vendredi 29 mars 2024
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Élections législatives 2022 et vote d’extrême droite « Ce qui se passe à Monaco est comparable à ce que l’on observe en France »

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À Monaco, depuis 2002, à chaque élection, le vote en faveur de l’extrême droite progresse. Comment expliquer ce phénomène, alors que la principauté bénéficie d’un haut niveau de sécurité et baigne depuis des dizaines d’années dans le multiculturalisme ? Pour le savoir, Monaco Hebdo a interrogé Gilles Ivaldi, chercheur CNRS au CEVIPOF et professeur à Sciences Po Paris. Interview.

Au premier tour de la présidentielle à Monaco, en ajoutant les votes Marine Le Pen et Eric Zemmour, on arrive à 994 suffrages, contre 789 pour Emmanuel Macron : est-ce une surprise ?

Non, ce n’est pas vraiment une surprise. La droite et l’extrême-droite sont traditionnellement fortes à Monaco. En 2017, Marine Le Pen avait recueilli plus de 40 % des voix en principauté au second tour, contre un peu plus d’un tiers au niveau national. Si on remonte en 2002, Jean-Marie Le Pen faisait déjà un peu mieux, à l’époque, à Monaco, que son score national. On retrouve donc une tendance bien établie.

Qu’est-ce qui est le plus notable dans ces résultats ?

Le fait le plus notable, c’est sans doute l’effondrement de la droite traditionnelle et la percée d’Éric Zemmour : en 2017, François Fillon était arrivé en tête à Monaco, avec pas moins de 44 % des suffrages au premier tour. Cette année, Valérie Pécresse réunit à peine 6 %. Beaucoup des anciens électeurs Les Républicains (LR) semblent avoir choisi Éric Zemmour. Le candidat de Reconquête ! totalise 18 % des voix chez nos compatriotes de Monaco. C’est un score très supérieur aux 7 % qu’il a recueilli au niveau national. N’oublions pas non plus qu’en principauté, comme ailleurs, une partie de la droite modérée a déserté les rangs des Républicains et s’est, semble-t-il, reportée sur Emmanuel Macron : le président sortant a gagné 15 points entre 2017 et 2022.

« La montée du FN, puis du RN, s’inscrit dans une logique régionale et nationale. Elle n’est pas propre à la principauté. Les Français de Monaco sont très proches sociologiquement et culturellement de leurs voisins des communes limitrophes »

Gilles Ivaldi, chercheur CNRS au CEVIPOF et professeur à Sciences Po Paris

Comment expliquez-vous la montée du vote Front National (FN), puis Rassemblement National (RN) à Monaco depuis 2002, avec le duel d’alors, qui opposait à l’époque Jacques Chirac à Jean-Marie Le Pen ?

La montée du FN, puis du RN, s’inscrit dans une logique régionale et nationale. Elle n’est pas propre à la principauté. Les Français de Monaco sont très proches sociologiquement et culturellement de leurs voisins des communes limitrophes. En termes politiques, Monaco est assez similaire aux autres communes du littoral azuréen : au premier tour de l’élection présidentielle, Marine Le Pen a obtenu autour de 27 % des voix à Cap d’Ail, Roquebrune-Cap-Martin, Beausoleil ou Beaulieu-sur-Mer, et Éric Zemmour y a réuni environ 16 %. Ce sont des scores très comparables à leurs résultats en principauté.

Et si on élargit à la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) ?

Plus largement, en région PACA, on a assisté depuis 2012 à un phénomène de radicalisation de la droite classique : l’Union pour un mouvement populaire (UMP), puis les LR, ont perdu beaucoup de terrain au profit de l’extrême-droite sur les questions d’immigration ou de sécurité qui, vous le savez, sont très importantes dans le sud de la France. Ces questions sont au cœur du programme du FN depuis de très nombreuses années, et elles ont été largement reprises aussi par Éric Zemmour dans la présidentielle. Les enquêtes conduites par le Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF) montrent que l’immigration et l’insécurité restent les principales préoccupations des électeurs de Marine Le Pen et, surtout, ceux d’Éric Zemmour.

« Les Français de Monaco peuvent être inquiets face à l’immigration, au multiculturalisme, et à la place de l’Islam dans la société française, qui sont aujourd’hui des sujets très politisés. L’importance du vote Zemmour montre bien que ces questions très sensibles sont une préoccupation majeure pour les Français de Monaco »

Sur quoi reposent les ressorts du vote RN à Monaco ?

