vendredi 29 mars 2024
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Fabrice Notari : « Ni pressés,
ni proches d’aboutir à un accord »

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Le nouveau président de la commission pour le suivi de la négociation avec l’Union européenne, Fabrice Notari, fait un point sur ce dossier sensible, après la réunion organisée le 17  juillet avec le gouvernement. Interview.

Vous êtes le nouveau président de cette commission : comment s’est déroulée votre prise de fonction ?

La transition avec Guillaume Rose s’est déroulée tout naturellement. Il s’agissait de faire en sorte que notre implication respective soit la plus efficace possible dans l’une et l’autre commission que nous avons l’honneur de présider, et qui sont très importantes pour la majorité Priorité Monaco (Primo !), puisqu’elles concernent pour l’une le dossier du suivi de la négociation avec l’Union européenne (UE), et pour l’autre, tout ce qui a trait à la qualité de vie et à l’environnement. La passation s’est faite sous le signe de la continuité et les actions entamées seront poursuivies. La confiance que nous avons reçue du président Stéphane Valeri, ainsi que de nos collègues, nous honore et nous oblige.

Comment jugez-vous le fonctionnement de cette commission ?

Bien que discrète par nature, elle fonctionne bien. Cette commission nouvelle a été créée par la majorité après les élections de février 2018 sur un sujet très important, et dont la durée justifiait pleinement la mise en place. La commission pour le suivi de la négociation avec l’UE (CNEGO) compte déjà à son actif plusieurs réunions en 2018 et 2019. Cette commission organise, en outre, des échanges avec les acteurs de la société civile. Je participe aussi, aux côtés du président du Conseil national, aux réunions, toutes les 7 semaines environ, d’un groupe restreint, composé de 7 élus représentant à la fois la majorité et les minorités, avec Gilles Tonelli, conseiller de gouvernement, ministre des relations extérieures et les représentants de la cellule Europ. Après chaque round de négociation avec les négociateurs européens, nous sommes ainsi régulièrement informés de l’avancée des discussions. Si ces réunions ont bien évidemment un caractère confidentiel, ce sont des rencontres d’information. Elles ne valent donc pas pour autant acceptation des éléments évoqués de la part des élus.

Comment travaillez-vous avec vos collègues d’Horizon Monaco et d’Union Monégasque ?

Depuis, le début de ce mandat, nous travaillons dans le respect de tous les élus et nous associons pleinement les élus minoritaires au fonctionnement de l’assemblée. Comme dans les autres commissions, il y a une transparence absolue, et l’information circule entre tous les élus, toutes tendances confondues. Une commission tenue sous ma présidence a encore récemment permis de faire un point sur l’état des négociations actuellement en cours. Dans le groupe restreint que nous venons d’évoquer, il y a d’ailleurs un représentant de chacune des deux minorités.

Quel est le poids réel du Conseil national dans ce dossier ?

Celui que nous donne la Constitution, à savoir, dans son article 14, le pouvoir d’autoriser, ou non, par un vote de l’assemblée, la ratification de cet éventuel traité. Le Conseil national est donc particulièrement attentif à l’avancée des discussions entre le gouvernement et les autorités européennes. Rappelons que le pouvoir de négocier revient au prince souverain et à son gouvernement, tel que le prévoit la Constitution dans son article 13, à laquelle nous sommes viscéralement attachés. Cet éventuel accord d’association est un enjeu majeur pour la principauté et les Monégasques. Il en va de l’avenir de notre modèle économique et social. Notre position politique de prudence, de vigilance et de pragmatisme que les Monégasques, par leur vote, nous ont massivement demandé de défendre, est d’ailleurs un atout pour le négociateur monégasque, qui peut s’appuyer sur notre fermeté. Comme l’a dit le président Stéphane Valeri, nous ne sommes pas pressés. Notre modèle se passe très bien d’un accord pour prospérer.

Que pensez-vous de l’état d’avancement de ces négociations ?

