jeudi 25 avril 2024
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« Il faut responsabiliser
les musulmans »

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Le maire sans étiquette de Beausoleil, Gérard Spinelli, revient pour Monaco Hebdo sur la fermeture de l’un des trois lieux de prières musulman de sa ville. Et il explique ses positions face à l’islamisme radical et aux risques terroristes.

 

Où en est l’enquête sur la mosquée fermée sur votre commune au mois de novembre ?

Cette mosquée a été fermée suite à une décision préfectorale. Le préfet a en effet estimé qu’il y avait des risques de radicalisation et d’intégrisme. De plus, il n’y avait aucun responsable clairement identifié. Aucune autre information sur ce dossier ne circule pour le moment.

 

Vous aviez des soupçons ?

J’entends bien sûr beaucoup de choses. Du coup, il est parfois difficile de réussir à faire la part des choses. Mais lorsque les doutes sont forts, je demande aux services de l’Etat de me fournir des précisions. Chez les musulmans, il y a des gens de grande qualité. Mais comme dans toutes les religions, il y a aussi hélas des gens qui méritent moins de respect.

 

Comment vous avez appris cette fermeture ?

Je n’ai pas été informé en amont. J’ai donc appris cette nouvelle en même temps que tout le monde. Il faut rappeler que la sécurité est une mission régalienne de l’Etat français. Un maire n’a donc pas de concertation spécifique avec l’Etat sur les questions liées au terrorisme.

 

La fermeture de cette mosquée vous a surpris ?

Difficile de répondre à cette question. On entend tellement de choses… Du coup, il n’est pas évident de démêler le vrai du faux. Aujourd’hui, certains disent qu’un homme qui porte une barbe et une djellaba est un intégriste. Ce qui est évidemment très réducteur. Il faut absolument éviter les amalgames.

 

Désormais, où vont les fidèles de cette mosquée fermée ?

Une partie va dans un gymnase mis à disposition par la ville de Beausoleil. Les autres veulent remonter un autre lieu de prière. Mais vu la position de l’Etat, ça ne se fera pas.

 

Gerard-Spinelli-Sous-Prefet-des-Alpes-Maritimes-Sebastien-Humbert
Le sous-préfet des Alpes-Maritimes Sébastien Humbert venu visiter les lieux de culte sur Beausoleil avec Gérard Spinelli.

Le préfet est venu à Beausoleil ?

Quelques jours après les attentats du 13 novembre, le préfet est venu à Beausoleil. Il s’est rendu avec nous dans l’une des trois mosquées que compte notre ville. Et il a estimé cette fois que tout était cohérent dans ce lieu de prière.

 

Quels sont les pouvoirs d’un maire dans ce genre de dossier ?

Le 11 novembre, soit deux jours avant les attentats de Paris, j’ai discuté avec les représentants des musulmans de Beausoleil. Je suis favorable à l’expression de toutes les religions. A Beausoleil, on a des hindous, des juifs, des protestants, des catholiques, des musulmans, des bouddhistes, des évangélistes… En retour, j’attends que les religions soient respectueuses de la politique menée par la ville.

 

Ce n’est pas une position partagée par beaucoup de maires du département…

C’est un choix politique qui n’est pas forcément accepté par l’ensemble de la population de Beausoleil. C’est dans cette logique que j’ai décidé d’ouvrir en 2010 le gymnase municipal aux musulmans pour qu’ils puissent venir pour la grande prière du vendredi.

 

Avec la montée de la droite dure, ce n’est pas un calcul politique payant pour vous ?

C’est une position politique que j’assume. Aujourd’hui, Beausoleil est une ville où il n’y a pas de tension et dans laquelle les gens s’entendent bien. Ils ont un travail. Ne pas proposer de lieu de prière aux musulmans, ce serait bien pire encore.

 

C’est important que toutes les religions puissent s’exprimer dans votre ville ?

Avec la perte des valeurs morales que l’on constate actuellement, la religion peut apporter des réponses. Car la religion permet de se regrouper, de discuter et de réfléchir à certains sujets de société.