À mon sens, il s’agit précisément d’un vote « culturel », sur les enjeux liés à l’immigration et à l’insécurité, même si les Français de Monaco n’y sont pas directement confrontés au quotidien. Comme beaucoup de leurs compatriotes dans l’hexagone, les Français de Monaco peuvent être inquiets face à l’immigration, au multiculturalisme, et à la place de l’Islam dans la société française, qui sont aujourd’hui des sujets très politisés. L’importance du vote Zemmour montre bien que ces questions très sensibles sont une préoccupation majeure pour les Français de Monaco.

À Monaco, l’âge des Français qui votent pèse aussi ?

Les Français de Monaco sont aussi une population plus âgée, en moyenne, dont on sait qu’elle est plus conservatrice sur les questions de société. Éric Zemmour a beaucoup fait campagne sur les valeurs, contre ce qu’il appelle les « lobbies LGBT » ou contre « l’islamo-gauchisme » et le « wokisme ». Ce sont des thèmes qui ont pu séduire une population plus âgée, et plus traditionnaliste. Enfin, la question de la sécurité se pose comme un enjeu important : les Alpes-Maritimes sont un des départements français avec les plus forts taux de délinquance, et les Français de Monaco n’échappent pas au sentiment d’insécurité lorsqu’ils passent la frontière.

« L’étude du vote FN a depuis longtemps montré qu’il n’est pas nécessaire d’être confronté directement à l’immigration, ou à l’insécurité, pour voter à l’extrême-droite. On appelle ce phénomène “l’effet de halo” »

Mais, sur le sol monégasque, les résidents français de la principauté ne souffrent pourtant pas de problématiques liées au sentiment d’insécurité ?

L’étude du vote FN a depuis longtemps montré qu’il n’est pas nécessaire d’être confronté directement à l’immigration, ou à l’insécurité, pour voter à l’extrême-droite. On appelle ce phénomène « l’effet de halo ». En France, on a pu ainsi observer un fort vote RN dans des zones plutôt bourgeoises, mais proches de communes à plus forte densité de population étrangère, ou de communes où peuvent se poser des problèmes de sécurité. Le vote RN ne traduit pas alors l’exposition directe, mais plutôt une crainte de voir certains « problèmes » arriver chez soi, et la peur de perdre sa relative tranquillité. Si les Français de Monaco reconnaissent probablement vivre dans un environnement très protégé, notamment en matière de sécurité, ils peuvent redouter la criminalité telle qu’ils la perçoivent dans le reste du département, lorsqu’ils sortent de la principauté. N’oublions pas qu’il s’agit d’une population locale, dont la vie quotidienne ne s’arrête pas à la frontière. Beaucoup de leurs amis, certains membres de leur famille vivent aux abords immédiats de la principauté. Certains peuvent avoir une résidence secondaire en France : autant de liens qui les rapprochent des Français du département, et de leurs préoccupations.

Selon les données du dernier recensement général de la population de 2016, Monaco comptait 139 nationalités différentes : avec une société aussi multiculturelle, comment le vote RN peut-il s’installer et progresser en principauté ?

Vivre dans une société multiculturelle n’est pas nécessairement un gage d’ouverture et de tolérance. Les travaux sociologiques montrent que le fait de vivre avec des personnes d’autres cultures permet de réduire le préjugé, à condition d’avoir le sentiment d’un traitement équitable entre toutes les communautés. Les Français de Monaco ont vu d’importants changements s’opérer. La présence française à Monaco est en déclin depuis de nombreuses années, au profit de nouvelles populations d’expatriés, anglophones pour beaucoup ou, même s’ils sont encore minoritaires, russes. Aujourd’hui, les Français représentent un quart environ de la population, contre près de la moitié au début des années 1980.

« Les Français de Monaco sont aussi une population plus âgée, en moyenne, dont on sait qu’elle est plus conservatrice sur les questions de société. Éric Zemmour a beaucoup fait campagne sur les valeurs, contre ce qu’il appelle les « lobbies LGBT » ou contre « l’islamo-gauchisme » et le « wokisme »

Ce déclin démographique des Français de Monaco a quels effets ?

Ce déclin démographique des Français de Monaco peut tout à fait conduire à un sentiment d’injustice, l’impression pour les Français d’être les « perdants » de cette principauté « multiculturelle », en particulier chez les enfants du pays, qui sont confrontés aux difficultés d’accès au logement. On sait historiquement que ce type de sentiment peut nourrir la protestation politique, qui s’exprime notamment dans la montée de partis populistes, tels que le RN.