Nous nous devions d’être vigilants à l’égard de la notion floue d’un accord de principe intermédiaire, initialement annoncé dans un communiqué officiel pour le mois de juin 2019. A l’occasion de la commission plénière d’étude organisée avec l’ensemble des membres du gouvernement et des élus, le 17 juillet 2019 à la demande du Conseil national, nous avons eu la confirmation qu’il n’en serait rien, comme nous le souhaitions. En effet, un accord intermédiaire aurait enfermé la négociation dans une position sur laquelle il aurait été difficile de revenir. Or, pour la majorité Primo ! du Conseil national, un éventuel accord, ce sera tout ou rien. Mais pas de demi-mesure. Aujourd’hui, après 4 ans de négociation, nous pouvons constater des divergences de vues et de nombreux points qui paraissent encore rester en suspens.

Comment jugez-vous la qualité de la communication avec le gouvernement dans le cadre de ce dossier ?

Les membres du groupe restreint disposent d’une information constante à travers les réunions régulières qui se tiennent avec le gouvernement entre les sessions de négociation avec les autorités européennes à Bruxelles. Je souligne qu’il s’agit d’une information à la suite des différentes sessions de négociation. Nous sommes donc satisfaits de cette communication.

Les positions prises par le gouvernement dans le cadre de ces négociations vous satisfont ?

Pour des raisons évidentes et comme le demande le gouvernement, vous comprendrez que ces négociations doivent rester confidentielles. Ce que je peux vous dire, c’est que le Conseil national rappelle régulièrement au gouvernement l’importance du respect des lignes rouges, à savoir, le respect de la priorité nationale dans tous les domaines, le maintien des autorisations préalables d’installation des résidents et de création d’activités économiques, ainsi que l’exclusivité de l’accès à certaines professions réglementées pour les nationaux.

D’autres enjeux reviennent ?

Se pose également la question de la sécurité juridique d’un éventuel accord, et donc de la pérennité de ces lignes rouges. Ce qui serait signé demain serait-il acquis pour toujours et aura-t-on l’assurance infaillible que rien ne serait remis en question au fil du temps ? Aujourd’hui, sans traité, notre modèle économique et social est une réussite à nulle autre pareille, et il y a des divergences profondes entre les modèles économiques et sociaux européens et le modèle monégasque. Ils sont difficilement conciliables. Et contrairement à ce qu’espérait le gouvernement il y a 4 ans, les négociations seront longues et difficiles. Nous ne sommes donc ni pressés, ni proches d’aboutir à un accord.

Où en est ce dossier Monaco-UE du point de vue des professions réglementées ?

Le Conseil national demeure particulièrement attentif au devenir de l’accès et de l’exercice des professions réglementées en principauté. Effectivement ces professionnels sont très inquiets, et à juste titre. Remettre en cause le critère de nationalité, c’est-à-dire ouvrir la porte à la notion de quota de grands cabinets européens, serait de nature à remettre en question la priorité et même l’exclusivité monégasque pour la plupart des professions réglementées. Une réunion s’est d’ailleurs déroulée le 3 juillet 2019, au Conseil national avec le Comité Monégasque des Professions réglementées (CMPR).

Qu’est-il ressorti de cette réunion avec le CMPR ?

Nos positions se rejoignent et nous défendons le critère de nationalité pour l’accès à certaines de ces professions. Il en va de l’avenir de nos enfants pour qu’ils puissent encore espérer vivre dans leur propre pays de ces professions.

Votre majorité Primo ! a toujours affiché une grande prudence dans ce dossier : cette position n’est-elle pas un peuexagérée ?

