a indiqué, en tant que représentant de l’Église en principauté, qu’il était d’accord pour la dépénalisation de l’avortement. Et qu’il ne fallait pas accabler la femme en plus, en la sanctionnant. Cette position ayant été exprimé, les élus ont souhaité aller dans cette direction. Et le gouvernement a repris cette approche. C’est aujourd’hui une position qui fait consensus à Monaco.

Les femmes concernées à Monaco pourront-elles obtenir un remboursement de leur IVG pratiqué à l’étranger ?

Parce que l’acte pratiqué en principauté reste illégal, aujourd’hui et demain. A partir du moment où l’acte médical en principauté de Monaco resterait illégal, il n’est pas remboursable.

Lorsqu’on compare la position de Monaco sur ce sujet avec d’autres régimes autoritaires, cela ne pose-t-il pas problème ?

C’est à nous Monégasques et habitants de la principauté de redire ce que nous sommes. Nous sommes un Etat ouvert d’esprit avec un chef d’Etat qui est un prince, avec une approche démocratique et libérale. Nous sommes à la fois tournés vers l’avenir, mais aussi soucieux de nos racines et de notre passé. Nous sommes attachés à l’Église, et la place de l’Église est importante. […] Cela ne nous est pas imposé, nous le vivons, c’est ancré en nous. Cela fait partie de ce que nous sommes.