 

Et la laïcité alors ?

La laïcité, c’est aussi de permettre la libre expression des religions. L’Etat est laïc, donc il ne favorise pas une religion par rapport à une autre. Même si notre pays est d’origine judéo-chrétienne, on peut tout à fait chercher à favoriser l’expression de toutes les religions.

 

Et ça marche ?

Après les attentats du 13 novembre, une seule mosquée dans le département a été ouverte pour tous. Et c’est l’un des trois lieux de prière de Beausoleil.

 

C’est un signe fort ?

Oui, car je veux éviter que les gens fantasment sur la religion musulmane. Mettre une djellaba ne fait pas de vous un islamiste radical. Et porter une djellaba ou une kippa pour aller dans un lieu de culte ne me choque pas.

 

Qu’est-ce qui vous choque alors ?

Tous les signes religieux en dehors des lieux de prière me gênent. A Beausoleil, 50 % de la population est étrangère. Et ce chiffre monte à 80 % dans les écoles. Or, dans la rue, je veux que l’on puisse avoir l’impression que nous sommes tous pareil.

 

Comment vous faire entendre ?

C’est difficile pour un non-musulman comme moi de demander à une femme, ou à une jeune fille, d’enlever son voile. Alors que c’est plus facile pour un musulman de le faire et d’expliquer les enjeux de société autour de ce foulard.

 

Quels sont ces enjeux ?

Soit porter un foulard est un signe religieux fort et je suis prêt à respecter cela. Soit c’est un geste contre les autorités, contre les valeurs françaises et je me battrai jusqu’à ce que les responsables religieux musulmans partagent nos valeurs.

 

Mais un maire n’a quasiment aucun pouvoir face au terrorisme !

En droit strict, je n’ai effectivement qu’assez peu de pouvoir, même si un maire est aussi un officier de police judiciaire. Mais en tant que valeur morale, oui. Il m’arrive d’ailleurs de participer à des rondes de nuit faites par la police municipale.

 

Et ça donne quoi ?

J’ai récemment fais en sorte qu’une enfant de 13 ans qui fréquente un dealer, qui est aussi un intégriste musulman, rentre chez elle. Je suis à la limite du droit. Mais j’arrive à me faire entendre. Et surtout, à faire entendre les valeurs de la République.

 

Vos moyens sont suffisants ?

Non. Il y a une baisse des effectifs de police nationale. Aujourd’hui, il y a moins de 100 policiers pour couvrir Menton, Beausoleil et Roquebrune-Cap-Martin.

 

La conséquence ?

Cela signifie que la nuit, il y a souvent une seule patrouille pour ces trois villes. Ce qui leur permet donc de faire une ou deux rondes par nuit dans les rues de Beausoleil.

 

Et votre police municipale ?

Une patrouille de police municipale de trois hommes circule dans Beausoleil. En complément, il faudrait quatre ou cinq policiers chaque nuit sur ma commune. J’ai donc demandé au directeur départemental de la police deux policiers de plus pour patrouiller dans les rues de Beausoleil. Il m’a été répondu que ce n’était pas possible.

 

Votre réaction ?

J’ai créé la police municipale de Beausoleil qui n’existait pas il y a 20 ans. On a commencé avec trois gardiens de parking qu’on a bombardé policiers municipaux… Aujourd’hui, nos policiers municipaux sont très bien formés, jeunes et très motivés.

 

Et ensuite ?

Entre 2008 et 2016, on a doublé nos effectifs d’agents de surveillance de la voie publique (ASVP) qui sont passés de 16 à 32. Mais pour pouvoir fonctionner correctement 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, il nous faudrait une quarantaine de policiers municipaux. On a 21 policiers municipaux et 11 ASVP. La police municipale pèsera bientôt 10 % du budget de la ville.

 

On sait aussi que des dizaines d’Azuréens sont partis en Syrie faire le djihad ?

