vendredi 29 mars 2024
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Création d’une caisse de retraite complémentaire monégasque – Franck Lobono : « A Monaco, en matière d’emploi et de retraite, nous avons les capacités d’être autonomes »

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A l’occasion d’une séance publique législative prévue le 13 avril 2023, le texte permettant la création d’une caisse de retraite complémentaire monégasque (1) sera voté par les conseillers nationaux. Environ 168 000 salariés sont concernés par cette future caisse, qui devrait voir le jour le 1er janvier 2024. Pour Monaco Hebdo, le président de la commission des intérêts sociaux et des affaires diverses du Conseil national, Franck Lobono, en dresse les grandes lignes.

Quels sont les principaux enjeux de ce projet de caisse de retraite complémentaire monégasque ?

Il s’agit d’un texte fondamental pour l’avenir socio-économique de la principauté. L’emploi à Monaco est très dynamique, et la création d’une caisse de retraite complémentaire autonome dans notre pays est une réelle opportunité. Avec la présidente du Conseil national, Brigitte Boccone-Pagès, nous y sommes très favorables.

Jusqu’à aujourd’hui, il n’existait pas de caisse monégasque de retraite complémentaire : comment cela fonctionnait-il ?

La principauté était affiliée à la caisse française Association générale des institutions de retraite des cadres (Agirc) – Association des régimes de retraite complémentaire des salariés (Arrco), via sa représentation monégasque paritaire Association Monégasque de Retraite par Répartition (AMRR), suite à un accord entre les partenaires sociaux datant de 1964.

Pourquoi la création de cette caisse de retraite complémentaire monégasque est-elle devenue une nécessité aujourd’hui ?

Dans les faits, les cotisations versées par les entreprises et les salariés de Monaco sont bien supérieures aux montants payés par l’Agirc-Arrco aux retraités de Monaco. La principauté dispose donc d’un très grand potentiel pour renforcer son système de retraite. Le rapatriement semble, économiquement, une sage décision.

L’idée de rapatrier le régime de retraite complémentaire à Monaco a été LANCÉE par la Fédération des entreprises monégasques (Fedem) et l’Union des syndicats de Monaco (USM) en 2013 : pourquoi cela a-t-il nécessité dix ans pour que cela devienne réalité ?

Un tel rapatriement n’est pas simple sur de nombreux points. D’abord, parce que quitter un partenaire de longue date ne peut se faire du jour au lendemain. Ensuite, parce que c’est extrêmement complexe sur un plan technique : Monaco devait trouver les solutions pratiques et pérennes pour assurer un fonctionnement optimal de la future caisse et le maintien des droits sans rupture. Enfin, et surtout dirais-je, parce qu’un tel rapatriement a des incidences financières colossales, et qu’il fallait pouvoir apporter toutes les garanties nécessaires aux retraités actuels et futurs.

Franck Lobono
« On peut légitimement penser que le taux de cotisation ne générant pas de droit sera baissé, voire même suspendu si les comptes étaient très excédentaires. C’est prévu par la loi, si les réserves sont suffisantes. » Franck Lobono. Président de la commission des intérêts sociaux et des affaires diverses du Conseil national. © Photo Conseil National

Quel sera le rôle de l’USM et de la Fedem dans ce dossier et dans le pilotage de cette nouvelle caisse de retraite complémentaire monégasque ?

Ces deux partenaires sociaux siègeront au sein des entités décisionnelles de la future caisse. Ils joueront tout leur rôle, aux côtés des autres représentations salariales et patronales. Je crois sincèrement à l’utilité des syndicats, quels qu’ils soient, dès qu’ils se positionnent en force de propositions. L’USM et la Fedem sont des partenaires sociaux historiques, mais le paysage a évolué depuis l’après-guerre, et la future caisse se doit d’en tenir compte dans sa composition.

« L’USM et la Fedem sont des partenaires sociaux historiques, mais le paysage a évolué depuis l’après-guerre, et la future caisse se doit d’en tenir compte dans sa composition »

Qui fera partie du conseil d’administration de cette caisse complémentaire ?

