mercredi 24 avril 2024
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Le financement des campagnes électorales en question

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Le texte sur l’encadrement des dépenses de campagne ne sera pas voté cet été, mais certainement en octobre. Un retard qui provoque des discussions entre les élus et la démission de la présidence de la commission spéciale de l’élu Nouvelle Majorité, Jean-Charles Allavena.

« Il y a un loupé. » Au moment d’évoquer le vote de la loi sur le financement des campagnes électorales, le 12 juillet, le groupe politique Union Monégasque (UM), n’a pas mâché ses mots. L’ancien président du Conseil national, Jean-François Robillon, a dit sa déception de ne pas voir ce texte voté dès cet été, à l’occasion d’une séance publique extraordinaire, afin de limiter des « dépenses obscènes, au sens littéral du terme ». Mais aussi de maintenir « une équité, pour que les gens qui n’ont pas les moyens puissent aussi se présenter aux élections, s’ils le souhaitent », a ajouté Robillon. Ce texte limite aussi le montant des dons à 10 % de l’enveloppe globale et impose une déclaration du donateur, dès que la somme versée dépasse 1 000 euros. « Le rapporteur de ce texte, Jean-Charles Allavena, n’a pas réussi à trouver les 2/3 d’élus nécessaires pour convoquer une séance publique extraordinaire du Conseil national », a raconté Jean-François Robillon. Une version confirmée par le président Nouvelle Majorité (NM) de la commission spéciale, chargée de l’étude de ce texte, Jean-Charles Allavena : « Les élus des deux groupes minoritaires, UM et Horizon Monaco (HM), dont je salue le travail en commission, étaient d’accord pour cette convocation. Mais quelques élus NM, qui n’avaient ni exprimé d’opposition au texte auparavant, ni participé aux réunions de la commission, ont bloqué le processus, empêchant convocation de la séance et vote. »

« Valeur »

« En fait, il y a surtout le président et le vice-président du Conseil national qui ne veulent pas d’une séance publique extraordinaire et qui veulent reporter ce vote à la séance “normale” du mois d’octobre. Ce qui serait acceptable, si on n’était pas dans une année électorale. Car plus on va reculer la date du vote de ce texte et moins les gens qui se présenteront aux élections y seront soumis », a ajouté Jean-Louis Grinda. Des propos contredits par Jean-Charles Allavena, qui a assuré à Monaco Hebdo que, ni le président du Conseil national, Christophe Steiner, ni son vice-président, Marc Burini, n’avaient entravé son travail. « Ceci est très largement faux, le raccourci est très hâtif. Je crois clairement qu’UM se trompe de cible, les coupables ne sont pas ceux-là. Ni le président ni le vice-président ne sont opposés à ce texte, c’est une certitude. Et je suis convaincu qu’ils l’auraient voté si on avait pu le présenter le 28 juin, a indiqué Allavena. Simplement, l’un d’entre eux considère qu’il ne faut pas multiplier les sessions extraordinaires et les réserver à des textes très importants. Et l’autre a pensé que les délais étaient extrêmement serrés et précipités : je suis déçu du résultat. Je ne partage pas totalement ces arguments, mais ils ont une certaine valeur, quand même. »

« Opinions »

La première conséquence ne s’est pas faite attendre. Jean-Charles Allavena a indiqué à Monaco Hebdo qu’il ne serait plus le président de la commission spéciale : « Je n’ai aucun problème avec les gens qui ont des opinions différentes et qui les expriment, s’ils l’avaient fait plus tôt, on aurait modifié le rythme de travail. Là, il y a eu prise en otage du travail des autres : élus, juristes du Conseil national et gouvernement. Ça, je ne l’admets pas. J’ai donc informé les élus que, du fait de ces comportements, je rendais la présidence de la commission spéciale. Ces méthodes ne sont pas les miennes. »

« Traçabilité »

