vendredi 19 avril 2024
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Incrimination des agressions sexuelles : du nouveau pour libérer la parole

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Le 15 décembre 2021, le Conseil national a voté à l’unanimité le projet de loi concernant l’incrimination des agressions sexuelles. Ce texte prévoit une meilleure définition des comportements réprimés, et une meilleure protection des victimes, pour libérer la parole, et apporter une réponse pénale adaptée aux réalités actuelles.

Un mot : consentement. C’est autour de cette notion que le projet de loi relatif à l’incrimination des agressions sexuelles s’est principalement articulé, mercredi 15 décembre 2021, au Conseil national. Adopté par l’unanimité des élus de l’Assemblée, ce nouveau texte a l’ambition de mieux protéger les victimes d’agressions sexuelles sous toutes ses formes, et de mieux libérer leur parole. L’ambition est donc double : moderniser à la fois les textes d’incrimination existants, en les perfectionnant, mais aussi renforcer la protection des victimes, en assouplissant le régime de la preuve du défaut de consentement.

L’importance des mots

L’ensemble des infractions à caractère sexuel est donc appréhendé sous ce projet de loi n° 1027, et pas uniquement les agressions sexuelles. Dans un premier temps, ce texte redéfinit certaines infractions du Code pénal, notamment celles d’outrage public à la pudeur et d’attentat à la pudeur. Elles seront désormais sanctionnées au titre « d’exhibition sexuelle », « d’atteinte sexuelle » et « d’agression sexuelle ». Objectif : mettre en exergue la connotation sexuelle de ces actes. Dans un second temps, ce texte entend rendre « criminelles » les peines en matière d’atteinte sexuelle et d’agression sexuelle pour faciliter les poursuites, parfois rendues difficiles pour les juridictions, au niveau procédural. Des ajustements du code de procédure pénale sont ainsi prévus pour tenir compte des répercussions, au niveau procédural, des modifications apportées à ces incriminations dans le Code pénal. Le but étant, à travers ces changements, de mieux s’adapter aux problématiques nouvelles en matière d’intégrité physique : « Si, à son origine, la répression pénale de ces comportements s’inscrivait dans une démarche de moralisation des pratiques sexuelles, dorénavant, et depuis longtemps déjà, leur répression est fondée sur la volonté de protection de l’intégrité physique de la personne contre toute atteinte sexuelle commise contre sa volonté, soit parce qu’elle n’avait pas donné son consentement, soit parce que cette dernière n’était pas apte à délivrer un tel consentement. » En d’autres termes, alors qu’à l’origine, les infractions sexuelles constituaient une atteinte à la chose publique, elles sont désormais appréhendées comme des atteintes à la personne. Ce nouveau texte place donc une attention toute particulière aux mots employés, avec pour objectif de mieux protéger les victimes. Comme l’a fait remarquer Marine Grisoul, élue de la majorité Priorité Monaco (Primo !) et rapporteur de ce projet de loi n° 1027, les termes employés jusqu’alors par le code pénal étaient devenus désuets, au sujet des infractions sexuelles. Et ils n’étaient plus conformes aux réalités actuelles. En modifiant sa terminologie, en meilleure adéquation avec les éléments constitutifs des infractions sexuelles, l’intégrité physique de la victime serait mieux garantie, et protégée selon cette élue de la majorité Primo !. Mais pas seulement : « Au-delà d’un changement de terminologie, les membres de la commission n’ont pas manqué de relever que le projet de loi opère une véritable transformation des textes d’incrimination, en replaçant le consentement au centre des infractions sexuelles, contribuant ainsi à une meilleure protection des victimes. »

L’ensemble des infractions à caractère sexuel est donc appréhendé sous ce projet de loi n° 1027, et pas uniquement les agressions sexuelles

Accompagnement

Pour mieux libérer la parole de ces victimes, le délai de prescription pour les délits sexuels sera allongé de trois à vingt ans, à compter de la majorité de la victime mineure, « afin de tirer les conséquences de la correctionnalisation des infractions d’atteinte sexuelle et d’agression sexuelle. » Une meilleure reconnaissance du consentement, comme l’entend ce projet de loi, assurerait donc une meilleure répression des infractions sexuelles, car elle permettrait d’appréhender toutes les situations dans lesquelles l’absence de consentement peut être constatée, indépendamment de la caractérisation d’une situation de violence, comme cela est exigé actuellement. Cela dit, la répression ne suffit pas. Comme l’a expliqué Marine Grisoul, il faut aussi se consacrer à l’accompagnement des victimes et des auteurs de violences sexuelles : « Au-delà du renforcement de l’arsenal répressif prévu par cette loi, je suis convaincue que l’accompagnement des victimes, et des auteurs, est un élément indispensable dans le cadre de la politique de lutte contre les violences. J’encourage donc le gouvernement à développer des campagnes de sensibilisation et de prévention dans les écoles notamment, mais également à envisager rapidement une réflexion sur un accompagnement efficace des auteurs d’infractions sexuelles, afin de permettre leur re-socialisation et de lutter contre toute récidive. » Un meilleur accompagnement et une meilleure écoute des victimes, à tous les stades de leur parcours, notamment des jeunes mineurs et des personnes vulnérables, font ainsi partie des axes sur lesquels la commission a voulu insister.