A Beausoleil, une famille en plein désespoir m’a alerté sur le départ de l’un des leurs. La famille m’a indiqué qu’il était parti avec deux autres. J’ai tout de suite averti les services spécialisés. Je sais qu’un des trois est mort là-bas. J’ignore ce que sont devenus les deux autres. En dehors de ces trois jeunes Beausoleillois, je ne sais pas combien d’autres sont partis en Syrie. Les maires ne sont pas tenus informés par les services de l’Etat.

 

Vous avez constaté des liens entre islam radical et dealers ?

Parfois, oui. On entend désormais de jeunes dealers parler de religion, alors qu’ils n’en parlaient pas avant. Et ces dealers fréquentent parfois des lieux de prière. Voilà pourquoi j’ai demandé aux responsables des mosquées de Beausoleil d’interdire l’accès à ces vendeurs de drogue.

 

La réaction de ces responsables religieux ?

J’ai senti une prise de conscience chez eux, surtout depuis les attentats de Paris. Une religion doit être exemplaire.

 

Quelles sont les principales tendances dans la communauté musulmane de Beausoleil ?

Il y a environ 1 500 musulmans chez nous, sur une population totale de 13 379 habitants. Ce sont surtout des Français originaires de Tunisie, d’Algérie et du Maroc. On a aussi des Comoriens et des Asiatiques.

 

Ce sont plutôt des modérés ou des fondamentalistes ?

Pour l’essentiel, on retrouve l’Union des Organisations Islamiques de France (UOIF) et le Conseil français du culte musulman (CFCM). Mais c’est l’UOIF qui est majoritaire à Beausoleil. La mosquée fermée par la préfecture accueillait d’ailleurs des membres de l’UOIF, réputée pour être proche des Frères Musulmans.

 

Comment a évolué la population musulmane de Beausoleil ?

Il y a 25 ou 30 ans, les musulmans étaient déjà implantés ici. A l’époque, ils priaient dans un foyer Société nationale de construction de logements pour les travailleurs (Sonacotra). Puis, entre 2005 et 2010, le directeur de ce foyer nous a prévenus qu’il y avait eu quelques débordements.

 

C’est-à-dire ?

Il y avait trop de monde, les gens étaient obligés de prier dehors, sur le trottoir… Du coup, j’ai décidé d’ouvrir en 2010 un lieu de prière municipal. Il s’agit d’un gymnase, situé en centre-ville, car je ne voulais pas d’un lieu excentré.

 

Pourquoi ?

Parce que je veux donner de la visibilité aux musulmans. Ils n’ont pas à se cacher pour pratiquer librement leur religion, en toute transparence. Dans ma conception des choses, un Etat laïc doit pouvoir donner aux gens les moyens de prier, quelle que soit leur religion.

 

Du coup, il reste combien de mosquées officielles à Beausoleil actuellement ?

Deux. On a le gymnase mis à disposition par la mairie pour la prière du vendredi à midi, avec une capacité d’environ 300 places. Il y a une mosquée privée située dans l’escalier Tivoli, que nous avons pu visiter avec le préfet d’ailleurs. Cette mosquée modérée est tenue par le CRCM.

 

Et la mosquée qui a été fermée ?

Cette deuxième mosquée privée se trouvait dans le quartier des Moneghetti, au rez-de-chaussée du numéro 26 de la rue Pasteur. Enfin, il y a aussi des mosquées sauvages, dans des lieux privés. Mais difficile de savoir combien.

 

L’UOIF qui est majoritaire à Beausoleil, pèse beaucoup dans les décisions ?

L’UOIF voulait récupérer la gestion du gymnase que la ville met à la disposition de la communauté musulmane. J’ai refusé. Car je ne traite qu’avec le CFCM, qui est une association placée sous l’égide du ministère de l’Intérieur français. Du coup, je suis entré en contact avec Boubekeur Bekri, responsable du Conseil régional du culte musulman (CRCM). Il est mon interlocuteur officiel, validé par le préfet des Alpes-Maritimes.

