vendredi 19 avril 2024
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Un État fort
comme anaphore

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Télétravail, loi sur la sécurité nationale, négociations européennes, interdiction des sacs plastiques ou transparence fiscale… Les membres gouvernement, réunis en conférence de presse autour du ministre d’État, ont fait un point sur les dossiers brûlants de la Principauté.

 

Cela ne fait que quatre mois qu’il a pris les rênes du gouvernement monégasque, mais Serge Telle impose déjà sa patte. Que ce soit au niveau de la communication [1] que de la façon d’appréhender les grands dossiers, dans lesquels on l’a « aidé à rentrer avec une très grande compétence ». Ce sont ces dossiers, les plus actuels ou les plus importants pour la Principauté, sur lesquels il a décidé de faire un point à l’occasion d’une conférence de presse le 2 juin. Avant de laisser le soin à chacun de ses départements de s’exprimer, le ministre d’État a formulé le vœu d’un « État fort », dont il a signé chaque accroche de phrase de son discours. En aucun cas un État fort dans l’exercice du pouvoir, lui qui s’est à de nombreuses reprises, notamment lors de l’intervention sur projet de loi sur la sécurité nationale, défendu de toute dérive autocratique ou totalitaire. Plutôt un État fort dans ses fondations, avec des « finances saines » et l’absence de dette. Dans sa capacité à « assurer la sécurité des personnes dans un contexte international difficile » avec la loi sur la sécurité nationale, comme dans sa capacité à évoluer et se moderniser avec la loi sur le télétravail.

 

« Monde »

Aussi dans sa volonté, malgré ses 2 km2, de faire « entendre et respecter » la voix de la Principauté dans la polyphonie des relations internationales. Car dix ans après ses « fonctions de consul général et d’ambassadeur » à Monaco, c’est ce qu’il l’a « frappé à l’occasion de son retour : l’ouverture de Monaco sur le monde ». « On doit avoir un État fort qui accompagne cette ouverture sur le monde », a lancé Serge Telle. Et pour ce faire, quoi de mieux que de s’assoir à la table ronde des négociations face à l’Europe, d’égal à égal ? Quoi de mieux que de s’engager plus vertueusement que les autres États en faveur de la protection de l’environnement ? « Il faut faire en sorte que l’État monégasque permette que l’ouverture de la Principauté au monde soit bénéfique aux Monégasques », assure Serge Telle. Le nouvel homme fort du gouvernement en est convaincu : c’est la seule feuille de route qui vaille.

1] Lire l’interview de François Chantrait dans Monaco Hebdo n° 973.

 

éCONOMIE

Le télétravail, c’est maintenant

C’est un projet de loi « majeur pour le développement économique de la Principauté, pour l’emploi dans notre bassin de population, les Alpes-Maritimes, et pour les employeurs comme les salariés ». Stéphane Valeri a ouvert le bal lors du tour de table des conseillers de gouvernement-ministres. L’homme en charge des affaires sociales et de la santé s’est attardé sur les vertus du télétravail, un des dossiers les plus actuels : « la création de plusieurs milliers d’emplois » — on parle de 7 000 à 8 000 sur plusieurs années —, « le développement du chiffre d’affaires pour les entreprises » — et donc des recettes de l’État — et, bien entendu, l’imparable argument écologique, « moins de gens tous les jours sur la route » — mais antinomique avec la possibilité pour les entreprises de « multiplier par trois le nombre d’employés sans changer de bureaux ». « Une modernisation nécessaire du monde du travail » dont « l’entrée en vigueur n’attend plus que l’adoption du Conseil national », a-t-il lancé. Probablement lors de l’une des deux sessions législatives du 28 ou 29 juin — dont « le gouvernement ne maîtrise pas l’ordre du jour », n’a pas manqué de rappeler Serge Telle —, il s’agit en fait de deux projets de loi. L’un définit les grandes lignes du télétravail : les droits et les devoirs des chefs d’entreprises comme salariés et les modalités de sa mise en place — notamment la présence requise du salarié dans l’entreprise le tiers de son temps de travail. L’autre concerne la ratification de l’avenant à la convention bilatérale entre la France et Monaco. Car de l’autre côté de la frontière, l’Assemblée nationale et le Sénat ont déjà fait le job : la loi a été promulguée le 24 mai.

SOCIETE

Sécurité et libertés : équilibre préservé ? 