Pour mieux libérer la parole de ces victimes, le délai de prescription pour les délits sexuels sera allongé de trois à vingt ans, à compter de la majorité de la victime mineure

Mineurs et inceste

Concernant les victimes mineures, la commission a considéré que la répression des infractions sexuelles les concernant méritait d’être approfondie. Pour les mineurs de moins de 13 ans, il sera désormais instauré une présomption d’absence de consentement, sans qu’il soit possible d’en rapporter la preuve contraire. En d’autres termes, pour les infractions sexuelles prévues par le texte amendé, il sera considéré que le mineur de moins de 13 ans ne peut pas avoir consenti à un acte à caractère sexuel, et il ne sera pas nécessaire de le prouver. La question du consentement a aussi été développée aux cas d’inceste dans ce projet de loi n° 1027. Le caractère incestueux du viol, ou de l’agression sexuelle, est désormais explicitement mentionné au sein des circonstances aggravantes de ces infractions. Ainsi, en présence d’un inceste commis sur un mineur, la recherche du consentement de ce dernier ne sera pas non plus exigée, puisqu’il est réputé ne pas avoir consenti, et ce, quel que soit son âge. « Sur ce dernier point, le texte prend ainsi en considération la particulière gravité des comportements incestueux. Ces évolutions sont nécessaires pour adapter la répression de ces comportements aux réalités de notre société, et ainsi apporter une réponse pénale toujours plus adaptée. Dans le cadre de ses travaux, notre Assemblée a été attentive à ce que le texte soit pleinement efficace, sur le plan pratique, pour les magistrats chargés de sa mise en œuvre », a ajouté le président du Conseil national, Stéphane Valeri.

« Au-delà du renforcement de l’arsenal répressif prévu par cette loi, je suis convaincue que l’accompagnement des victimes, et des auteurs, est un élément indispensable dans le cadre de la politique de lutte contre les violences »

Marine Grisoul. Élue Primo ! et rapporteur du projet de loi n° 1027

Harcèlement sexuel

Enfin, ce projet de loi gouvernemental a introduit au sein du Code pénal, la distinction entre « harcèlement moral » et « harcèlement sexuel », en créant spécifiquement une infraction de harcèlement sexuel. La sphère professionnelle est également abordée, puisque ce texte prévoit le maintien d’une appréhension spéciale de harcèlement sexuel au travail. Le harcèlement moral et le harcèlement sexuel, dans l’espace professionnel, étaient déjà reconnus et définis de manière spéciale dans la loi n° 1457 du 12 décembre 2017, mais leur répression pénale sera désormais renforcée grâce à ce nouveau texte. Ce point s’ajoute au vote du 24 novembre 2021 consacré à la modernisation de la procédure civile en matière d’agression sexuelle. « Je tiens à rappeler le souhait de la majorité relatif à la création d’une commission d’indemnisation des victimes d’infractions pénales », a souligné Brigitte Boccone-Pagès, élue de la majorité Primo ! et vice-présidente du Conseil national, en faisant référence à l’annonce du gouvernement d’un prochain dépôt de projet de loi, début 2022, concernant la création d’un fonds d’indemnisation des victimes d’infractions à caractère sexuel et de violences domestiques, pour mieux protéger les femmes et les enfants. Une manière de boucler, dans un premier temps au moins, cette épineuse question des agressions sexuelles en principauté. Un point sur lequel la majorité Primo !, voulait agir avec fermeté, mais aussi l’opposition, à l’instar des déclarations de Béatrice Fresko-Rolfo, élue Horizon Monaco (HM) : « Nos sociétés modernes ne peuvent pas tolérer qu’un auteur d’une agression sexuelle puisse s’en tirer facilement. Il fallait donc aller plus loin. Il fallait donc être plus précis, tout en laissant aux juges leur pouvoir d’appréciation. À Monaco, c’est tolérance zéro. »