Interrogé par Monaco Hebdo (lire son interview par ailleurs), le président Nouvelle Majorité (NM) Christophe Steiner a indiqué que si « une telle session était prévue pour le 11 juillet, il en résulte néanmoins qu’à la date du 7 juillet, date limite pour l’envoi de la convocation, je n’avais reçu aucune demande écrite en ce sens. Et ce, pour des raisons qui concernent les intéressés. » Sans demande des élus, le président NM du Conseil national a donc été dans l’impossibilité de lancer une session extraordinaire : « Dans ces conditions, un examen de ce texte aura probablement lieu à la rentrée. Jean-Louis Grinda m’a dit qu’il comprenait parfaitement cette position et que, vu sous cet angle, il partageait mon avis et qu’il regrettait que la séance ne puisse se tenir », raconte Christophe Steiner, qui a rappelé que, non seulement il n’était pas opposé du tout à la tenue d’une session extraordinaire, mais qu’en plus, il estime ce texte nécessaire. « Notre groupe politique NM était partagé sur ce texte, reprend Allavena. Mais une partie l’aurait voté, tant il clarifie et améliore les choses : moralisation par la réduction des dépenses indécentes, contrôle sur une période allongée, traçabilité des recettes extérieures, augmentation du remboursement de l’Etat… Le texte aurait été voté, avec une majorité assez faible, mais voté : certains l’ont empêché. Ils l’assumeront publiquement. »

Moralisation

« Ce texte vient d’un rapport du groupe d’Etats contre la corruption (Greco) qui a souligné les faiblesses monégasques dans ce domaine. Ce n’est donc pas une simple lubie », a rappelé Bernard Pasquier. « Ce texte voulu par le Greco est aussi une question de morale et de bon sens. On ne peut pas dépenser un million d’euros dans un pays avec 7 000 électeurs », a insisté Jean-Louis Grinda. « Auparavant, il était possible de dépenser 400 000 euros sur les 6 derniers mois, puis l’enveloppe a été réduite à 320 000 euros en 2013. Avec une majorité d’élus, nous souhaitions réduire encore cette somme à 240 000 euros », a résumé Robillon. Du coup, si le texte est voté en octobre et mis en application dans la foulée, les différentes listes en course pour les élections pourront dépenser au maximum 240 000 euros entre le 20 novembre 2017 et février 2018. En revanche, avant novembre, rien ne sera comptabilisé : « On sait que l’usage monégasque est de démarrer mi-septembre ou fin septembre : certains auront donc septembre, octobre et l’essentiel de novembre pour faire campagne à budget illimité », souligne Jean-Charles Allavena. « Depuis longtemps, j’estime que le montant des dépenses engagées pour les élections nationales est indécent », ajoute le président du Conseil national, Christophe Steiner, pour qui la solution est double : « Il faut rabaisser le niveau des dépenses et augmenter la période de prise en compte des dépenses électorales. Ensuite, il faut augmenter la part de prise en charge du gouvernement. Et sur ce point, j’estime que les candidats doivent quand même investir un minimum de leurs propres deniers. » Mais cette affaire pourrait laisser des traces. Elle pourrait même être l’une des thématiques des élections nationales de février 2018, si l’on en croit les trois élus d’UM : « La prochaine campagne va se jouer entre ceux qui vont dépenser énormément d’argent et ceux qui voudront dépenser moins, pour marquer une limite que la décence interdit de franchir », estime Jean-Louis Grinda. La moralisation de la vie politique est aussi un enjeu politique à Monaco.

 

Un texte poussé par le Greco

Le montant des dépenses de campagne a fini par attirer l’attention du Groupe d’Etats contre la corruption (Greco). « En 2008, plus de 800 000 euros ont été dépensés pour les deux principales listes », rappelle le président Nouvelle Majorité (NM) de la commission spéciale, Jean-Charles Allavena. En juillet 2012, une loi a été votée : elle plafonne les dépenses de campagne 130 jours avant l’élection à 400 000 euros, avec un remboursement de 80 000 euros par l’Etat pour les listes obtenant plus de 5 % des voix. Un projet de loi a été adressé au Conseil national pour s’intéresser cette fois aux recettes et à leur traçabilité. Le travail a commencé début mars 2017. « Très rapidement les élus présents en Commission ont exprimé un point de vue très fort : ce texte ne devait pas se limiter à faire plaisir au Greco, mais devait exprimer notre vision d’une élection équitable. Et nous devions tout faire pour qu’il soit applicable à l’élection de 2018, donc voté en juin ou juillet », raconte Allavena. R.B.