Cette nouvelle Caisse Monégasque des Retraites Complémentaires fonctionnera de la même façon que la Caisse Autonome des Retraites. Le projet de loi 1070 fait le parallèle avec la CAR et la loi 455. Comme prévoit le texte, la gestion de la caisse est exercée sous le contrôle d’un comité de contrôle présidé par le ministre d’Etat ou son représentant. Il comprend obligatoirement, en nombre égal, des représentants des employeurs, des représentants des salariés et des représentants de l’Etat, tous nommés par arrêté ministériel. Un comité financier, constitué d’experts, vient renforcer le dispositif pour entériner les choix financiers de la caisse.

Jusqu’à présent les employeurs et les salariés du secteur privé à Monaco étaient affiliés au système de retraite français de l’Agirc-Arrco, les deux régimes de retraite complémentaire des salariés du privé, qui ont fusionné en 2019 : combien Monaco va-t-il devoir rembourser à l’Agirc-Arrco ?

Ces éléments font partie de la négociation en cours entre le gouvernement et les dirigeants de l’Agirc-Arrco. Tout porte à croire que les cotisations des cinq premières années serviront, en partie, à constituer le fonds de réserve de la caisse, et à rembourser une première partie des fonds à rembourser à l’organisme français. Par la suite, il est question de six à huit années pour solder la totalité.

Avec l’Agirc-Arrco « nous voulons nous séparer à l’amiable », avait assuré en avril 2022 à Monaco Hebdo l’ex-conseiller-ministre pour les affaires sociales et la santé, Didier Gamerdinger : comment s’assurer que cela ne se termine pas en contentieux coûteux pour Monaco ?

Le nouveau conseiller-ministre travaille dans le même sens. Il a tout mon soutien et ma confiance. Il n’y a aucune raison d’aller vers un contentieux, quand les deux parties sont d’accord sur le principe du rapatriement.

« Les cotisations versées par les entreprises et les salariés de Monaco sont bien supérieures aux montants payés par l’Agirc-Arrco aux retraités de Monaco. La principauté dispose donc d’un très grand potentiel pour renforcer son système de retraite »

La très houleuse réforme des retraites lancée en France par Emmanuel Macron est-elle un élément supplémentaire qui conduit Monaco à vouloir rapatrier le régime de retraite complémentaire à Monaco ?

Je suis content que vous abordiez ce sujet. C’est l’occasion de rappeler d’abord que la situation salariale à Monaco n’est pas comparable avec celle de la France. A Monaco, nous créons des emplois et des richesses qui bénéficient très largement à nos voisins français et italiens. Ce qui se passe en France aujourd’hui n’est pas la cause du rapatriement des retraites complémentaires à Monaco, mais cela peut nous conforter dans l’idée d’être autonome dans ce domaine, comme nous le sommes déjà pour le régime général.

Rester en France, c’était risquer de dépendre des futures réformes décidées en France ?

En matière d’emploi et de retraite, nous avons les capacités d’être autonomes, et nous ne pouvons que l’encourager quand on voit les tensions que provoque le sujet des retraites en France.

Le marché de l’emploi est plus dynamique à Monaco qu’en France : c’est encore un argument qui plaide en faveur de la création de cette caisse monégasque de retraite complémentaire ?

Comme je l’ai dit précédemment, en matière d’emploi à Monaco, tous les feux sont au vert !

Selon les chiffres communiqués par le gouvernement monégasque, le différentiel entre les cotisations et les pensions servies est estimé à environ 100 millions d’euros par an pour les prochaines 40 années : ce chiffre vous semble-t-il crédible et raisonnable ?

Je n’ai aucune raison de ne pas croire ces chiffres. Ils sont établis par des cabinets très sérieux, avec des méthodes maîtrisées. Les questions que je me pose en tant que président de la commission des intérêts sociaux et des affaires diverses, c’est comment travailler avec les communes limitrophes pour offrir des logements aux futurs salariés de Monaco en périphérie proche de la principauté ? Ceci est un enjeu majeur de l’attractivité salariale de Monaco dans les prochaines années.

Si, comme l’annonce le gouvernement, le différentiel entre les cotisations et les pensions servies est d’environ 100 millions d’euros par an, où sera injecté ce différentiel, et est-ce que cela permettra de baisser les montants des cotisations des employeurs et des employés ?

Dans un premier temps, ce différentiel permettra de rembourser l’Agirc-Arrco et de constituer le fonds de réserve de la caisse. Ensuite, on peut légitimement penser que le taux de cotisation ne générant pas de droit sera baissé, voire même suspendu si les comptes étaient très excédentaires. C’est prévu par la loi, si les réserves sont suffisantes.