« On n’est ni en train de transformer la Principauté en un État policier, ni en Big Brother », a tenu à rassurer Patrice Cellario. Le Monsieur Intérieur du gouvernement est revenu sur le projet de loi sur la sécurité nationale, déposé fin novembre 2015 sur le bureau du Conseil national. Il s’agit d’adapter les outils de la Sûreté publique à « l’évolution des temps et des techniques » comme à « l’évolution des risques et menaces » — terrorisme et radicalisation en tête. Notamment renforcer « l’action de prévention de la police administrative » en lui permettant des moyens de renseignement et de surveillance, qui n’existent pas à ce jour en Principauté. « Doter l’arsenal législatif d’un pan qui lui fait défaut », résume Patrice Cellario. Le texte inclut des échanges sécurisés d’informations avec les services extérieurs à Monaco ; une collaboration fondamentale pour être efficace sur un territoire de 2 km2. Et, bien sûr, trouver « un équilibre entre l’ingérence que ça représente et la sécurité ». Ce qui est le cas de ce dispositif, qui ne prodigue « pas de pouvoirs exorbitants », maintient Cellario. Les écoutes seront « fermement encadrées » : la demande doit être motivée et une procédure de contrôle stricte est lancée simultanément. Si l’avis est négatif, la mesure est aussitôt suspendue. « Le ministre d’État ne pourra pas s’assoir sur l’avis de la commission » — qui comprend le juge des libertés publiques et un conseiller national —, a assuré le ministre de l’Intérieur. Ça tombe bien : « Ce n’est pas à mon âge que je vais commencer une carrière de dictateur », s’est amusé Serge Telle, citant le général de Gaulle.

ECOLOGIE

Les sacs plastiques bannis de la Principauté

Depuis le 1er juin, les sacs en plastique à usage unique sont interdits à Monaco. « Une mesure forte mais nécessaire », a estimé Marie-Pierre Gramaglia, en charge de l’équipement, de l’environnement et de l’urbanisme. « Chaque seconde, 200 kg de déchets plastiques sont déversés dans les mers et les océans. » Les qualités de cette mesure ne sont plus à prouver : réduction de la pollution par les particules plastiques, économie des ressources nécessaires pour fabriquer ces sacs, et donc préservation de la biodiversité marine ; thème cher au gouvernement princier. Techniquement, tous les sacs ne sont pas bannis : seuls les plus fins, « inférieurs à 50 microns », et les plus petits, « d’une contenance de moins de 25 litres ». Ceux qui sont les plus à même de finir aux ordures — ou dans la nature — sans la moindre chance d’être réutilisés. « Une mesure plus sévère qu’en France », qui doit appliquer cette interdiction au 1er juillet. Encore a-t-il fallu convaincre les commerçants que le plastique, ce n’est pas fantastique. « On en a rencontrés plus de 200 », a certifié la conseillère de gouvernement-ministre. Elle l’assure : « Ils sont dans une démarche engagée », et des contrôles seront effectués. Mieux : cette interdiction va contribuer à « développer les pratiques écoresponsables ». La campagne de sensibilisation « Un sac pour la vie » a cartonné : il fallait surtout proposer une alternative. « À partir de septembre, nous allons distribuer un sac réutilisable à tous les Monégasques », a déclaré Gramaglia. Le 1er janvier 2017, ce sont tous les autres sacs à usage unique qui seront prohibés s’ils contiennent moins de 30 % de matière biosourcée. Et en 2020, adieu gobelets, couverts et autres ustensiles en plastique jetables.