Comme sur les autres sujets, la méthode employée par notre président et par notre majorité, c’est le pragmatisme. Notre position a toujours été la même depuis le début. Elle ne changera pas sur le fond, car les Monégasques, mais aussi les résidents de toutes nationalités, nous demandent de tenir cette position de prudence. Prudence, vigilance, mais pragmatisme donc. Ce n’est pas exagéré lorsqu’il s’agit de la remise en cause potentielle de notre ADN économique et social. Nous ferons le bilan à l’issue des négociations, et nous n’autoriserons la ratification de cet éventuel traité que, si et seulement si, les avantages sont largement supérieurs aux inconvénients pour notre pays et pour les Monégasques.

Peut-on vraiment résumer les positions sur ce dossier par des convictions d’euro-philes ou d’euro-sceptiques ?

Je parlerais plutôt d’eurobéats ! Et, par exemple, je suis très surpris des propos publics tenus par le groupuscule Monaco 2040 et son représentant, l’un de ses deux seuls dirigeants (le deuxième étant un ancien candidat de la liste Union Monégasque conduite par Jean-Louis Grinda), qui, depuis Paris, parle d’un « texte commun Monaco-UE » intermédiaire, alors qu’il n’y en a pas ! Il se livre régulièrement à des analyses euro-béates très personnelles, et surtout complètement déconnectées des réalités de notre pays. Pour nous, ce courant idéologique, très minoritaire, joue contre Monaco.

Pourquoi ?

Parce que cette position affaiblit nos négociateurs. Que reste-t-il en effet à négocier quand ils déclarent que sans traité, point de salut ? Au contraire, notre position est euro-pragmatique. Elle permet ainsi aux négociateurs monégasques d’arriver en position de force et d’obtenir davantage de concessions, puisque sinon l’assemblée n’autorisera pas la ratification. C’est très clair.

Quel impact a le Brexit sur l’avancement de ces négociations ?

Le Brexit est surtout une illustration que tout ne va pas bien dans le fonctionnement de cette grande machine qu’est l’UE. Et on l’a encore vu, avec les récents problèmes de gouvernance, suite aux élections européennes de juin 2019. L’Histoire n’est jamais écrite d’avance. Cela devrait rendre prudents ceux qui, plein de certitudes, parlent d’une évolution certaine vers une Europe toujours plus omnipotente et incontournable.

Le Brexit aura quelles conséquences pour l’économie monégasque ?

Le Brexit n’aura aucune conséquence, ni pour les Britanniques qui seront toujours les bienvenus en principauté, ni, globalement, pour notre économie.

Dans ces négociations, Monaco a-t-il intérêt de se rapprocher des autres petits Etats qui négocient également un accord d’association avec l’UE ?

Les parlementaires monégasques rencontrent périodiquement leurs homologues andorrans et san-marinais, en marge des différentes instances parlementaires internationales, et notamment lors de la conférence des présidents de parlements des petits Etats d’Europe. Cependant, les problématiques sont différentes entre les trois Etats. C’est pourquoi nous préférons un traitement spécifique du cas monégasque. Monaco ne doit pas être pris dans le prisme de l’amalgame. Nous sommes différents, et nous devons l’assumer et le faire accepter par les autorités européennes. Il est aussi utile de rappeler qu’il ne s’agit pas de devenir membre de l’UE, mais de discuter d’un accord de collaboration sous la forme d’un traité.

Suite aux élections européennes du 26 mai 2019 et à la recomposition politique qui en découle, quelles sont les conséquences pour ces négociations Monaco-UE ?

Il n’y avait aucune urgence à précipiter les négociations avant les élections européennes. En effet, les interlocuteurs du gouvernement sont des fonctionnaires de la commission et non pas des élus. Leurs noms vont certes changer, mais on peut penser que, globalement, la doctrine de l’UE restera la même. Ils prôneront toujours notamment le respect des 4 libertés et la non-discrimination entre nationalités. Donc les discussions seront encore longues et difficiles. Et il n’est pas certain que nous pourrons obtenir un traité prenant en compte toutes les spécificités de la principauté et les intérêts des Monégasques, même si les négociateurs de notre pays feront tout pour y parvenir.