 

Mais comment être sûr que vos interlocuteurs ne tiennent pas un double discours ?

Je fais confiance aux services spécialisés de l’Etat. Il y a actuellement des contrôles qui sont faits. Pour ma part, j’ai demandé à avoir la traduction des prêches en français.

 

Gerard-Spinelli-Portes-ouvertes-Mosquee-Sebastien-Humbert-Karim-Jaddi
Portes ouvertes à la Mosquée en présence à nouveau du sous-préfet Sébastien Humbert et de Boubekeur Bekri (CRCM), à l’invitation de Karim Jaddi, président du Collectif des Musulmans de Beausoleil (CMB).

Et vous avez été entendu ?

Oui, mes interlocuteurs ont été d’accord pour jouer le jeu. Et ils commencent aussi à prévoir que l’on puisse assister aux prières. De plus, des prêches en français sont désormais proposés, avec la traduction en arabe sur des téléviseurs. Enfin, deux dealers qui fréquentaient cette mosquée ont été virés. Bref, je remarque beaucoup de bonne volonté.

 

Mais avouez que la « bonne volonté », c’est rarement suffisant ?

C’est aux musulmans de se mobiliser. C’est à eux de se battre pour qu’il n’y ait plus d’amalgames entre un musulman et un islamiste radical. C’est à eux d’exclure de leurs mosquées les délinquants, les dealers… Il faut responsabiliser les musulmans.

 

Comment préserver la cohésion sociale dans une ville composée pour moitié d’étrangers ?

Notre travail consiste à préserver tous les liens sociaux dans chaque communauté. Les deux plus importantes communautés sont les Portugais et les Philippins. Il y a aussi des gens originaires du Sri-Lanka, des Comores, d’Afrique noire, des pays asiatiques… Les Mauriciens sont un peu moins nombreux qu’avant. Ce travail de préservation du lien social peut être fait à l’école de danse, à l’école de musique, au théâtre… Bref, dans les activités liées à la culture.

 

Pourquoi ?

Parce que ce sont des moments où l’on se mélange, où l’on échange, y compris avec des étrangers. Sur la place de la mairie, on organise parfois des repas avec différentes cuisines du monde. Cela permet aussi de créer du lien social. Car les gens se parlent finalement très peu à la sortie des écoles…

 

Comment être sûr que les associations qui bénéficient d’un local prêté par la mairie ne l’utilisent pas pour relancer une mosquée clandestine ?

On vérifie chaque local, chaque association. Parce que depuis les attentats de Paris, on sait qu’on ne peut plus avoir confiance. On est donc très rigoureux.

 

Beausoleil, ville la plus cosmopolite de France

Créée en 1904 par le businessman et homme politique français Camille Blanc (1847-1927), Beausoleil est une commune jeune, dont le territoire a été détaché de celui de La Turbie. Camille Blanc est aussi le fils du fondateur de la Société des Bains de Mer (SBM), François Blanc. « Au départ, la population de Beausoleil était composée à presque 90 % d’étrangers, dont 80 % d’Italiens, raconte le maire sans étiquette de Beausoleil, Gérard Spinelli. Dans les années 30, Beausoleil a accueilli des anti-fascistes. Puis, pendant le franquisme, beaucoup d’anti-Franco sont venus s’installer à Beausoleil. Dans les années 60, des Algériens sont arrivés, ce qui coïncide avec la création d’un foyer Société nationale de construction de logements pour les travailleurs (Sonacotra). Quant aux Portugais, ils sont arrivés petit à petit. Ils étaient très peu nombreux en 1985. Peu à peu, par cooptation, ils ont fini par remplacer les Italiens qui travaillaient dans le bâtiment. Aujourd’hui, il y a environ 5 000 Portugais à Beausoleil. Quant aux Philippins, ils sont arrivés au début des années 2000, souvent pour travailler dans des emplois de services. Enfin, il y a aussi environ 300 Comoriens, dont beaucoup sont employés par la Société monégasque d’assainissement (SMA). Ils sont pour la plupart musulmans. »