mardi 16 avril 2024
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Déconfinement : la grande inquiétude
du monde du transport

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En pleine épidémie de Covid-19, comment acheminer les milliers de salariés qui viennent chaque jour travailler en principauté, tout en leur garantissant une réelle sécurité sanitaire ? Alors que les trains et les bus qui desservent Monaco sont souvent bondés, l’équation semble presque impossible à résoudre. Ce qui inquiète les entreprises françaises de transport public.

Selon l’institut monégasque de la statistique et des études économiques (Imsee), Monaco comptait 57 867 salariés au 31 décembre 2019. Sur ce total, 26 % des salariés frontaliers rejoignent la principauté en utilisant les transports en commun, pendant que 45 % de ceux qui habitent à Nice prennent chaque jour le train, d’après une étude publiée en mai 2019 (1) par l’institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Alors que le déconfinement a débuté en principauté le 4 mai 2020, beaucoup s’inquiètent de leur sécurité dans les trains ou dans les bus, alors que l’épidémie de Covid-19 se poursuit. En effet, aux heures de pointe, les moyens de transport en commun qui desservent la principauté affichent régulièrement complet, et sont même parfois saturés. Dans ces conditions, on voit mal comment il sera possible de faire respecter la distanciation physique entre les usagers.

« Risque »

Contactées par Monaco Hebdo, ni la SNCF, ni la région Provence Alpes-Côte d’Azur (Paca) qui gère la ligne de bus n° 100 Nice-Monaco-Menton, n’ont été en mesure de répondre à nos questions avant le bouclage de ce magazine, le 5 mai 2020. Le service de presse de la région Paca nous a seulement indiqué que « de manière à appliquer les consignes du gouvernement, la région Paca, à travers le réseau ZOU, ne pourra pas rétablir la ligne 100 avant la date du 11 mai 2020, indiquée par le premier ministre français lors de son discours ». Et il est difficile de savoir à quoi doivent s’attendre, pour la date du 11 mai, les milliers de salariés qui utilisent habituellement cette ligne de bus. A seulement quelques jours du début du déconfinement en France, le dispositif semblait assez flou : « Les services travaillent dès à présent à la reprise des lignes, telle que celle de la ligne 100, en appliquant les consignes de distanciation, afin d’aider la reprise économique, en assurant notamment les déplacements des salariés, malgré le fait que le gouvernement français invite à favoriser le télétravail, dans la mesure où cela est possible, ou bien à favoriser les horaires décalés, afin de lisser la fréquentation des transports pendant les heures de pointes », souligne le service de presse de la région Paca. Le 30 avril 2020, un courrier a été envoyé au Premier ministre français Edouard Philippe, par les grands opérateurs français de la mobilité publique, à savoir la SNCF, la RATP, Keolis, Transdev, l’Union des transporteurs publics (UTP), la RATP et l’association AGIR pour les opérateurs indépendants. Révélé par Le Point et Le Parisien le 3 mai 2020, ce courrier indique que, alors que ces entreprises assurent « plus de 90 % des services de transport public en France », elles n’auront pas « ni les moyens humains, ni matériels » de faire respecter les gestes barrière. Le plan de déconfinement côté français prévoit une obligation de distanciation physique entre voyageurs, en plus du port du masque, que ces opérateurs de transport se disent donc incapables de faire appliquer. Selon eux, une telle obligation déboucherait « inévitablement au risque, en cas de forte affluence, de devoir prendre à tout moment des décisions d’arrêt du service susceptible de générer des troubles à l’ordre public [ainsi qu’à] des tensions sociales de la part des personnels (droits de retrait, assignations…) ». Seule solution pour les signataires de ce courrier : « La mobilisation des forces de l’ordre, nationales et municipales, sera une condition indispensable à la régulation des flux, les transporteurs ne pouvant l’assumer au regard de leurs seuls moyens. Nous considérons de notre devoir de vous informer du risque très élevé de trouble à l’ordre public. » Avant d’ajouter, un peu plus loin : « Cette règle de distanciation physique limitera mécaniquement notre capacité à transporter un nombre de voyageurs suffisant à la reprise économique que vous appelez de vos vœux. Même en remontant notre offre de transport, l’espacement d’un mètre conduirait les opérateurs à un niveau de service extrêmement réduit et, en tout état de cause, déceptif pour les usagers. Paradoxalement, une telle offre serait dégradée par rapport au plan de transport actuel, et serait contradictoire avec l’objectif de déconfinement », estiment les opérateurs de transport français dans leur courrier adressé à Edouard Philippe.