Marine le Pen
« Marine Le Pen a travaillé son image personnelle, et celle de son mouvement, pour gommer l’image d’extrême-droite. On a vu qu’elle a beaucoup communiqué sur son image de mère de famille célibataire, et d’éleveuse de chats, pour se présenter comme une « femme comme les autres ». D’autre part, elle a présenté en 2022 un programme très édulcoré. » Gilles Ivaldi. Chercheur CNRS au CEVIPOF et professeur à Sciences Po Paris. Photo @ DR

Quel est le profil type du votant RN français qui habite à Monaco ?

Nous n’avons malheureusement pas de données sur les profils électoraux à Monaco. Pour répondre à votre question, il faudrait pouvoir réaliser un sondage auprès des Français en principauté. Ce que l’on sait, c’est que la population française de Monaco est plutôt plus âgée et plus aisée – n’oublions pas que Monaco détient le record du taux d’imposition à l’impôt sur la fortune immobilière (IFI). Ce sont des caractéristiques qui favorisent traditionnellement le vote en faveur de la droite et, de plus en plus, pour l’extrême-droite. C’est le cas notamment d’Éric Zemmour, qui incarne précisément cette extrême-droite conservatrice, plus traditionnelle, et plus bourgeoise.

« Ce déclin démographique des Français de Monaco peut tout à fait conduire à un sentiment d’injustice, l’impression pour les Français d’être les « perdants » de  cette principauté « multiculturelle », en particulier chez les enfants du pays »

Est-ce qu’il existe un lien entre le discours anti européen de Marine Le Pen et le fait que Monaco ne fasse pas partie de l’Union européenne (UE) ?

C’est difficile à dire. La question de l’entrée un jour de Monaco dans l’UE est posée depuis de très nombreuses années. L’hypothèse d’une adhésion de la principauté peut, en effet, inquiéter les Français soucieux de leur statut particulier, et de voir, peut-être, leurs conditions fiscales changer. On sait que le vote RN est traditionnellement un vote eurosceptique, et on peut donc imaginer que cette question puisse jouer un rôle. Mais cela reste très difficile à déterminer.

Les votants du RN sont-ils nécessairement racistes et xénophobes ?

Ce sont en tout cas des électeurs qui sont très inquiets face à l’immigration, aux changements culturels, à l’Islam, et à ce que certains d’entre eux perçoivent comme une transformation profonde de la culture et de l’identité française. On sait qu’Éric Zemmour, notamment, a beaucoup parlé de « grand remplacement ». Marine Le Pen dénonce depuis très longtemps ce qu’elle appelle « l’islamisation » de la France. Le score cumulé des deux candidats d’extrême-droite à plus de 40 % à Monaco montre que cette thématique de l’immigration et de l’identité a trouvé un fort écho chez beaucoup de nos compatriotes en principauté.

« La question de l’entrée un jour de Monaco dans l’UE est posée depuis de très nombreuses années. L’hypothèse d’une adhésion de la principauté peut, en effet, inquiéter les Français soucieux de leur statut particulier, et de voir, peut-être, leurs conditions fiscales changer »

Entre la présidentielle de 2017 et celle de 2022, comment expliquer la progression de 6 points du score de Marine Le Pen à Monaco ?

Là encore, la progression de Marine Le Pen à Monaco au second tour de la présidentielle de 2022 est comparable à sa progression au niveau national. À Monaco, comme ailleurs en France, Marine Le Pen a bénéficié d’un bon report de voix d’Éric Zemmour, qui a constitué un réservoir non négligeable pour le second tour. Marine Le Pen a également poursuivi sa stratégie de dédiabolisation et de lissage de son image. Elle a adopté un style de campagne de proximité, avec un ton plus modéré, sans outrances, et elle a très largement mis de côté ses mesures les plus controversées, comme la sortie de l’Euro, par exemple. Tout cela a participé de sa progression en 2022. Surtout, Marine Le Pen a bénéficié d’un vote « anti-Macron », y compris chez certains électeurs de gauche.

Le président sortant, Emmanuel Macron, a aussi été un catalyseur ?

Emmanuel Macron a cristallisé beaucoup de colère, qu’il s’agisse de la réforme des retraites, de la gestion de la crise sanitaire, de l’obligation du passe vaccinal, ou de la question du pouvoir d’achat. De nombreux électeurs ont aussi utilisé le bulletin « Le Pen » pour manifester leur mécontentement face au président sortant. Ce « front anti-Macron » a incontestablement contribué au succès de Marine Le Pen.

