samedi 20 avril 2024
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Fonds de réserve
“Manque de transparence, manque de performance”

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Bernard Pasquier
Bernard Pasquier. Attaché du Conseil national pour les questions économiques et financières. © Photo Conseil National

Bernard Pasquier, attaché du Conseil national pour les questions économiques et financières, s’exprime suite à notre dossier sur le fonds de réserve publié dans Monaco Hebdo n° 696. Il répond aux mêmes questions posées au conseiller pour les finances et l’économie, Sophie Thévenoux.

Monaco-Hebdo : Vous comprenez les critiques du Conseil national par rapport à l’utilisation du fonds de réserve ?
Bernard Pasquier : Les critiques qui s’expriment au sein du Conseil national ne sont pas nouvelles car elles datent de la législature précédente. Elles sont compréhensibles et légitimes dans la mesure où peu de choses ont été faites depuis lors pour clarifier le rôle du fonds de réserve constitutionnel.

M.H. : Mais les élus craignent que ce fonds s’appauvrisse ?
B.P. : En termes absolus, le fonds de réserve constitutionnel ne s’est pas appauvri. Mais en termes relatifs, la partie liquide de ce fonds représente aujourd’hui 2 ans de dépenses budgétaires. Alors qu’elle en représentait 3,5 années il y a 5 ans. Cette tendance sur le long terme n’est pas bonne et l’inquiétude des élus est justifiée.

M.H. : Quelle est l’évolution de ce fonds sur les cinq dernières années ?
B.P. : Le fonds n’est pas vraiment de 4 milliards d’euros comme beaucoup le pensent. Car à peu près la moitié de cette somme est sous la forme d’actifs non réalisables, y compris de biens immobiliers, notamment les appartement domaniaux. La taille de la partie disponible qui est de 1,8 milliard d’euros, doit être placée dans le contexte monégasque. C’est-à-dire celui d’un petit pays, très dépendant de l’extérieur et ne disposant ni de sa propre monnaie, ni de banque centrale. Il n’y pas de quoi crier victoire. La performance de la partie liquide au cours des cinq dernières années a été en deçà de ce qu’elle aurait dû être. Voilà pourquoi le gouvernement a lancé une réforme visant le mode de gestion du fonds de réserve constitutionnel l’an dernier.

M.H. : Mais le risque, c’est aussi d’être trop frileux par rapport à l’utilisation de ce fonds ?
B.P. : C’est exact. Il faut donc trouver un juste milieu sur le niveau de risque qu’il convient d’accepter de la part des gérants. Sur son utilisation, ce fonds a été conçu pour financer les déficits budgétaires et recueillir les excédents budgétaires. Et c’est bien ainsi. Mais les ponctions directes sur le fonds pour financer des dépenses publiques ont pour résultats de tronquer les présentations budgétaires et de priver le Conseil national de sa prérogative constitutionnelle, qui est de voter un budget qui comprend toutes les dépenses publiques du pays.

M.H. : Comment améliorer encore la gestion de ce fonds de réserve ?
B.P. : Malgré les mesures adoptées en 2008-2009 afin d’optimiser la performance du portefeuille financier en diversifiant les actifs et les types de gestion, la performance en 2009 a été quelque peu décevante. Avec un rendement global de 8,7 % en 2009, le fonds a “sous performé” son indice de référence de l’ordre de 2,5 %. Ce qui représente un manque à gagner de l’ordre de 40 millions d’euros. Il y a des disparités très importantes dans la performance des gérants. Il faut aussi avoir le courage de comparer cette performance avec celles d’autres fonds similaires : le fonds souverain norvégien, par exemple, a eu une performance de 25 % en 2009, “sur performant” son indice de référence de quelques 5 %. Il ne s’agit pas de remettre en question les mesures adoptées récemment. Mais il faut les optimiser. De toute évidence, il y a encore beaucoup à apprendre. A la fois dans le choix des classes d’actifs, dans la sélection des gérants et dans la détermination du niveau de risque que Monaco est prêt à accepter.

M.H. : L’utilisation de ce fonds est limité à quels types d’opérations ?
B.P. : Il faudrait revenir aux textes qui ont créé ce fonds et à la constitution. Mais la pratique de financer des investissements publics directement par le fonds devrait être abandonnée. Car elle ne s’intègre pas dans les principes internationalement reconnus de finances publiques, comme ceux qui sont préconisés par le fonds monétaire international (FMI) par exemple. Une dépense publique, qu’elle soit récurrente ou bien d’investissement, est une dépense publique. Et elle doit figurer au budget. Toute autre interprétation ouvre la voie à des abus. Ainsi, de nombreuses opérations qui ont été financées par le fonds de réserve au cours des 10 dernières années n’avaient pas vocation à l’être. Mais il faut regarder de l’avant. Ce fonds devrait être un fonds financier qui gère les réserves du pays. Pas un budget bis dans lequel on puise selon les circonstances particulières d’une opération ou d’une autre. Clairement, il faut plus de rigueur. C’est dans l’intérêt général.

M.H. : Mais en octobre 2009, le ministre d’Etat, Jean-Paul Proust, avait évoqué la création d’une commission mixte pour fixer les règles du jeu pour la gestion du fonds de réserve ?
B.P. : Depuis cinq ans, il y a eu plusieurs initiatives pour tenter de clarifier le rôle et l’utilisation du fonds de réserve. Mais force est de constater qu’aucune n’a vraiment abouti. Un nombre croissant de monégasques n’est pas à l’aise avec les règles actuelles. La crise, qui a frappé durement Monaco au niveau des recettes budgétaires, renforce encore cette inquiétude. Une réflexion sur la gouvernance du fonds de réserve est nécessaire. L’engagement de faire établir par un consultant un rapport trimestriel sur le portefeuille financier du fonds est une bonne chose. Encore faudrait-il s’assurer que ce consultant soit vraiment indépendant. On peut aussi se demander pourquoi seulement 20 % des réserves liquides du fonds de réserve sont confiées à des gérants sélectionnés par appel d’offre, le reste étant sélectionné au gré à gré. Est-ce vraiment efficace ? Comment procèdent les autres fonds de même nature ?

M.H. : Mais un manque de transparence sur les finances de l’Etat a été dénoncé par les élus en octobre ?
B.P. : Le gouvernement a encore du travail à faire pour présenter des comptes publics qui reflètent fidèlement la situation économique nationale. Mais soyons clair : l’essentiel du problème de transparence réside dans l’utilisation du fonds de réserve. C’est un problème qui est politique et pas technique. Car les fonctionnaires du département des finances et de l’économie sont compétents et ne demandent qu’à parfaire leurs connaissances pour peu qu’on leur en donne la chance. Monaco est un pays privilégié. Sans dette publique, il peut envisager l’avenir avec confiance. Encore faut-il regarder la réalité en face. Contrairement aux idées reçues, la crise a frappé les finances publiques monégasques plus durement que celles des autres pays. D’ailleurs, les recettes de 2009 ont chuté de 20 % par rapport à 2008. Et les chiffres fin mars 2010 ne sont pas encourageants, loin de là. Ceci est dû à la fois au positionnement du pays sur le créneau du luxe, qui est plus touché globalement par la crise. Mais aussi à des facteurs structurels liés à la place financière qui tarde à se reconvertir sur le marché “on shore”. Donc ce n’est pas le moment de faire preuve d’autosatisfaction et de présenter aux Monégasques et aux résidents des comptes publics plus roses qu’ils ne le sont vraiment. Au contraire, c’est le moment de se retrousser les manches et de se mettre au travail pour construire le Monaco de demain. Car l’avenir se construit sur la vérité.