« Droit de retrait »

Du côté de la base, l’inquiétude est palpable. Sur la ligne de bus n° 100, certains chauffeurs avouent leurs interrogations face à cette crise sanitaire, et ils s’interrogent notamment sur ce que seront leurs conditions de travail une fois que Monaco et la France seront passés en phase de déconfinement. Du côté de la SNCF, le mécontentement se fait sentir dans la région parisienne, notamment en ce qui concerne la traçabilité du nettoyage dans les cabines de conduite. Selon Le Monde, alors qu’une assemblée générale virtuelle des cheminots de Paris-Nord était prévue le 5 mai 2020, certains envisageaient d’invoquer leur droit de retrait. Sur Twitter, des photos de rames bondées circulent, postées par des cheminots mécontents. « Après on nous parle de gestes barrières dans les transports… Regardez aujourd’hui, à une semaine du 11 mai. Je vous le dis tout de suite, si c’est comme ça dans les transports, ça sera droit de retrait ! On mettra pas en danger salariés et usagers ! », lance une salariée de la SNCF sur son compte Twitter. Sur le terrain, si les flux de salariés qui viennent chaque jour travailler à Monaco ne sont pas drastiquement réduits, on voit mal comment les TER et les bus de la ligne 100 pourront faire respecter la distanciation sociale. C’est d’ailleurs le principal levier que souhaite voir actionner la conseillère-ministre pour l’équipement, l’environnement et l’urbanisme, Marie-Pierre Gramaglia (lire son interview par ailleurs) : même s’il est « difficile de présumer du niveau de reprise d’activités des entreprises monégasques », pour le gouvernement monégasque, « le télétravail reste à privilégier pour celles qui le peuvent ». D’autres évoquent aussi la possibilité d’instaurer des horaires de travail échelonnés. D’après des calculs réalisés par nos confrères du Parisien, pour qu’une distanciation sociale d’un mètre soit respectée entre chaque personne, « il faudrait à Paris autoriser 160 passagers, au lieu de 1 000, dans chaque rame de métro ». Or, ces chiffres rappellent ceux que l’on pourrait établir dans les TER ou les bus qui desservent Monaco aux heures de pointe, le matin et le soir. Selon la RATP, une rame peut habituellement accueillir plus de 4 personnes par m2, ce qui est bien évidemment impensable en pleine épidémie de Covid-19. Du coup, les transporteurs expliquent dans leur courrier à Edouard Philippe que, s’ils assument leur obligation de moyen, ils déclinent toute obligation de résultat. Ils veulent aussi que des « mesures coercitives », autrement dit des sanctions, soient prévues à l’encontre des usagers qui ne respecteraient pas les règles, comme le port du masque obligatoire dans les transports qu’ils soient terrestres ou aériens, qui est puni par une amende de 135 euros. Reste à savoir qui sera chargé de ces contrôles. En France, le ministère de la transition écologique et solidaire, chargé des transports, devrait publier dans la semaine du 4 mai 2020 un décret qui pourrait lever une partie de ces interrogations. Mais il restera de toute façon pas mal de tensions et d’inquiétudes à apaiser. Et surtout, des problématiques qu’il semble quasi-impossible à résoudre dans un tel contexte.

1) De plus en plus d’habitants des Alpes-Maritimes travaillent à Monaco, Insee Analyses, n° 71, mai 2019.