Eric Zemmour
« L’électorat d’Éric Zemmour se distingue en termes économiques et culturels : c’est un électorat beaucoup plus à droite, plus libéral économiquement que celui de Marine Le Pen, qui est plus tourné vers la protection sociale. Et c’est aussi un électorat plus traditionnaliste sur les questions de société. » Gilles Ivaldi. Chercheur CNRS au CEVIPOF et professeur à Sciences Po Paris. Photo @ Fabrice Perou

À Monaco, l’ancien éditorialiste Éric Zemmour, qui se présentait pour la première fois à l’élection présidentielle avec son parti Reconquête !, a séduit 426 votants (18 %) : qu’est-ce qui justifie ce score ?

Éric Zemmour a fait la jonction de deux électorats, une partie de l’extrême-droite et une partie de la droite conservatrice, plus aisée, et plus bourgeoise. Cet électorat, plus âgé et plus traditionnaliste, est très présent à Monaco. À titre de comparaison, les plus de 65 ans représentent 21 % de la population française, et ils sont près d’un tiers à Monaco. Cet électorat plus âgé a sans doute été sensible au discours sur les valeurs d’Éric Zemmour, sa critique des « lobbies LGBT », du « politiquement correct » ou du « wokisme ». On sait que Zemmour a été soutenu par Sens Commun, c’est-à-dire la frange de la droite conservatrice très opposée au mariage pour tous. Ce sont des thèmes qui mobilisent l’électorat de droite traditionnelle.

Et sur le volet économique ?

Sur la question économique, Zemmour s’est démarqué également de Marine Le Pen par un programme plus libéral, qui est sans doute en phase avec les attentes des Français de Monaco qui sont, on l’a dit, plus bourgeois, plus aisés, avec beaucoup d’entrepreneurs et de travailleurs indépendants, qui sont plus sensibles au discours libéral de Zemmour qu’au « social populisme » de Marine Le Pen sur les questions économiques.

Qu’est-ce qui différencie les électeurs de Le Pen et de Zemmour ?

On retrouve en 2022 les caractéristiques classiques de l’électorat RN : c’est un électorat plutôt peu diplômé, à faibles revenus, concentré dans les catégories populaires. L’enquête électorale du CEVIPOF montre qu’au premier tour, Marine Le Pen a réuni 31 % chez les employés et 40 % chez les ouvriers. C’est un électorat d’actifs : le vote Le Pen est fort chez les 25-60 ans, et il est beaucoup plus faible, en revanche, chez les retraités qui restent plus rétifs : la candidate du RN réunit 18 % seulement chez les retraités en 2022. C’est d’abord un électorat que l’on trouve dans les communes rurales et périphériques, beaucoup moins dans les grands centres urbains qui restent très fortement tournés vers Emmanuel Macron en 2022. Rappelons que Marine Le Pen totalise à peine 5 % des voix à Paris, par exemple.

Et les électeurs d’Éric Zemmour ?

De son côté, l’électorat d’Éric Zemmour est un électorat très masculin : beaucoup de femmes semblent avoir été rebutées par le discours anti-féministe assumé du candidat, notamment dans sa critique très forte du mouvement #MeToo. On ne retrouve pas cette différence chez Marine Le Pen, qui fait des scores comparables chez les hommes et chez les femmes. Il s’agit d’électeurs plus âgés — Éric Zemmour fait son meilleur score chez les plus de 60 ans —, plus diplômés, et mieux dotés économiquement. C’est aussi un électorat beaucoup plus urbain que celui de Marine Le Pen, et très fortement implanté en région PACA notamment, où Éric Zemmour a recueilli près de 12 %, et jusqu’à 14 % dans les Alpes-Maritimes et dans le Var.

Sur le plan idéologique, il y a des différences entre Le Pen et Zemmour ?

D’un point de vue idéologique, les électorats Le Pen et Zemmour partagent des opinions similaires contre l’immigration, pour plus de répression, ou contre l’Europe. L’électorat d’Éric Zemmour se distingue en termes économiques et culturels : c’est un électorat beaucoup plus à droite, plus libéral économiquement que celui de Marine Le Pen, qui est plus tourné vers la protection sociale. Et c’est aussi un électorat plus traditionnaliste sur les questions de société.

gilles ivaldi
« Éric Zemmour a fait la jonction de deux électorats, une partie de l’extrême-droite et une partie de la droite conservatrice, plus aisée, et plus bourgeoise. Cet électorat, plus âgé et plus traditionnaliste, est très présent à Monaco. » Gilles Ivaldi. Chercheur CNRS au CEVIPOF et professeur à Sciences Po Paris. Photo @ Caroline Maufroid / Sciences Po

Entre 2002 et 2022, comme le RN a-t-il travaillé son image ?