EUROPE

Le Brexit, contretemps dans le dossier européen

« La Principauté sera différente dans dix ans, que l’on arrive à un accord d’association avec l’Union européenne (UE) ou pas », a lancé le ministre d’État avant de céder la parole au « chef d’orchestre des négociations », Gilles Tonelli. Le ministre aux relations extérieures et à la coopération mène de sa baguette ce qui est sans conteste l’un des plus gros dossiers de l’État. Monsieur Europe doit « concilier deux contraires : accepter la libre circulation des personnes, des marchandises, des capitaux et des services pour s’ouvrir à un marché de 500 millions de personnes, et conserver les spécificités monégasques ». En route depuis un an, les négociations entre Monaco et L’UE se tiennent au rythme de sept semaines de préparation pour trois jours de discussion. « Le point le plus avancé est le côté institutionnel », avance Tonelli. Mais la substance de cet accord d’association sera « la question des quatre libertés et des modalités ». Le ministre assure être en contact avec les Monégasques concernés, comme les professions réglementées. En attendant la prochaine session, du 6 au 8 juin, des discussions sont menées de concert avec la France pour éviter toute fausse note. Parmi les 130 accords bilatéraux entre les deux pays, « il faut identifier ceux susceptibles d’être touchés par l’accord d’association avec l’Europe ». Et les reconsidérer pour être compatibles. Le bémol sur cette partition risque de se produire le 23 juin : les habitants du Royaume-Uni sont amenés à se prononcer par référendum s’ils souhaitent rester dans l’UE. « Nos négociations dépendent du Brexit », estime Tonelli. Un mauvais tempo pour Monaco : si Brexit il y a, elles pourraient être reportées de deux ans.

ECONOMIE

Finance et transparence, tous les voyants au vert ?

Monaco n’est plus sur la liste des États non coopératifs de l’Union européenne (UE). Pourtant, « la Principauté continue de figurer sur des listes discriminantes » de pays membres de l’UE, déplore le conseiller de gouvernement-ministre des finances et de l’économie. Et ce n’est pas faute d’avoir fait de « nombreux efforts en matière de transparence fiscale ». Jean Castellini s’est toutefois voulu rassurant : la Principauté devrait « signer l’accord Taxud en marge d’Ecofin », le conseil de l’UE pour les affaires économiques et financières, qui se tient à Bruxelles le 12 juillet. Un accord qui devrait « amener la disparition de Monaco de la plupart de ces listes nationales ». « Nous organiserons un évènement dédié à l’échange automatique d’informations », a également annoncé Castellini. Un évènement qui fait suite à l’accord ratifié avec l’UE qui automatisera, dès 2018, les échanges d’informations avec les vingt-huit états membres sur les comptes financiers de leurs résidents respectifs. Côté budget, la Principauté peut se targuer d’un excédent de 14 millions d’euros à fin avril. « Des recettes de 352 millions d’euros pour des dépenses de 338 millions », précise l’homme aux finances. Des chiffres « conformes aux inscriptions primitives », note Castellini. « Les finances sont saines, Monaco est attractif ! » Et pour développer cette attractivité, le gouvernement a annoncé la sortie prochaine de Monaco Welcome, une application qui délivre de nombreuses informations pratiques sur les institutions monégasques, les démarches possibles et la vie de tous les jours — écoles, médecins, évènements culturels.

Monaco s’amarre à Vintimille…

Les navires de la Principauté pourraient bientôt jeter l’ancre à Vintimille. Un besoin nécessaire de s’étendre au regard de l’activité portuaire à Monaco. « Les places sont limitées au port Hercule, et nous avons cette opportunité à tout juste plus de dix milles marins », explique Jean Castellini. La Société d’exploitation des ports de Monaco (SEPM) pourrait ainsi prendre la gestion du port de l’autre côté de la frontière. Une concession de 80 ans pour une somme estimée à 80 millions d’euros. « Un accord a été signé entre la SEPM et les autorités italiennes. Il doit être validé par les services du gouvernement » une fois que toutes « les garanties financières et d’achèvement des travaux » auront été présentées. « Ça va dans le bon sens », estime le ministre des finances et de l’économie.

 …et prend son envol pour l’aéroport de Nice

Dans le cadre de la privatisation de l’aéroport de Nice-Côte d’Azur, « sept dossiers ont été jugés recevables », dévoile Castellini. Si Monaco n’a pris part dans aucun de ces groupements, « nous les avons rencontrés et nous nous positionnerons ». L’État souhaite investir à hauteur d’un peu moins de 10 % dans le capital de l’aéroport — une somme assurée par le Fonds de réserve constitutionnel (FRC) qui serait comprise entre 100 et 150 millions d’euros. Seule condition, « l’assurance que le dossier corresponde bien à nos ambitions ». Et elles sont triples. Le positionnement stratégique, d’abord, sur le segment haut de gamme et affaire, une clientèle prisée par la Principauté. Une vision à long terme, ensuite, avec un vrai partenariat plutôt qu’une rentabilité éphémère. Et, enfin, le développement de lignes intercontinentales directes, notamment en direction de l’Amérique et de l’Asie.