« La loi prévoit un démarrage de la caisse au 1er janvier 2024. Nous votons ce texte en priorité en ce début de mandat pour permettre au gouvernement de finaliser les négociations en cours et laisser le temps aux entreprises d’être correctement informées »

Aujourd’hui, au total, combien de salariés et de retraités sont concernés par cette nouvelle caisse de retraite complémentaire monégasque ?

A ma connaissance, selon les dires récents du directeur des caisses sociales dans le cadre des réunions de travail que nous avons organisées, 168 000 salariés sont concernés.

Une fois le nouveau régime mis en place, que se passera-t-il pour celles et ceux qui sont déjà retraités ?

Pour tous les retraités qui dépendent du régime actuel, rien ne changera. Ils seront toujours servis par l’Agirc-Arrco. Cela est valable pour toute personne prenant sa retraite avant le 1er janvier 2024. Enfin, 30 000 personnes pourront également prétendre à une éventuelle bonification servie par la nouvelle caisse, si le montant de retraite complémentaire monégasque devait s’avérer plus élevé que celui qui leur est servi par l’Agirc-Arrco. Les intéressés seront informés par la future caisse dès son lancement.

La France doit déterminer les points acquis qui seront à transférer à la future caisse monégasque, pour les 168 000 salariés concernés : où en est-on sur ce point ?

C’est le gouvernement qui est en charge des discussions. Ce sont des points très techniques, et nous n’en avons pas les détails. Dans le cadre de ma commission, nous avons sensibilisé les acteurs concernés, le gouvernement et la caisse de compensation des services sociaux (CCSS) sur la nécessité de disposer des moyens nécessaires pour que les carrières puissent être fiabilisées dans de bonnes conditions, afin de ne léser aucun salarié.

Pour faire fonctionner cette caisse monégasque de retraite complémentaire, il faudra mettre en place une structure nouvelle, avec un comité directeur, et recruter combien de salariés supplémentaires ?

La future caisse bénéficiera des compétences des caisses sociales monégasques. Son directeur et son agent comptable seront nommés par arrêté ministériel. Du personnel supplémentaire sera engagé. Une certaine mutualisation des moyens semble pertinente, mais il faut que la nouvelle caisse puisse disposer des ressources nécessaires, et il n’y a aucun doute que les employés actuels de l’AMRR seront prioritaires pour rejoindre les effectifs. Environ 15 salariés composeront les équipes de la caisse, lorsqu’elle aura atteint son rythme de croisière.

En avril 2022, l’objectif était de lancer cette caisse monégasque de retraite complémentaire le 1er janvier 2023 : finalement cette caisse pourra réellement fonctionner à quelle date ?

La loi prévoit un démarrage de la caisse au 1er janvier 2024. Nous votons ce texte en priorité en ce début de mandat pour permettre au gouvernement de finaliser les négociations en cours et laisser le temps aux entreprises d’être correctement informées. Celles qui cotisent actuellement à un taux dérogatoire auront quelques mois pour décider du maintien d’un taux supérieur au taux normal. Le Conseil national a tenu à ce que cette décision prise unilatéralement par l’entreprise à l’initiation de la caisse, puisse être ultérieurement revue, en accord avec les salariés.

A quelles conditions pourra-t-on parler d’un réel succès pour cette caisse de retraite complémentaire monégasque ?

Cette création de caisse de retraite complémentaire est une très bonne initiative des partenaires sociaux et du gouvernement. Tout le monde y est favorable, pour que Monaco soit plus autonome. Le rôle de l’Etat est essentiel pour garantir une bonne sortie progressive du système actuel. Le succès se confirmera dans le temps, notamment, quand les compensations auront été réglées à l’Agirc-Arrco, que les réserves seront constituées, et que les taux pourront baisser, voire les rendements majorés pour tous les salariés.

(1) A ce sujet, lire notre dossier spécial : Régime de retraite – Christophe Robino : « Ce projet vient encore renforcer et améliorer le modèle social de notre pays »,

Retraite : comprendre le nouveau régime monégasque, attendu pour janvier 2023

Régime de retraite : « L’USM et la Fedem sont les créateurs de la retraite complémentaire à Monaco », publié dans Monaco Hebdo n° 1237.