De deux façons essentiellement. D’une part, Marine Le Pen a travaillé son image personnelle, et celle de son mouvement, pour gommer l’image d’extrême-droite. On a vu qu’elle a beaucoup communiqué sur son image de mère de famille célibataire, et d’éleveuse de chats, pour se présenter comme une « femme comme les autres ». D’autre part, elle a présenté en 2022 un programme très édulcoré, où elle a pris soin de ne pas mettre en avant certaines de ses propositions les plus polémiques, notamment sur l’Europe, qui ont été stratégiquement mises de côté.

Derrière cette image adoucie, le programme de Marine Le Pen est-il toujours fortement d’extrême droite ?

Oui, le programme de Marine Le Pen s’inscrit dans la continuité avec celui du FN de Jean-Marie Le Pen. Le parti n’a pas changé ses fondamentaux sur l’immigration, la sécurité, ou l’Europe. C’est surtout l’habillage qui a évolué. On retrouve chez Marine Le Pen la vision du monde de l’extrême-droite, son nationalisme fermé, exclusif, et xénophobe. On a une même conception autoritaire de la société, avec un discours centré sur l’ordre, et la répression de la délinquance. Et on a chez Marine Le Pen le même discours populiste que celui de son père contre les « élites mondialistes ». Il y a encore au RN beaucoup de gens qui viennent de l’extrême-droite, y compris chez les proches de Marine Le Pen. Louis Aliot, Bruno Bilde, Steeve Briois, David Rachline, Philippe Olivier, Wallerand de Saint-Just, ou Gilles Pennelle ont tous fait leur carrière au sein de l’extrême-droite, y compris dans certains groupuscules radicaux.

Et au niveau européen ?

Si on regarde les « amis » de Marine Le Pen au Parlement européen, ce sont tous des mouvements classés à l’extrême-droite : l’AfD allemande, la Lega en Italie, ou le PVV aux Pays-Bas, dont le leader s’est fait connaître en assimilant le Coran à Mein Kampf. Sans parler naturellement du rapprochement avec la Russie de Vladimir Poutine, ou de la proximité avec Viktor Orbán en Hongrie, dont le régime connaît une grave dérive autocratique, avec une opposition muselée, une presse sous contrôle, une chasse aux « lobbies LGBT », contre l’avortement, et un ensemble de théories complotistes à forte tonalité antisémite.

Dans les médias, la mise en avant de polémistes de la mouvance souverainiste et identitaire joue-t-elle un rôle dans cette montée du RN ?

Oui, incontestablement, les questions relatives à l’identité, à l’immigration, à l’islam et aux valeurs sont au cœur d’une galaxie de droite radicale incarnée par Marine Le Pen et, surtout, Éric Zemmour, relayée par des médias comme Cnews, Causeur, ou Valeurs Actuelles. On retrouve ces questions chez beaucoup d’intellectuels et d’essayistes réactionnaires, comme Alain Finkielkraut, Ivan Rioufol et, naturellement, Éric Zemmour, lui-même, dans sa longue carrière de polémiste. Ces questions ont acquis une forte visibilité, au-delà des petits cercles d’extrême-droite, dans des médias plus « mainstream ». Cela leur donne une plus grande légitimité, et favorise donc le vote pour le RN. Et, plus encore, pour Reconquête !, qui s’inscrit totalement dans cette mouvance réactionnaire et identitaire.

Avec une telle croissance à Monaco, le vote RN est-il mécaniquement voué à grandir encore dans les années qui viennent ?

Encore une fois, ce qui se passe à Monaco est comparable à ce que l’on observe à l’échelle nationale et régionale. Depuis une dizaine d’années, et surtout depuis l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, on assiste à une importante recomposition à droite, avec la montée en puissance du RN et la lente déliquescence de la droite classique. L’effondrement de Valérie Pécresse à la présidentielle en a fait la démonstration en avril 2022, y compris en principauté. À terme, cette recomposition semble devoir aboutir à la constitution d’un grand pôle de droite « dure », dominé par le RN, notamment en région PACA. Compte tenu de tout ce que nous venons de dire, il semble difficile d’imaginer que Monaco puisse échapper à une telle recomposition.

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